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Gaza - 9 janvier 2009
Par Vittorio Arrigoni
Rédigé le 7 janvier 2009, à Gaza
Hier, j'ai pris quelques photos en noir et blanc, les caravanes de carrioles tirées par des mules, incroyablement surchargées d’enfants agitant des draps blancs pointés vers le ciel, le visage pâle et terrifié. En regardant les photos de réfugiés qui fuient aujourd'hui, j'ai eu des frissons dans le dos. Si elles pouvaient être juxtaposées à celles témoignant de la Nakba en 1948, la catastrophe palestinienne, elles en seraient le parfait reflet.
Ils ont défilé la peur au ventre, en levant les yeux, s’abandonnant au ciel qui déverse sur eux la terreur et la mort, craignant que la terre tremble à chaque pas, ouvrant des cratères où se trouvaient des maisons, des écoles, des universités, des marchés, des hôpitaux, et enfouissant leur vie à l’intérieur pour toujours.
J'ai vu des caravanes de Palestiniens désespérés évacuer Jabalia, Beit Hanoun et tous les camps de réfugiés dans la bande de Gaza, s'entassant dans les écoles des Nations Unies comme les survivants d’un tremblement de terre, comme les victimes d'un tsunami qui mange la bande de Gaza, jour après jour, avec sa population civile, sans pitié ou respect des droits de l'homme et des Conventions de Genève. Sans qu’aucun gouvernement occidental ne bouge le petit doigt pour arrêter ce massacre, ou envoie du personnel médical ici, ou arrête le génocide qu'Israël perpètre ces temps-ci.
Les attaques aveugles lancées contre les hôpitaux et le personnel médical continuent. Hier, après avoir quitté l'hôpital Al Awda à Jabalia, j'ai reçu un appel d'Alberto, un collègue espagnol de l'ISM - m'annonçant qu'une bombe avait été larguée là-bas et qu'Abu Mohammed, un infirmier, avait été grièvement blessé à la tête.
Quelques instants avant, en face d'un café, j’écoutais ses récits des actions héroïques des héros du communiste Abou Mohammed, les dirigeants du Front Populaire : George Habbash, Abu Ali Mustafa, Ahmad Al-Sadate.
Ses yeux se sont éclairés quand il a entendu que les premières notions de ce qu’était la Palestine et de son immense tragédie m’avaient été transmises par mes parents, tous les deux des communistes.
Par ma mère, une «Raïssa», ou maire d'une ville du nord de l'Italie. Il m'a demandé qui avaient été, à l’époque, les véritables leaders révolutionnaires de la Gauche italienne, et je lui ai répondu Antonio Gramsci.
Pour ceux d'aujourd'hui, j'ai pris mon temps, en lui disant que j'avais répondu à cette question aujourd'hui. Mais Abou Mohammed est maintenant dans le coma, dans l’hôpital où il travaillait.
Vers minuit, j'ai reçu un autre appel, cette fois d’Eva : le bâtiment où elle se trouvait a été la cible d'attaques. Je connais bien le bâtiment, dans le centre de la ville de Gaza. J'y ai passé une nuit avec quelques amis reporters palestiniens. Ils essaient de saisir quelque chose, à travers des photos et des mots, de la catastrophe non naturelle que nous subissons depuis ces dix derniers jours. Reuters, Fox News, Russia Today et de nombreuses autres agences locales ou étrangères se sont retrouvées visées par sept roquettes tirées par un hélicoptère israélien.
Ils ont réussi à évacuer tout le monde avant que quiconque ne soit grièvement blessé : tous ces cameramen, photographes, journalistes étaient des Palestiniens, étant donné qu'Israël ne permet pas aux journalistes de poser le pied dans la bande de Gaza. Il n'y a aucun objectif "stratégique" autour de ce bâtiment, ni de résistance qui se battrait contre les véhicules blindés israéliens meurtriers, puisqu’ils sont plus loin, dans le Nord.
Manifestement, quelqu'un à Tel-Aviv ne peut pas supporter les images des massacres de civils qui sont inconciliables avec celles fournies lors des briefings d’informations des officiers israéliens où est offert l’apéritif aux journalistes intéressés. Grâce à ces conférences de presse, ils déclarent au monde entier que les bombes ne visent que les terroristes du Hamas, et non les enfants atrocement mutilés que nous sortons des décombres tous les jours.
À Zeitoun, à une dizaine de kilomètres de Jabalia, un bâtiment bombardé s’est écroulée sur une famille, faisant une dizaine de victimes. Les ambulances ont dû attendre plusieurs heures avant de parvenir sur les lieux, car l’armée persistait à nous tirer dessus. Ils tirent sur les ambulances et bombardent les hôpitaux.
