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Palestine - 12 mars 2010
Par Mazin Qumsiyeh
Ce fut difficile de dire au-revoir à ma femme et à mes amis aux Etats-Unis. La dernière soirée fut très émouvante ; nous étions à New-York pour assister à une lecture de Najla Said, la fille de mon ami et mentor, feu le Professeur Edward Said. J’ai pleuré pendant qu’elle parlait parce que ses paroles exprimaient des émotions profondes que j’ai souvent ressenties mais sur lesquelles j’ai du mal à mettre des mots. J’ai été touché par la franchise avec laquelle elle exprime ses émotions d’être, comme son père, « pas à sa place » à New-York, et, d’une manière ou d’une autre, reliée à la Palestine. La pièce s’appelle simplement « Palestine » et elle la termine en disant que la Palestine la fait pleurer. Une pièce vraiment puissante. (1)
Pendant le vol New-York-Amman, j’ai eu le temps de méditer sur le passé, l’avenir et le présent. Des questions se bousculaient dans mon esprit, la plupart sans réponse. Comment ça s’est passé ? Ai-je assez tendu la main à ces quelques personnes qui sont venues à ma conférence à Rutgers et à Northeastern pour défendre le sionisme ? Comment montrer ma reconnaissance à ceux qui sont venus exprimer leur soutien ou qui m’ont accueilli ? Que va-t-il se passer dans les prochaines semaines, pour moi et pour la Palestine ?
[Lire "L'armée israélienne me cherche", 3 mars 2010, NdT]
J'ai été interrompu dans mes pensées par le pilote annonçant que nous allions entrer dans un espace aérien réglementé et que chacun devait revenir à son siège et boucler sa ceinture. Un citoyen états-unien a commenté, alors que l’hôtesse passait, qu’on devait survoler une base militaire. Elle lui a simplement répondu : « Nous survolons Israël. » J’ai pensé « C’est pareil » et j’ai eu envie de le dire tout haut, mais j’ai décidé de me taire.
Nous avons atterri à Aman vers 17h et l’officier qui contrôle les passeports m’a demandé combien de temps j’allais rester, et j’ai dit que j’allais directement en Palestine. J’ai discuté avec le chauffeur de taxi, un Palestinien qui n’a jamais vu la Palestine. Je suis arrivé au poste de contrôle de la frontière jordanienne, qui était vide ; je suis passé rapidement et je suis monté dans l’autobus. Alors que celui-ci traversait le pont vers les territoires occupés, mon cœur s’est mis à battre plus vite. Au premier checkpoint avant le contrôle des passeports, j’ai appelé mon avocat. Son portable ne répondait pas. Une demi-heure après, alors que nous allions descendre de l’autobus, devant le bâtiment de contrôle des passeports, je l’ai rappelé. Pas de réponse. J’ai commencé à transpirer. J’ai appelé ma sœur et je lui ai demandé d’essayer de joindre l’avocat. Il se trouve que deux amis étaient dans le même autobus. L’un d’eux est professeur, lui aussi, à l’Université de Bethléem. Quand je lui ai donné ma carte, il m’a simplement dit : « Ne t’inquiète pas, tout ira bien. » J’ai ressenti une paix intérieure difficile à décrire. Je lui ai souri. J’ai souri au petit garçon de 3 ans qui était assis en face de moi.
Une demi-heure plus tard, mes amis passaient et j’étais au guichet, questionné par une jeune ashkénaze blonde qui ne m’a souri une seule fois. Après avoir examiné mes papiers palestiniens (émis par le ministère israélien) et avoir passé quelques minutes sur son ordinateur, elle m’a demandé de lui montrer mon passeport américain. Elle m’a posé d’autres questions. Elle a consulté la fille à côté d’elle, murmuré quelque chose et pointé l’écran. L’autre fille lui a dit quelque chose comme « kin, aval lo. » Oui, mais non. Je suis resté calme. Elle m’a tendu mon passeport américain. Trois minutes après, elle a tamponné et m’a rendu l’autre document. Mon ami, qui m’attendait, m’a dit : « Tu vois, je te l’avais dit. » Je n’ai pas répondu. J’étais secoué. Des questions me venaient à l’esprit. Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce la confirmation du soupçon qu’ils sont venus chez moi après mon départ pour me faire peur et que je ne rentre pas ? Ou à cause de la pression des lettres du bureau du sénateur, de trois congressistes, de nombreux activistes exigeant qu’on me laisse passer en toute sécurité ? (voir ci-dessous). Ou peut-être encore un nouveau jeu que je ne comprends pas. Peut-être que le talisman bouddhiste que m’a donné un ami pour qu’il me porte chance a marché et qu’ils m’ont loupé ? Peut-être viendront-ils me chercher plus tard ?
