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Palestine occupée - 4 septembre 2011
Par Abdel Hakim Mufid
Abdel Hakim Mufid est écrivain et journaliste à Sawt al-Haqq, Palestine 48.
28 août 2011 - Les conflits exacerbés nous permettent de temps à autre de prendre connaissance des différents points de vue, pour les comprendre et les expliquer. En général, l’idéologie n’est qu’un outil pour comprendre et expliquer la réalité, et prendre position vis-à-vis de cette réalité. Les tentes dernièrement dressées dans l’avenue Rothschild à Tel Aviv, relatives à la crise du logement et d’autres questions sociales, nous ont permis de prendre connaissance de certaines explications fournies par ces idéologies.
Hakma al-Turi devant sa maison détruite pour la énième fois à Al-Araqib, mars 2011
Il est incontestable que l’institution israélienne a brillamment réussi à élaborer une idéologie a-historique et hors du parcours humain, et a brillamment réussi à généraliser une idéologie spécialement consacrée aux juifs, et par les juifs, leur accordant une vision et des explications spécifiques à leur situation et leur statut, et leur a permis de consolider et d’approfondir, dans le cadre de ce parcours, ce concept de peuple choisi par Dieu, ce parcours qui a associé le concept théologique religieux à une base idéologique nationaliste, en associant de manière stupéfiante la religion en tant qu’idéologie formulée pour les juifs hors d’un contexte humain, où ne s’appliquent pas sur eux les lois humaines ordinaires, au sionisme en tant qu’idée terrestre qui s’est réalisée dans le contexte de « la promesse divine » sur terre.
Il est possible de prétendre par exemple que « la bourgeoisie juive » a réussi à égarer le « prolétariat juif » en le faisant participer à une bataille nationale pour s’assurer de sa domination et de sa suprématie. C’est ainsi que nous pouvons réduire toutes les formes de luttes depuis la Nakba, et même avant. Une alliance entre la bourgeoisie et les détenteurs d’intérêts, les riches et les capitalistes, face aux travailleurs et les classes opprimées, et ainsi, se perdent les différences nationales, la lutte sociale et la lutte de classes étant l’essentiel, alors que les autres conflits demeurent marginaux, mais peuvent être utilisés et engagés pour égarer et détourner les regards du conflit réel, qui est la lutte de classes.
Ceux qui ont adopté cette explication pour aborder ce qui se déroule à Tel Aviv vivent dans un passé très lointain. Pour eux, une explication classique de la réalité des conflits se déroulant dans les sociétés humaines, conflits nationaux, conflits culturels et ethniques, et même des conflits à caractère religieux, des conflits de civilisation dans leur ensemble, tout cela devient extrêmement marginal au profit au conflit central, qui est le conflit de classes. A un moment où même les marxistes n’acceptent plus d’expliquer ainsi les conflits internes aux sociétés ou entre celles-ci, certains insistent pour le faire et ont essayé d’expliquer les protestations de Tel Aviv sur ce mode, en vue de susciter un état d’affinité entre Tel Aviv et al-‘Araqib, car il n’y avait aucun moyen de convaincre les Arabes de la nécessité de rejoindre les tentes de Rothschild sauf en neutralisant les autres conflits au profit du conflit de classes, le conflit avec le capital, avec les 18 familles gouvernant Israël, la mondialisation, la privatisation, tout cela dans un seul sac, bien mélangés, où l’on ne puisse retrouver aucune différence entre les victimes.
Les gens comme nous ne sont pas les victimes de la politique du marché, de la privatisation, du capital et de la mondialisation, dans son ensemble, mais nous sommes, au départ, les victimes d’une situation politique, et en ce sens, nous nous distinguons fondamentalement des tentes de la classe moyenne à Tel Aviv, et même de ses victimes dans les quartiers pauvres, aux périphéries des villes du centre, Kafarshalim, Jassi Cohen, à Holon, et les quartiers Hatikva, Katmounim dans al-Qods, et le quartier D dans Beer Saba’ ; ceux-là même, qui sont les victimes de la classe moyenne qui manifeste à Tel Aviv, ceux-là sont décidés à marquer leurs différences entre eux et les habitants des tentes de Rothschild. Pourquoi nous demande-t-on à nous, de les supprimer ?
"Révolte des Tentes", Boulevard Rotschild à Tel Aviv, août 2011
Le printemps de « Tell Rabi’ » (le village palestinien sur lequel est construit Tel Aviv) est notre automne.
Malgré tout ce qui s’est dit sur le fait d’introduire les revendications des Arabes dans la liste de celles présentées au gouvernement, par les protestataires, cela peut être vrai et ce n’est pas mal, le problème ne réside pas là. Le problème et le différend concernent le fondement, la nature des revendications, la voix qui émane de Tel Aviv, des tentes de l’avenue Rothschild est une voix autre, elle ne peut être la même que celle qui émane d’al-‘Araqib, et lorsque nous disons cela, il ne s’agit pas d’un « repli nationaliste », et il n’y a là aucun chauvinisme, c’est une vérité objective, nous ne pouvons effacer les différences entre les deux voix rien qu’en prétendant que cela ne fera « qu’isoler les Arabes » et les pousser au repli. La voix de Tel Aviv n’est pas dirigée contre le département des terres, ni contre les patrouilles de la destruction, ni contre la confiscation des terres, ni contre les zones d’utilité, ni contre la judaïsation, et c’est précisément le contenu de la voix d’Al-Araqib. Et si nous voulons poursuivre notre chemin dans l’avenue Rothschild, non loin de là, à peu près à la fin de la rue du côté sud, en y allant à pied, chacun peut voir, à l’œil nu, sur le terrain, d’autres réalités d’une ville qui s’appelle Yafa, un quartier qui s’appelle Al-Ajami, les maisons qui se construisent dans ce quartier après avoir été entièrement détruit. Les habitants des tentes demandent la baisse des prix des maisons construites dans le quartier Al-Ajami, à la place des maisons arabes qui ont été supprimées. Comment peut-il y avoir une seule voix ?
