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Gaza - 13 janvier 2009
Par Vittorio Arrigoni
Paru dans Il Manifesto le 10 janvier 2009
Dans la bande de Gaza, un peloton d’exécution a mis Hippocrate contre un mur, l’a visé et a tiré. Les déclarations absurdes d'un porte-parole des services secrets israéliens, selon lesquelles l'armée aurait reçu le feu vert de tirer sur les ambulances parce qu’elles transporteraient des terroristes, est une illustration de la valeur qu'Israël attribue à la vie humaine ces temps-ci, à la vie de ses ennemis.
Cela vaut la peine de revoir ce qui est dit dans le serment d'Hippocrate, que jurent tous les médecins avant de commencer à exercer la profession. Les passages suivants sont particulièrement à noter :
« …Je m'engage solennellement à consacrer ma vie au service de l'humanité. Je pratiquerai ma profession avec conscience et dignité. La santé et la vie de mon patient seront mon principal souci. Je guérirai tous les patients avec la même diligence et engagement. Je ne laisserai pas des considérations de religion, de nationalité, de race, de parti politique, ou sociales interférer entre mon devoir et mon patient.
Sept médecins et infirmiers volontaires ont été tués depuis le début de la campagne de bombardement, et une dizaine d'ambulances ont été visées par l'artillerie israélienne. Les survivants tremblent de peur, mais refusent de reculer. Les flashs pourpres des ambulances sont les seuls éclats de lumière dans l'obscurité des rues de Gaza, à part les flashs qui précèdent une explosion.
En ce qui concerne ces crimes, le dernier rapport vient de Pierre Wettach, chef de la Croix-Rouge à Gaza.
Son ambulance est arrivée sur les lieux d’un massacre, à Zaitoun, à l'Est de la ville de Gaza, seulement 24 heures après l'attaque israélienne. Les sauveteurs ont déclaré qu’ils s’étaient retrouvés face à un scénario à vous glacer le sang.
"Dans l'une des maisons quatre petits enfants ont été retrouvés près du corps de leur mère décédée. Ils étaient trop faibles pour tenir sur leurs jambes. Nous avons également trouvé un survivant adulte qui était également trop faible pour tenir debout. Environ 12 cadavres ont été découverts gisant sur les matelas.
Les témoins de ce énième massacre décrivent la façon dont les soldats israéliens, après être entrés dans le quartier, ont rassemblé de nombreux membres de la famille Al Samouni dans un bâtiment et l’ont ensuite bombardé à plusieurs reprises.
Mes collègues de l’ISM et moi avons circulé pendant des jours dans des ambulances du Croissant Rouge, durant lesquels nous avons subi de nombreuses attaques et perdu un ami très cher, Arafa, touché par le tir d’un obus. Trois autres secouristes, tous des amis, sont actuellement hospitalisés dans les hôpitaux où ils travaillaient il y a encore quelques jours.
Notre travail dans les ambulances est de ramasser les blessés, pas les combattants de la guérilla. Lorsque nous trouvons un homme allongé dans la rue, dans une mare de son propre sang, nous n'avons pas le temps de vérifier ses papiers ou de lui demander s’il fait partie du Hamas ou du Fatah. Les plus gravement blessés ne peuvent pas parler, tout comme les morts.
Il y a quelques jours, alors que nous récupérions un malade gravement blessé, un autre homme avec des blessures légères a tenté de grimper dans l'ambulance.
Nous l’avons poussé dehors, juste pour faire comprendre à ceux qui nous observent d'en haut que nous ne sommes pas un taxi qui conduit des membres de la résistance. Nous ne prenons que les plus mortellement blessés – ce dont il y a toujours abondance, grâce à Israël.
La nuit dernière, Miriam, 17 ans, a été amenée à l'hôpital Al Quds dans la ville de Gaza, avec de fortes douleurs d’accouchement. Son père et sa belle-sœur, tous les deux morts, étaient passés par l'hôpital dans la matinée, victimes des bombardements aveugles. Miriam a donné naissance à un magnifique bébé pendant la nuit, sans savoir que pendant qu’elle était dans la salle d’accouchement, son jeune mari était arrivé à la morgue juste un étage en-dessous.