L’émotion du soulagement est tempérée par une colère profonde sur toute cette affaire. Quelque soit le jeu qui se joue, il est écœurant et pas drôle. Je me suis promis de ne pas laisser passer, je suivrai les conseils de mon avocat et
a) je répondrai à la convocation et j’irai voir l’officier militaire dimanche 14 ou lundi 15 (après le week-end/Shabbat),
b) je rendrai public ce qui se passera.
J’ai aussi décidé de faire davantage pour soutenir les autres qui ont moins de chance que moi. La lucha continua.
Je suis arrivé chez moi à 23h30, fatigué, éreinté. Ma mère m’attendait dans la rue. Je l’ai embrassée et des larmes me sont venues tandis que je me souvenais des paroles de Najla : « La Palestine me fait pleurer. »
Je vous tiendrai informé de la suite bientôt mais pour l’instant, je vais appeler les amis ici pour où nous en sommes des activités de résistance populaire. Il faut aussi que je prépare mes cours pour demain à l’Université de Birzeit, mais je continuerai à prendre le temps de vous raconter la vie sous occupation.
Je suis extrêmement reconnaissant et touché par tous vos messages de soutien. Une pétition a été créée et elle est en ligne sur TheStruggle.org.
Il y a même une page sur Facebook, où des centaines de membres me soutiennent.
Ce déversement d’amour est difficile à rendre mais s’il y a quoique ce soit que je puisse faire pour n’importe lequel d’entre vous, n’hésitez pas à me le demander. Par exemple, je serais très heureux de vous accueillir en Palestine et de vous la faire visiter.
Pour l’heure, je jouis du plaisir simple de manger les amandes vertes de mon jardin. Et le voyage continue à la recherche « d’une participation joyeuse aux chagrins de ce monde ». La vie sous occupation coloniale continue. L’activiste pour les droits de l’homme, Nuri el-Obki, bédouin du Nakab, a été traîné devant le tribunal de Be’er Sheba sous plusieurs chefs d’accusation parce qu’il refuse de quitter sa terre.
Israël continue d’intensifier son travail de manipulation des structures sociales, dans le Nakab comme ailleurs, pour chasser les Palestiniens de leur terre. Aujourd’hui, vendredi 12, les territoires occupés sont bouclés et les fidèles interdits d’aller à la mosquée Al-Aqsa pour éviter toute manifestation de protestation de la dernière décision d’Israël de construire 1.600 nouveaux appartements pour les Juifs dans les quartiers arabes de la cité. Cette décision ne représente pas seulement un crachat au visage d’Abu Mazen, mais aussi à celui du vice-président des Etats-Unis en visite, Joe Biden, qui l’a essuyé en disant que c’était la pluie, selon Ha’aretz.
J’ai de temps en temps des échanges avec un sioniste et plusieurs fois, il m’a dit, en réponse à ce genre d’incident : « le monde est basé sur la puissance/le pouvoir et les intérêts d’Etat, il faut que vous vous y fassiez. »
Je choisis de croire que tout ce qui est bon vient des gens qui refusent ce postulat machiavélique. Après tout, si nous croyions tous en un pouvoir inébranlable, il n’y aurait pas de droits civiques aux Etats-Unis, pas de fin à la guerre au Vietnam, et la Palestine serait déjà devenue un pur Etat juif.
Avec amour pour vous tous,
Mazin Qumsiyeh, PhD
Popular Committee to Defend Ush Ghrab (PCDUG) (Comité populaire pour la défense de Ush Ghrab)
(1) Najla Said lit un extrait de sa pièce « Palestine », dans laquelle elle raconte sa visite à Gaza quand elle était adolescente, avec son père Edward Said, et comment cette visite a changé sa vie.
Source : A Bedouin in cyberspace, a villager at home
Traduction : MR pour ISM
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Mazin Qumsiyeh
12 mars 2010