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Gaza - 16 juillet 2008
Par Christophe Oberlin
Le Professeur Christophe Oberlin est chirurgien, spécialisé dans la microchirurgie et la chirurgie de la main. Il se rend régulièrement dans la Bande de Gaza.
Aymen a du lutter pour être là. Etudes primaires et secondaires dans la minuscule bande de Gaza, un territoire guère plus grand que l’Ile de Ré ! La vie des camps de réfugiés, l’école de l’UNWRA (agence de l’ONU pour les réfugiés du Proche Orient,) puis huit ans … en Sibérie ! Pour étudier la médecine. Puis à nouveau Gaza, formation chirurgicale «sur le tas», les gardes, le stress des afflux massifs de blessés.
Photo : Initiation à la recherche médicale sur internet à l'Université islamique de Gaza
Puis le difficile apprentissage de la microchirurgie : comment réparer sous microscope un nerf sectionné, une artère d’à peine plus d’un millimètre de diamètre, sur un lapin qu’il a acheté au marché. Un lapin qu’il a endormi lui-même après avoir posé délicatement une perfusion anesthésique dans une fine veine de l’oreille de l’animal.
Plus d’une cinquantaine d’heures d’entraînement avant de pouvoir répéter la manœuvre avec fiabilité et pouvoir « se lancer » sur les blessés. Et puis il a fallu suivre pendant deux ans les enseignements du diplôme de chirurgie de la main et du membre supérieur : cours théoriques, technique chirurgicale, discussion de cas réels.
Aymen a passé avec succès l’examen de fin de première année. Pour clore la deuxième année, il a du, en outre, écrire un article médical à partir de la revue d’une série de patients opérés à Gaza d’un type particulier de malformation congénitale de la main. Aujourd’hui, c’est l’examen final de deuxième année, celui qui donne le diplôme.
Aymen parle posément, lentement, comme s’il cherchait ses mots. Ses deux meilleures langues sont l’arabe et le russe. Aujourd’hui, il s’exprime en anglais. Mais les mots sont précis, exacts.
En face d’ Aymen, cinq chirurgiens dont deux professeurs d’Université, français, britanniques, suisse. Aymen se concentre. L’exposé du mémoire s’est bien passé.
Le voilà qui décrit maintenant avec application son premier «cas clinique» : un patient dont il voit bouger la main blessée sur l’écran de l’ordinateur placé en face de lui. Une main qui, pour être déformée, n’en porte pas moins un joli nom : «col de cygne». Aymen explique très bien le mécanisme de la déformation. Il en vient au traitement. Le jury retient son souffle.
Surgit alors brutalement des fenêtres donnant sur la rue le son tonitruant d’un haut parleur. Une sono qui, portée par un camion, enfle en se rapprochant de nous.
De quoi parle l’homme qui est au micro, s’enquiert le jury ? Aymen redresse à peine la tête et dit : « Un martyr », l’air vaguement étonné de notre question. C’est vrai que la plupart des membres du jury devraient y être habitués, après une vingtaine de séjours dans la Palestine de la deuxième Intifada ! Mais faut-il « s’habituer » ?
Aymen se reprend : l’exposé du traitement est bon. On respire. Le deuxième « cas clinique » est magistralement traité. Reçu, mention Bien. Aymen serre avec effusion la main de chaque membre du jury.
Samir a étudié la médecine en roumain et en anglais. Il a ensuite appris le français par plaisir, sans jamais avoir séjourné dans un pays francophone. Si bien qu’il est capable de traduire en direct du français vers l’anglais certains films de technique chirurgicale dont le commentaire est enregistré en français. Il finira major ex aequo avec Jamal, tous deux mention Très Bien.
Astal vient ensuite. Il est plus fébrile, et s’embrouille un peu dans ses notes. Il veut tout dire, montrer toute l’étendue de ses connaissances. C’est un scientifique qui lit beaucoup. Muni de son savoir neuf, dans son service, il n’hésite plus à contredire ses patrons. Astal présente un beau travail sur les mains du nouveau-né. Une belle publication en perspective.
Ghassan a étudié les paralysies de la main chez ces blessés gravissimes atteint au niveau de la colonne vertébrale et qui présentent une paralysie des quatre membres.
En Occident, c’est le classique accident de plongeon dans une piscine insuffisamment profonde, ou encore une séquelle d’accident de moto.
Mais ici on ne plonge pas, et il n’y a pas de motos.
Ce sont les balles, les fragments de bombes et de missiles, qui coupent les moelles épinières, trente par an.
Ces blessés doivent séjourner de longs mois dans des centres de rééducation spécialisés, afin de retrouver un minimum d’autonomie, apprendre à vivre avec leur handicap. Jadis, ces blessés étaient hospitalisés 9 à 12 mois en Israël. La note de séjour était sévère, entièrement prélevée par Israël sur les taxes levées par Israël sur les produits importés à Gaza, et légalement dues aux Palestiniens. Une bonne affaire, financièrement parlant.
Aujourd’hui, et malgré la guerre, fonctionne à Gaza un centre de rééducation ultra moderne… pour un coût dix fois moindre ! Son directeur reçoit parfois des appels dépités de son collègue israélien… qui n’arrive plus, faute de « remplissage , à équilibrer son budget !
Qu’il se rassure, son collègue palestinien non plus : l’Autorité Palestinienne, malgré la conférence d’Anapolis suivie de celle des pays donateurs à Paris, lui doit plus d’un million de dollars en salaires. Et le personnel, formé mais non payé, tend à quitter l’établissement.
Abdallah a travaillé sur d’autres types de handicap : les paralysies « centrales » qui correspondent à des lésions du cerveau. Celles-ci peuvent survenir à la naissance, lors des accouchements difficiles, mais aussi à la suite de traumatismes, en premier lieu de guerre.
Jamal a fait de gros progrès depuis l’an dernier. Il a pris de l’assurance, les trois épreuves se déroulement sans anicroches, il finira major, et en semblera étonné lui-même.
Ashraf a toujours les cheveux gominés, soigneusement tirés en arrière. Comme sujet de mémoire, il a choisi, il y a un an, un travail « prospectif ». C’est-à-dire qu’il a étudié une série de cas similaires opérés à partir de la date de début de son travail. Ashraf a opéré la quasi-totalité des cas qui se sont présentés à l’hôpital.
Même lorsqu’il n’était pas de garde, il est venu opérer lui-même ces cas particuliers, car c’était SON sujet. Le nombre de cas traités est impressionnant. Cela devrait donner un bon article ou une bonne communication dans un congrès international.
Mais Ashraf pourra-t-il se rendre dans un congrès international, pour publier son travail ? Aura-t-il le visa pour entrer dans les heureux pays où se tiennent des congrès internationaux ? Aura-t-il même l’autorisation de l’Autorité Palestinienne qui ne reconnait pas le pouvoir de Gaza et rêve de le voir chuter ?
En fin de journée, ils seront sept chirurgiens palestiniens à être diplômés de l’enseignement d’une université française, sans avoir quitté un seul jour les sables de Gaza.
Les noms des personnages mentionnés ici, comme les faits, sont bien réels.
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