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Hébron - 31 mars 2005
Par Camyla
L'ironie d'envoyer un rapport d'une telle intensité après avoir raconté mes moments faciles à Qawawis ne passe pas inapperçue.
Les journaux internationaux ont parlé du 24 mars en Palestine, mais relier ma propre participation à l'incident est stupéfiant.
Nous avions passé la nuit précédente sous la tente de Bédouins de Khalid et de sa famille adorable.
Quand le soleil s’est levé, plusieurs femmes du village ont décidé de me transformer en une poupée vivante.
La mère âgée de Khalid m'a baigné (l’un de mes expériences de bain les plus ambarassantes, elle m'a dit plus tard que c’était comme baigner son petit-fils, Nasim) et elle m’a habillé dans la robe traditionnelle d'une dame palestinienne. Noire, avec des broderies complexes, elle atteignait mes chevilles, et les bouts en acier de mes bottes ont été poussés en avant.
Elles m'ont alors changé dans ce que j'ai considéré comme un costume de travail, et elle m'ont enseigné comment traire les moutons.
Je n’étais pas très bonne, pourtant j'ai constaté que j'avais eu un cadeau quand est venu le temps de nourrir les agneaux nouveau-nés. Ryan était parti faire paître les troupeaux de moutons avec les hommes du village, me laissant avec l'impression que la Palestine fonctionne grâce aux femmes; que les hommes semblent juste observer.
Alors que j’étais assise et que j’avais lavé mes jeans que je n'avais pas pris la peine de changer depuis quatre jours, les femmes avec qui j'étais ont fait un signe en direction d’un tracteur qui se dirigeait tout droit vers le village, et ont hurlé "Mustautani" (des colons.)
Ryan et moi avons pris le rebord de la vallée, j’ai remonté ma jupe pour pouvoir mesurer l'espace libre entre les rochers saillants. Il était 9h30. Ryan a tiré sa caméra de son manteau pendant qu'il courait. Le tracteur a contourné Qawawis et a disparu en bas de la route principale pour colons-seulement. Pensant que la menace était terminée, nous avons commencé à rentrer vers la tente de Khalid.
C'est à ce moment-là que nous avons entendu des cris et des hurlements.
Nous avons regardé une fois de plus en direction du haut de la colline, pour voir cette fois-ci la confrontation. Deux voitures de colons s'étaient garées près de la plantation qui sépare la terre palestinienne de ce que les colons prétendent être la leur.
Environ 8 à 10 colons lançaient des pierres sur les bergers et les moutons, en criant sur eux pour les chasser. Quand nous sommes arrivés, à bout de souffle et embarrassés, Robert (Suède) et Kasper (Danemark) ont tenté de se placer entre les colons et les villageois.
Plusieurs des colons avaient leurs armes qui pendaient à leur épaule et un homme avait mis un masque de squelette vert.
Kasper et Robert ont essayé de contacter la police locale, mais chaque tentative était vaine, parce que le poste leur raccrochait au nez. Le village avait essayé d'appeler l’IDF qui est censée surveiller le secteur et écarter la violence extrémiste. Seuls trois soldats présents ont offert un peu d'aide et ont continué à expliquer que ce n’était pas leur travail de nous aider.
Avec notre caméra qui filmait, nous étions devenus une menace. Les colons se sont attaqués aux appareils-photos et à la caméra de Robert, de Kasper, et de Ryan; dans l'espoir de détruire l’enregistrement.
Je me suis placée entre les villageois et une femme qui s’approchaient d’eux en crachant des propos racistes. J’ai mis mes bras sur mon visage pour me protéger, et j’ai essayé, dans cette étrange position, de parler avec elle, afin de peut-être la ramener à la raison. Elle a frappé mes bras, et un moment plus tard, son mari, un gros blond, les cheveux bouclés est apparu, et lui aussi, fulminait en hébreu.
Une bonne partie de ses propos ont été prononcés en anglais quand j'ai commencé à calmer son offensive.
L'abus verbal (de tous les colons) disait :
" Je veux vous voir morts! Sales Arabes! E**lés! Je vais vous frapper ! Nazis! Tueurs de Juifs! Retournez en Allemagne!"
Le lynchage des bergers, des moutons et des pacifistes internationaux a continué en montant en puissance. L'homme masqué s'est précipité sur Ryan, lui a hurlé au visage et l'a poussé à plusieurs reprises. A un moment, il s'est tourné vers moi et a fait la même chose, brandissant alors son arme. L’homme aux cheveux bouclés a donné un coup de tête sur la bouche et le menton de Robert, et d’autres colons sont arrivés sur les lieux, apparemment excités par le chaos.
