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ISM France - Archives 2001-2021

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Gaza -

Beit Hanoon

Par

30 décembre 2008. Ca s’est passé à 9h ce matin. Nous étions en train de discuter avec Sabrine Naim, devant la maison de sa famille, qui venait d’être complètement démolie. De gros morceaux de débris – un d’un mètre de long – du verre et des morceaux coupants du toit brisé, avaient écrasé les lits, les chaises, la cuisine et la salle de séjour.

Beit Hanoon


Seuls deux des douze membres de la famille étaient à la maison. Ils s’attendaient à l’attaque. Et elle est arrivée à 4h du matin – un missile tiré par un F16 sur le poste de police local et les bureaux du Front Populaire de Libération de la Palestine. Des gravats fumants et des pierres et de la poussière ont été éparpillés partout à Beit Hanoon – le marché, la station de taxi et la rue principale sont jonchés de débris.

Sabrine a été touchée à la face par des petits morceaux de la maison de son voisin. Une partie de sa joue droite est couverte d’un épais pansement blanc. Elle a les yeux humides et semble épuisée. Les débris ont aussi frappé son ventre très rond de femme enceinte. A un mois de l’accouchement, elle vient de passer deux heures à l’hôpital local.

L’explosion à 4h du matin nous a tous sorti de nos lits. Un bang soudain et gigantesque – le bruit des murs de béton, des étages et des tiges métalliques explosant sous l’impact en un instant. Des raids avaient eu lieu toute la nuit – la plupart à nouveau sur Jabaliya. De bruits lointains et sourds que vous essayez de localiser par la pensée.

Nous avions passé la nuit à Beit Hanoon, une ville de 40.000 habitants au nord de la Bande de Gaza. Beit Hanoon borde le passage d’Erez et Houg (maintenant appelé Sderot) en territoire israélien. La ville possède quelques-unes des terres les plus fertiles de Gaza. La plupart d’entre elles – des orangeraies et des oliveraies - ont été détruites au bulldozer par l’armée israélienne pour éliminer une couverture possible pour les tirs des combattants contre les colonies et villes israéliennes. Pourtant, à cause de sa proximité avec les villes israéliennes, on sait que des roquettes sont tirées d’ici.

La maison familiale où nous étions a été occupée par les soldats israéliens lors de la dernière invasion de 2006. Les six membres de la famille ont dû déménager au rez-de-chaussée, pendant que les soldats faisaient des trous dans les murs des pièces à l’étage supérieur pour en faire des postes de tir. Si le bruit de l’invasion – des chars, des Apaches, des F16, des bruits de bottes, des soldats et du ronflement sans fin des drones de surveillance – n’empêchait pas la famille de dormir, alors le bruit de tirs isolés et le fait de se demander quoi ou qui avait été touché, l’inquiétude que ce soit un voisin ou un membre de la famille, ajoute à l’invasion interne.

La maison, située dans une cour avec des oliviers et une terrasse avec une large vue sur les rues environnantes, est un endroit parfait pour les tireurs. Une autre maison, celle du docteur Mohammad Naim, spécialiste des prématurés à l’hôpital Shifa, a été occupée 12 fois en 8 ans par les soldats israéliens. Il n’a même pas pris la peine de recouvrir les traces grises du béton nu aux murs des pièces de l’étage. Il y avait eu des trous pour les tireurs. Et il savait qu’ils reviendraient. Le mur extérieur aussi portait les indications d’orientation peintes typiques des soldats de l’occupation avançant dans les ruelles étroites la nuit.

« Pensez-vous que vous partirez s’ils envahissent ? », lui ai-je demandé. « Où irai-je ? », m’a-t-il dit, « je n’ai nulle part où aller ». Il m’a montré la serrure de sa porte d’entrée, « elle a été défoncée au moins 20 fois ». Le docteur Mohammad a eu les yeux bandés et a été emmené à l’école agricole, au nord de Beit Hanoon, pendant la dernière invasion, avec tous les autres hommes du secteur âgés de 16 à 40 ans.

Il a été interrogé et détenu du jeudi après-midi au vendredi soir. « A chaque invasion ils occupent ma maison. Ils coupent l’électricité et se servent de leurs propres torches. La dernière fois, ma famille a dû rester au rez-de-chaussée pendant cinq jours. Ce sont mes enfants qui sont le plus touchés, ils se souviennent de tout, les chars, l’invasion, mon emprisonnement ; aucun d’entre eux n’est autorisé à sortir, même pendant les ruptures de couvre-feu ». Lorsque je lui demande comment les soldats se comportent vis-à-vis de la famille, il dit : « Eh bien, ça dépend des équipes, quelquefois ils sont corrects, quelquefois ils peuvent être agressifs. Mais dans la situation actuelle, tout mouvement peut entraîner des tirs. »

50 personnes ont été tuées ici”. C’est mon ami Sabr qui parle. Il montre la rue, devant la maison de sa soeur – une autre à être toujours occupée par les soldats, comme celle du Docteur Mohammad. Lors de la dernière invasion, la résistance a fait reculer les tanks. Il en a résulté un bain de sang. La maison de sa famille a été complètement démolie.