Ce qui reste du quartier arabe al-Ajami, à Yafa
Contrairement à la demande de « profiter de l’occasion » que réclament les autres, ce moment est important pour affirmer la différence, car on ne peut créer une affinité entre la voix de Tel Aviv et la voix d’al-Araqib, sauf au détriment de la « voix d’al-Araqib ». Et le fait que les protestataires « aient accepté » d’intégrer les revendications telles que la reconnaissance des villages non reconnus dans le document présenté au gouvernement israélien, n’est pas une alternative à la lutte populaire et ne supprime ni les frontières ni les différences.
La question importante que l’on se pose quant à la tentative de rapprocher et de joindre Tel Aviv et al-Araqib, est de savoir au profit de qui les différences sont-elles supprimées ? Le fait d’affirmer ces différences entre Tel Aviv et al-Araqib ne fait pas des Arabes des chauvins, ni des « nationalistes ridicules » mais rend les choses plus claires.
Lorsque nous demandons que les différences soient marquées, où certains ne voient qu’un moyen de « repousser » ou de « repli sur soi », nous voulons par là, au contraire, confirmer la scène de la rencontre et de l’éloignement, entre les deux parties, c’est-à-dire ce qui est commun et ce qui est différent entre al-Araqib et entre Tel Aviv.
A présent, et lors de ces événements, plus particulièrement, il est nécessaire de montrer les limites, les différences et ce qui est commun, car le problème ne gît pas seulement dans ce qui est commun, mais dans les bases mêmes. La différence entre les bases de Tel Aviv et al-Araqib n’est non seulement très vaste, mais elle est fondamentale, c’est la différence que certains essaient de supprimer ou de ne pas prendre en considération, rien qu’en menant une division « de classes », les riches contre les pauvres, le capitale contre le prolétariat.
Mais pourquoi nous est-il toujours demandé à nous de nous rapprocher de l’autre ? Pourquoi est-ce nous seulement qu’on accuse de « repli sur soi » si nous n’allons pas à Tel Aviv, et si nous n’élevons pas notre voix à Haïfa ? Pourquoi ce sentiment que certains insistent à considérer comme un « complexe » et qu’on nous demande de résoudre, pour prouver notre bonne volonté ? Pourquoi n’avons-nous pas trouvé, tout au long de 63 ans, une voix de Tel Aviv qui dirige contre elle-même cette accusation ?
La confirmation de la différence entre Tel Aviv et al-Araqib est extrêmement importante, nous ne pouvons la supprimer par un discours qui traite de manière égale la victime et le bourreau, disant que nous sommes tous victimes de la même politique et des mêmes politiciens, le capital et l’extrême droite. Pourquoi certains veulent-ils nous coincer auprès de ce mur pour que la lutte ait un sens ?
Mais malheureusement, nous ne sommes pas les victimes de la même politique, le capital et l’extrême-droite, nous sommes également victimes de la classe moyenne et de la classe ouvrière israéliennes, peu importe qu’ils soient eux-mêmes victimes du capitalisme qui les a fourvoyés. Nous sommes également les victimes de la classe moyenne qui vote pour la gauche israélienne, la droite israélienne et le centre. Nous sommes les victimes de Meretz avant d’être les victimes de la droite, et savez-vous pourquoi ? Parce que la voix de la droite est très clairement contre nous, quant à celle de Meretz, de la « gauche » et des classes moyennes de Tel Aviv est une voix qui se veut « supérieure », qui ne souhaite pas que nous soyons à ses côtés, précisément comme la voix de la Paix Maintenant, qui refuse qu’il y ait des Arabes dans ses rangs.
Tout ceci n’empêche pas cependant qu’il y ait des actions communes ciblées, avec des parties qui affirment être antisionistes. Il est extrêmement important de comprendre la voix émanant de Tel Aviv, que nous comprenions ses motivations et ses limites. Il ne s’agit pas pour nous d’un fait sans importance, cette voix et ses revendications sont claires, elle réclame l’amélioration du niveau de vie, et nous, nous demandons la vie. Il n’est peut-être pas compréhensible que des gens réclament, en ce siècle, le droit de construire leurs maisons sur leur terre ! Ce genre de choses a fait rire beaucoup d’Européens qui ont visité les villages non-reconnus.
Al-Araqib est en train d’être détruit alors qu’à quelques mètres de là, se trouvent les maisons vides de la ville de Beer Saba’. Dans Al Araqib, les villageois sont interdits de construire leurs maisons, et leurs tentes ont été détruites à plusieurs reprises, et à Beer Saba’, les gens quittent la ville pour se rendre à Tel Aviv après que leur vie y soit devenue difficile. Des maisons qui se vident, alors qu’elles sont proposées à des conditions alléchantes, au niveau des prêts au logement et des taxes.
Il en est de même en Galilée. Au cours des dernières années, le projet de judaïsation s’est poursuivi dans la Galilée et al-Naqab. Dans les colonies également, les conditions furent très alléchantes, des centaines et même de milliers de familles avaient déménagé pour y habiter ces dix dernières années. Là aussi elles ont considéré qu’il était plus avantageux de revenir vers le centre après que leur vie soit devenue difficile là-bas. Des milliers de familles revenues du Naqab, de la Galilée et des colonies ont aidé à aggraver la crise du logement à Tel Aviv et dans le centre. C’est une des causes de la crise, et la voix de ceux-là ne peut être celle de la population d’al-Araqib.
Source : Sawt al-Haq
Traduction : Rim al-Khatib
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