Puis de nulle part, est arrivé en courant un homme maigre, le regard malsain caché derrière des lunettes, vêtu d’un treillis et faisant tournoyer autour de sa tête (comme un lasso) un microphone/radio tout en hurlant "b***h F**king! Je vais t’avoir!"
Étant la seule fille présente, on pouvait deviner à qui c’était adressé.
(Plus tard, quand je l'ai identifié au cours de l’enquête, j'ai appris que c’était un Allemand converti, âgé de 37 ans qui habitait en Israël depuis 11 ans. Il s’agit de Jochanon Shareth, le chef idéologique de la colonie. C’est également un écologiste bizarre qui confond ses idées fanatiques avec le Sionisme, et qui remplit sa maison en fer de fleurs et d’herbes rares. Lors d’une interview, il a prétendu avoir des "méthodes pour s’occuper des Arabes.")
Il a continué à faire tournoyer son microphone/radio en l'air et a tenté à plusieurs reprises de nous frapper avec. Il a foncé sur Robert et Kasper, en les poussant tous les deux de toutes ses forces et en criant en Hébreu et en Anglais.
Après plusieurs empoignades afin de saisir leurs appareils-photos, il a jeté un coup d'oeil en direction de Ryan et s’est tourné vers lui. Il a pris les bras de Ryan et a tordu l'objectif de la caméra, mais il s’était approché trop près pour que je puisse prendre une photo de l’agression.
J'ai appelé à Ryan pour qu’il éloigne sa caméra, mais quand j’ai vu qu'il ne le pourrait pas, je me suis mise entre eux.
L'homme, ressemblant à une tranche de viande sèche, m'a jeté au sol, a écarté mes jambes et a commencé à me donner des coups de poings à la poitrine, à la gorge, et au visage. Au moment où un soldat et mes amis internationaux l'ont enfin écarté, mon visage a heurté un rocher.
En sanglots, le sang coulant le long de mes dents et de mes gencives, nous nous sommes parvenus à marcher vers l’unique bâtiment de Qawawis. Les colons ont continué à nous narguer et à nous harceler, tout en nous jetant des pierres et en nous suivant toujours.
Alors, la dernière tentative pour appeler la police de Kiryat Arba a décroché; ils ont dit qu'ils étaient en route. Ils nous ont dit d’attendre sur la route. Au loin, nous avons vu 3 ou 4 autres voitures, chargées de colons, qui se garaient à l’entrée du champ.
A leur arrivée, nous avons raconté l'altercation. Nous leur avons dit que nous avions la preuve de l’attaque et décrit les colons qui étaient responsables. Puis, ils sont montés voir les bêtes qui nous avaient agressés. Ceux-ci ont commencé à fulminer (encore avec des hurlements ! Ils semblaient ne pas vouloir s’arrêter!) et ils ont montré notre groupe du doigt : des internationaux, des vieux bergers, des femmes du village, des jeunes couples palestiniens avec leurs enfants dans une remorque qui étaient venus voir ce qui se passait.
Par la suite, ils sont montés dans leurs voitures respectives, et sont partis. La police nous a dit que si nous souhaitions déposer une plainte, il y avait un bus qui pourrait nous conduire à Kiryat Arba. Quand nous avons entendu que les colons seraient dans l'autobus à côté de nous, nous avons expliqué qu’à aucun moment nous ne pourrions monter avec des gens qui venaient de nous attaquer.
Cela a duré un moment, jusqu'à ce que notre avocat parle à l'officier responsable et explique que nous aurions besoin d'un autobus séparé. Cela a alors été accordé, et un berger a fait le choix courageux de venir avec nous. (ceux de Kiryat Arba n’hésiteront pas à frapper un Palestinien pendant l'interrogatoire et je le constaterai par moi-même plus tard.)
Le commissariat de police de Kiryat Arba est, pour le moins, dérangeant.
Le commissariat se trouve sous la plus grande colonie d’Hébron, une colonie qui a été créée quand, en 1967, le Rabbin Leibowitz a tenu un dîner pour les juifs fondamentalistes. Il a fini par un discours au cours duquel il a déclaré que la ville d’Hébron était "Israël" (quand à l’époque, c'était le centre industriel de la Palestine) et a occupé l'hôtel où avait lieu le dîner.
L’IDF est venu pour "légaliser" la situation.