Lorsque vous circulez dans les rues ici, pratiquement chaque maison a un martyr – le statut de martyr est attribuée à quiconque, jeune ou vieux, combattant ou civil – a été tué par les forces d’occupation. C’est une marque de respect, une stratégie d’adaptation au nombre de mort en hausse et un niveau de perte en augmentation, inconsolable, qui affecte chaque famille. C’est aussi une manière d’honorer et de rendre hommage aux vies prises par la violence. Chacun connaît un voisin, un ami, un cousin, quelqu’un qui a été tué par les forces israéliennes d’occupation. Ici, les communautés ressentent chaque mort de façon personnelle, parce que tout le monde se connaît. Les familles élargies et les réseaux de parenté qui se sont développés dans l’expérience collective de dépossession et d’expulsion sont une toile de soutien et un fil commun nés des tentes devenues des maisons, proches les unes des autres et témoignant ensemble. A cause de la taille des familles et de la proximité dans laquelle vivent les gens ici, il y a une expérience naturelle participative dans presque tous les aspects de la vie quotidienne. Et pour chaque assassinat il y a un témoin, pour tout ce qui arrive dans la vie des gens, il y a des témoins, toujours un « ensemble ».

Nous passons devant un énorme cratère dans la rue Al Wahd, juste en face de la Clinique Al Qods. C’est là qu’un missile tiré soit d’un drone de surveillance ou d’un F16 a frappé Maysara Mohammad Adwan, 47 ans, mère de 10 enfants, et Ibrahim Shafiq Chebat, 24 ans, les explosant dans un tas de ciment et de glaise. Shafiq Chebat, le père d’Ibrahim, professeur d’arabe classique, fut le premier à découvrir le corps, mais il n’a pas immédiatement reconnu son fils. Un bulldozer dégageait les débris lorsqu’un bras est apparu. « Je n’aurais jamais pensé le trouver ici », a-t-il expliqué. « Il était un civil, il était parti travailler à l’usine 7-Up, je pensais qu’il était au travail. »

A cause d’une frappe israélienne près de l’usine, dans la rue Salahadeen, le personnel a été renvoyé chez lui plus tôt, pour sa propre protection. La belle-sœur de Shafiq, Fatima, m’explique : « Il était enterré sous des mètres de boue et de pierres ! Il a fallu deux heures pour le trouver. Et son père ne savait pas que c’était lui. C’était son plus jeune fils, il criait ‘c’est Ibrahim, c’est Ibrahim’. Et il répétait ‘non, ce n’est pas mon fils’, mais lorsqu’il a enlevé la boue du visage et qu’il a vu que c’était lui, il est tombé par terre, il s’est évanoui. »

Ibrahim travaillait à l’usine 7-Up pour avoir de l’argent pour son mariage. Il devait se marier avec Selwan Mohammad Ali Shebat, une veuve, elle dit qu’elle est « brisée par le chagrin ».

La pièce de deuil des femmes était pleine de mères qui avaient perdu des fils, assises autour de la mère d’Ibrahim sur des matelas. Fatima et Kamela, les sœurs de Sadeeya, la mère d’Ibrahim, ont chacune perdu un fils. « Je suis la mère d’un martyr et elle est la mère d’un martyr, nous avons beaucoup de martyrs ici ». Le fils de Fatima, Mohammad Kaferna, a été tué par un obus en septembre 2001, alors que le fils de Kamela, Hassan Khadr Naim, a été frappé par un missile en 2007.

Sadeeya, assommée de chagrin, levait ses bras au ciel, pleurant la mémoire de son fils, « Je lui ai dit ‘ne sors pas, ne sors pas, ne sors pas, ne sors pas’ ».

Kamela, la soeur de Sadeeya, se penche vers moi. « Ils se servent d’armes de guerre contre nous », dit-elle. « Nous sommes des civils et ils nous bombardent avec des avions de guerre ».

Les bâches bleues des tentes de deuil réduisent au silence les rues de Beit Hanoon, comme le reste de Gaza. Des hommes sont assis, les uns à côté des autres, sur des chaises en plastique, ils boivent du café amer et mangent des dates. Leur commémoration collective et calme est, pour trop de familles et de communautés, le moyen de passer à de nouveaux niveaux de désolation et de résilience collectives.

Revenons à ce matin, 9h, et à ce qui s’est passé.