Il y a quelques jours, alors que j'étais en direct avec une célèbre radio de Milan, un "pacifiste" israélien m’a expliqué bien clairement que c’était une guerre où les deux parties utilisaient toutes les armes à leur disposition.
J'ai donc invité Israël à larguer l'une de ses nombreuses bombes atomiques sur nous, celles qu'il planque en secret, en défiant tous les traités contre la prolifération nucléaire. Pourquoi ne pas tout simplement lâcher cette bombe décisive et mettre un terme aux souffrances inhumaines de milliers de corps, allongés en lambeaux dans les salles surpeuplées des hôpitaux que j’ai visités ?
Hier, j'ai pris quelques photos en noir et blanc, les caravanes de carrioles tirées par des mules, incroyablement surchargées d’enfants agitant des draps blancs pointés vers le ciel, le visage pâle et terrifié. En regardant les photos de réfugiés qui fuient aujourd'hui, j'ai eu des frissons dans le dos. Si elles pouvaient être juxtaposées à celles témoignant de la Nakba en 1948, la catastrophe palestinienne, elles en seraient le parfait reflet.
La lâche passivité des soi-disant Etats et gouvernements démocratiques est responsable d'une nouvelle catastrophe qui bat son plein actuellement, une nouvelle Nakba, une nouvelle épuration ethnique dont est victime la population palestinienne.
Jusqu'à il y a quelques instants, nous avons comptabilisé 650 morts, 153 enfants assassinés, plus de 3000 blessés, et de nombreux disparus.
Le nombre de victimes civiles en Israël s’est, heureusement, arrêté à 4. Mais après cet après-midi, le nombre de morts du côté palestinien exige un recomptage d'urgence depuis que l'armée israélienne a commencé à attaquer des établissements scolaires des Nations Unies. Les mêmes qui avaient offert un abri aux milliers de personnes évacuées sous la menace d'une attaque imminente. Ils les ont chassés des camps de réfugiés, des villages, pour les rassembler dans un seul endroit, une cible facile. Trois écoles ont été attaquées aujourd'hui, la dernière étant à Al Fakhura, dans Jabalia, qui a été frappée en pleine tête. Plus de 80 morts. En un battement de cœur, des hommes, des femmes, des personnes âgées et des enfants ont été liquidés, en se croyant être en sécurité à l'intérieur de ces murs teintés de bleu et ornés d'un logo des Nations unies.
Les 20 autres écoles de l'ONU tremblent désormais de peur. Il n'y a pas moyen de sortir de la bande de Gaza. Ce n'est pas le Liban, où les civils des villages du sud ciblés par les bombes israéliennes pouvaient fuir vers le Nord, ou la Syrie ou la Jordanie. En tant qu’énorme prison à ciel ouvert, la bande de Gaza est devenue un piège mortel.
Nous nous regardons les uns les autres avec perplexité et nous nous demandons si le Conseil de sécurité des Nations Unies condamnera enfin à l'unanimité ces attaques après que leurs propres écoles aient été visées. Quelqu'un là-bas a vraiment décidé de transformer ce lieu en un désert, puis ensuite demander la paix.
Une longue nuit dans les ambulances nous attend maintenant, même après l'aube est devenu une illusion ici. Les tours d'antenne pour nos téléphones portables dans toute la bande de Gaza ont été détruites et nous avons dû arrêter de compter dessus.
J'espère que je pourrai un jour être en mesure de voir tous mes amis que je ne peux plus contacter, mais je ne me fais pas d'illusions. Tout le monde sans exception dans la bande de Gaza est une cible.
Le consulat italien vient juste de me contacter, en disant que, demain, ils doivent évacuer une camarade italienne, une religieuse âgée qui vivait près de l'église catholique de Gaza depuis ces vingt dernières années, et qui été maintenant adoptée par les Palestiniens dans la bande de Gaza.
Le consul l’a gentiment exhorté à saisir cette dernière occasion, et échapper à cet enfer avec la religieuse. Je le remercie pour l'offre, mais je ne pars pas d'ici - je ne peux pas. Pour toutes les pertes que nous avons subies, avant d'être italien, espagnol, britannique ou australien, nous sommes tous des Palestiniens aujourd'hui.
Si seulement nous pouvions faire cela juste pendant une minute par jour, comme si nous étions tous juifs durant l'Holocauste, je pense que nous aurions épargné la totalité de ce massacre.
Restez humains.
Source : http://guerrillaradio.iobloggo.com/
Traduction : MG pour ISM
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