Le Rabbin Leibowitz a ensuite été accusé d’avoir poignardé un jeune palestinien et il a été libéré de façon écoeurante 11 mois plus tard. Kiryat Arba tient toujours en haute estime cet héritage de haine.
Quans nous y étions, deux jeunes adolescents palestiniens ont été amenés. Ils avaient tous les deux les yeux bandés, ils tremblaient et pleuraient pendant qu'ils étaient détenus contre le mur de la prison. Nous avons essayé de parler avec eux pour avoir plus d’informations, mais un soldat leur a interdit de répondre.
Le supplice au commissariat, complété par les flics les plus irrespectueux et condescendants auxquels j'ai jamais parlé, a commencé à 11h. Cela ne s’est terminé que le lendemain.
Au début, nous étions ensemble pour faire un rapport commun. Après, chacun d’entre nous avons témoigné séparément, derrière des portes fermées. Les flics nous ont dit que la durée de notre séjour malheureux était pour eux une perte de temps. Ils ont également continué à nous accuser à tort en disant que nous avions remplacé les enregistrements vidéo, que nous étions sur la terre des colons et que nous n'étions pas des conciliateurs neutres.
Alors nous avons commencé à les interroger quand nous avons remarqué qu’un seul colon était au commissariat de police et qu'ils employaient les mots "détenu" et "suspect" en parlant de nous. Ils nous ont alors informés que les colons avaient déposé une plainte CONTRE NOUS, en prétendant que NOUS les avions attaqués. Quoi!?
Le reste de la soirée s’est déroulé comme un château de cartes. Tous nos témoignages se transformaient en défense, et nous avons dû répondre en permanence à des accusations. Les flics corrompus ont même eu l’affront, alors que nous regardions l’enregistrement vidéo, image par image, de suggérer que nous étions les agresseurs, quand le film montrait exactement l’opposé.
Ah, et quant au film, je ne voulais pas le donner sans reçu écrit, ou sans pouvoir parler à notre avocat. L'officier responsable a commencé à hurler. Il a prétendu que nous n'avions droit à aucune garantie, aucun droit tout pendant qu’il était l’enquêteur.
Alors que je ne voulait toujours pas lui remettre la bande sans promesse qu’il me la rendrait, il a dit que j'étais en état d'arrestation, et a demandé à une femme officier de m’emmener dans la salle de bains pour une fouille à nu. Les trois copains, qui ne voulaient pas que je passe par cette humiliation, m'ont dit de la donner.
Je l’ai donc donnée et je n'ai toujours pas reçu de copie en retour.
En outre, bien que j'aie demandé à plusieurs reprises une assistance médicale, on me l’a refusé et cela a été déclaré plus tard devant le tribunal.
Plus tard, après la farce de "l’enquête", (un flic m'avait informé pendant l'interrogatoire que ce que nous disions n’était pas pertinent et que les témoignages des colons semblaient plus cohérents que les nôtres), on nous a présenté quelque chose qui ressemblait à une sorte d’arrangement.
Ils ont exigé que nous ne revenions pas à Qawawis pendant 40 jours (ensuite cela est passé à 14 jours, parce que plus de 15 jours est illégal en Israël) et que nous ne poursuivions pas notre travail dans le secteur.
Nous avons refusé, naturellement, parce que les événements de la journée avaient prouvé que les internationaux doivent être dans le secteur pour protéger la population des colons pertubateurs. Après notre refus, ils ont hurlé que nous étions en état d'arrestation et nous ont menacé de déportation.
Choqués, et pensant que les mots faisaient partie d'un bluff élaboré jusqu'à ce que nous soyons séparés, nous avons essayé (avec succès) de nous remonter le moral mutuellement.
Il a baissé vers 23 h, quand ils m'ont séparé de Ryan, de Robert, et de Kasper, et que les policiers les aient emmenés au centre de détention situé dans le commissariat.
Mais ha! Peu de temps avant, Ryan et moi avions partagé un long baiser.
Il était près de 2h du matin quand j'ai été emmenée à la prison des femmes, à 40 bonnes minutes de Kiryat Arba, sur la route de Jérusalem. J'ai eu une conversation intéressante avec Maya, la jeune femme officier qui s'est assis à côté de moi pendant le trajet dans la jeep de l'armée. Oui, le syndrome de Stockholm est possible.
Le lendemain matin était le jour de la lecture de notre acte d’accosation devant le tribunal de Jérusalem, mais ce sera pour un autre email. Mes mains me blessent, et je suis fatiguée.
En solidarité
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : MG pour ISM
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