Nous discutions avec Sabrine Naim, dans les gravats de sa maison, lorsque nous avons entendu deux bruits sourds, brefs. Un panache de fumée noire s’élevait dans le ciel. Nous pensions que c’était loin, peut-être à la sortie de Beit Hanoon – et nous sommes allés à l’hôpital de Beit Hanoon, le seul dans la ville. C’est une structure de base, avec seulement 47 lits, comparés aux 600 de l’hôpital Shifa, et sans unité de soins intensifs. Beit Hanoon étant considéré comme situé en première ligne en cas d’invasion israélienne au sol, l’hôpital est dramatiquement sous-équipé. Il y a deux jours, il n’avait qu’une ambulance. Aujourd’hui, 5 autres ont été prêtées par des hôpitaux privés locaux et attendent sur le parking, pour le pire.

« Ils les emmènent, ils les emmènent », entendons-nous les gens dire. Je m’attends à voir une ambulance apparaître au coin de la rue, mais à sa place, c’est un âne tirant une carriole en bois qui passe la grille de l’hôpital au petit galop. Il transporte trois enfants noircis portés par des hommes. Ils prennent les corps sans vie dans leurs bras et se précipitent dans l’hôpital. Les mères arrivent peu après en voiture, courant vers les portes de l’hôpital les pieds nus.

Haya Talal Hamdan, 12 ans, a été transportée dans la principale salle d’urgence et allongée. Rapidement, on l’a couverte d’un drap blanc, alors que sa mère, soutenue par des parents, s’effondre. Ismael, 9 ans, respire, sa poitrine se soulève rapidement tandis que les médecins se précipitent pour examiner son corps criblé d’éclats d’obus.

Dans la salle d’urgence, il y avait aussi Lamma, 4 ans. Ouvrant la porte, j’ai vu un médecin lui faisant une réanimation cardio-respiratoire, encore et encore, essayant de la ramener à la vie, mais c’était trop tard. Elle est morte devant nous.

La mère de Lamma s’accuse, « Je lui ai demandé de sortir la poubelle, sortir la poubelle, je n’aurais jamais dû lui demander de sortir la poubelle ». Une cousine, livide, « Elle n’avait même pas commencé à aller à l’école ! Nous dormions, et ils nous traitent de terroristes ? Comment ont-ils pu tuer cette enfant avec un F16 ? »

Le Docteur Hussein, chirurgien à l’Hôpital de Beit Hanoon, a dit que la cause de la mort était « des blessures multiples et une hémorragie interne ». Des blessures fatales puisque les corps avaient été « projetés en l’air à 10 mètres ».

A l’extérieur de l’hôpital, je me retourne et je vois une fillette, de peut-être 10 ans, en jupe longue et veste trop petite. Elle est belle, avec des traits fins et des yeux d’un brun profond. Elle est seule, ce qui est rare pour un enfant ici, car ils se déplacent ensemble. Elle semble terriblement seule, dans la rue sans voiture. Je lui dis ‘bonjour’ et lui souris, elle vient vers moi et nous nous serrons la main, et je suis frappée, après la violence de la mort de Lemma et Haya, et la confusion et la douleur de l’hôpital, de voir combien elle est vulnérable et comme son avenir est incertain.

Après l’hôpital, nous allons sur le lieu de la frappe – la rue Al Sikkek, près du passage d’Erez. Deux énormes cratères de 6m de diamètre et à 20m de distance l’un de l’autre balafrent un terrain vague entre deux rangées de maisons. Un des cratères s’est transformé en lac ; le missile a éclaté une conduite d’eau. Iman, une gamine de 12 ans aux cheveux longs à l’allure de garçon manqué, avec jeans et bonnet de laine, a été témoin de toute l’attaque. Elle nous emmène sur le toit de sa maison pour nous montrer où elle était, et ce qu’elle a vu.

Au second cratère, près de deux bennes à ordures vertes, nous voyons une bicyclette tordue et une charrette en bois, enchevêtrées avec des sacs plastiques de déchets que les enfants n’ont pas eu le temps de jeter. Il y a encore du sang par terre. Des groupes de jeunes gens viennent regarder au fond des cratères, et montrent l’eau qui jaillit et qui se mélange à l’égout. Ils montrent aussi du doigt un bâtiment explosé, à côté – dont un coin manque – victime d’un missile israélien en 2007.

Nous revenons vers la rue principale, où des hommes graves sont massés sur les trottoirs, en cortège de deuil. Ils parlent doucement et nous regardent d’un air absent. Iman nous explique : « Je demande toujours à Dieu de devenir un martyr comme les autres enfants. Ma mère me demande pourquoi, mais ici ils tuent des enfants tous le temps, et si je meurs, je préfère être un martyr, comme les autres. Il vaut mieux mourir que vivre une vie comme ici. »

Source : Free Gaza Movement

Traduction : MR pour ISM

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