En fin de compte, même l'Organisation des Nations Unies s’est rendue compte que, ici à Gaza, nous sommes tous dans le même bateau, tous des cibles mobiles pour les tireurs d'élite. Le nombre de morts est maintenant de 789 morts, 3.300 blessés (410 dans un état critique), 230 enfants ont été tués et il y a de nombreux disparus. Le nombre de morts du côté israélien s’est, heureusement, arrêté à 4.
John Ging, le chef de l'UNRWA (l’agence de l'ONU pour les droits des réfugiés palestiniens) a déclaré que les Nations Unies avaient annoncé qu'elles suspendaient leurs activités humanitaires dans la bande de Gaza. Je suis tombé sur Ging dans le bureau de presse de Ramattan et je l’ai vu menacer du doigt Israël avec dédain devant les caméras.
L'ONU a cessé ses activités dans la bande de Gaza après que deux de ses employés aient été tués hier, ironiquement pendant la trêve de trois heures qu'il avait annoncé et comme d'habitude, n'avait pas réussi à respecter.
"Les civils dans la bande de Gaza disposent de trois heures par jour pour survivre, les soldats israéliens ont les 21 autres heures pour tenter de les exterminer", ai-je entendu dire Ging qui se trouvait à deux pas de moi.
Yasmine, la femme de l'un des nombreux journalistes qui attend au passage d'Erez, m’a écrit de Jérusalem. Israël n'accorde pas de laissez-passer à ces journalistes pour les laisser entrer et filmer et décrire l'immense catastrophe non naturelle qui s'est abattue sur nous au cours des treize derniers jours.
Ce sont ses mots : "Avant-hier, je suis allée jeter un coup d'oeil sur la bande de Gaza de l'extérieur. Les journalistes du monde sont tous regroupés sur une petite colline de sable à quelques kilomètres de la frontière. D'innombrables caméras sont pointées vers nous. Des avions planent au-dessus de nos têtes – on peut les entendre, mais pas les voir. Ils semblent être des illusions, comme quelque chose qui est dans votre tête jusqu'à ce que vous voyez une fumée noire à l'horizon, dans la bande de Gaza. La colline est aussi devenue un site touristique pour les Israéliens de la région. Avec leurs grosses jumelles et caméras, ils viennent regarder les bombardements en direct. »
Alors que j'écris ce texte à toute vitesse, une bombe est tombée sur le bâtiment à côté de celui où je suis maintenant. Les vitres ont tremblé, j’ai eu mal aux oreilles, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu que le bâtiment regroupant les principales agences de presse arabes avait été touché. C'est l'un des plus hauts bâtiments de la ville de Gaza, le bâtiment Al-Jaawhara. Une équipe de tournage est en permanence sur le toit, je peux maintenant les voir tous fixant le sol, en agitant les bras et en demandant de l’aide alors qu’ils sont recouverts d’un nuage noir de fumée.
Ambulanciers et journalistes, ce sont les professions les plus héroïques de ce coin du monde. À l'hôpital Al-Shifa, hier, j'ai rendu visite à Tamim - c'est un journaliste qui a survécu à un raid aérien.
Il a expliqué pourquoi il pensait qu'Israël adoptait les mêmes techniques que les terroristes d'Al-Qaida, en bombardant un bâtiment, en attendant l’arrivée des journalistes et des ambulances avant de lâcher sur eux une bombe pour les tuer.
A son avis, c'est la raison pour laquelle il y a autant de victimes parmi les journalistes et les secouristes.
Alors qu’il dit cela, les infirmières autour de son lit acquiescent toutes d’un signe de la tête. En souriant, Tamim m'a montré ses deux moignons de jambes.
Il était heureux, il était encore près à raconter l'histoire, tandis que son collègue, Mohammed, était décédé, une caméra à la main lorsque la deuxième explosion s'est avérée fatale.
Dans l'intervalle, j'ai posé des questions sur la bombe qui vient de tomber sur l'immeuble voisin, où deux journalistes, deux Palestiniens, l'un d’une télévision libyenne et l'autre de Dubai TV, ont été blessés.
C’est un dur rappel que ce massacre ne doit en aucune façon être décrit ou enregistré. Tout ce qu’il me reste à espérer, c’est que personne parmi les chefs de l’armée israélienne ne lise Il Manifesto, ou ne visite régulièrement mon blog.
Restez humain.
Source : http://palsolidarity.org/
Traduction : MG pour ISM
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