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Palestine - 15 avril 2005
Par Dominique Waroquiez
Séjour en Cisjordanie : mercredi 30 mars (Journée de la terre)- lundi 4 avril 2005. Témoignage transmis par l’assocation "La société des amis d'Al Rowwad"
Il n’y a pas de paix pour les Palestiniens
En Palestine , la vie quotidienne est très dure, la situation s’est encore aggravée depuis un an. Evidemment ça dépend du point de vue, certains appellent cela la paix.
En réalité c’est toujours l’occupation et il n’y a pas de paix pour les Palestiniens : être Palestinien c’est encore et toujours vivre traqué sous la menace de l’arrestation, des coups, être sans arrêt obligé de résister à l’humiliation, à la pauvreté, à la faim, au désespoir.
Actuellement en Palestine occupée le peuple meurt lentement et résiste en silence et le monde extérieur a la paix qu’il souhaite et qui lui fait du bien.
«Revenez ici …, avait demandé un agriculteur palestinien coordinateur de la campagne contre le Mur aux Internationaux qui visitaient il y a deux ans sa ferme écrasée par les bulldozers, …vous verrez comme tout aura changé…». J
’ai répondu à son appel et depuis je suis revenue deux fois en Cisjordanie occupée : la première fois, il y a un an et j’en reviens à nouveau, presque figée, paralysée, traumatisée par la situation. En effet la sinistre prévision de cet agriculteur se réalise et la Naqba continue. Elle n’a jamais cessé.
L’image insupportable qui me revient sans cesse à l’esprit quand je pense à ce qui se passe en Palestine est celle d’un être humain à qui on a d’abord retiré une main, puis arraché un bras , puis retiré un œil, ensuite une jambe, l’autre œil … Il continue à vivre mais pour combien de temps, et dans quelles souffrances …
En de nombreux endroits , l’énorme Mur est désormais visible, avec ses tours , ses patrouilles de surveillance militaire , des engins de tout type (notamment les tristement célèbres bulldozers Caterpillar ) s’acharnent à le faire avancer le plus vite possible dans un bruit infernal . Les responsables des travaux se foutent pas mal du papier de la Cour Internationale de Justice …
La manière dont ils construisent ce Mur qui peut surprendre car les tronçons ne sont pas construits les uns à la suite des autres, ils sont au contraire séparés : il y en a un en construction ici, un construit là , un autre visible dans le panorama , plus loin encore un …
On pourrait se demander pourquoi car cela semble peu logique en génie civil où on fait notamment attention au coût des constructions. C’est qu’ il ne s’agit pas ici de la construction d’une autoroute ou d’un quelconque travail du style mais bien d’une construction stratégique c’est donc une autre logique , une logique d’oppression qui est en place.
Quand on est en Cisjordanie , un peu partout partout on voit des tronçons de Mur , il ne reste que des trous , des passages : s’installe alors la certitude que lorsque les trous seront bouchés ce sera l’enfermement et la question devient inévitable : pour combien de temps les trous resteront-ils accessibles ?
Dans combien de temps l’enfermement sera-t-il total ?
En pensant à cela ,je ne peux me retenir de penser à une tombe qui se referme «mécaniquement» sur des vivants. Psychologiquement c’est très dur à supporter .
Entre Ar-Ram et Qalandia , le chantier illégal du Grand Jérusalem
En tout cas là où l’an passé on parlait du Mur qui allait arriver et où déjà des premiers blocs étaient posés , maintenant des kilomètres de béton barrent l’horizon et remplacent les mots .
C’est le cas entre A Ram et Qalandya où pendant des kilomètres un Mur de plusieurs mètres de haut coupe la rue palestinienne en deux dans le sens longitudinal , laissant juste deux «passages» où les humains circulent comme des pions absurdes entre «chez eux» et «chez eux», guettés , épiés, contrôlés , arrêtés continuellement par une armada d’occupants en armes qui se montrent ou se cachent, travaillent méthodiquement, rient ou crient.
A A Ram, tout un côté de la rue palestinienne est maintenant de l’autre côté du Mur, les maisons qui s’y trouvent seront volées, annexées au Grand Jérusalem illégal .Entre elles et les maisons de l’autre côté de la rue, le Mur est pratiquement fermé. Il ne reste qu’un trou à combler et l’affaire est dans le sac .
A Qalandia, à l’autre bout du Mur, le checkpoint est devenu un immense chantier , une véritable fourmilière de bulldozers et de camions et le contraste est frappant entre d’une part l’intense activité de ces engins et des militaires israéliens armés et d’autre part le calme des Palestiniens et des Palestiniennes de tout âge qui passent à pied le couloir de tri et de contrôle des papiers… et tentent de rejoindre un taxi pour faire la jonction entre la grande ville de Ramallah au Nord et les autres villes et villages de Cisjordanie occupée.
Autour du passage de tri et de contrôle, le paysage est lugubre, poussiéreux et brouillant : guérites recouvertes de camouflages verts, mur de béton gris avec tour de guet militaire.
Le drapeau étoilé blanc et bleu flotte au vent comme un peu partout en territoire occupé…
Une question hante mon esprit : comment donc Ramallah va-t-elle pouvoir continuer à vivre : c’est une ville après tout or l’occupant la transforme en «ville du bout du bantoustan Nord» et le Mur est en voie d’achèvement, ce n’est plus qu’affaire de temps .
Quant à la route située au Sud du bantoustan en création,la route qui relie Israël à la colonie située à l’Est en territoire occupé ce n’est pas une route pour tout le monde, c’est une route pour les Israéliens et pour les colons, une route dite de contournement , une «by-pass» route, construite pour passer à l’écart , loin des Palestiniens.
Logique ségrégationnaire type : enfermement, isolement , contact interdit.
Logique d’apartheid. Principe de la cage, de la prison … mais une ville ne vit pas sans échange , tout le monde sait cela, de même qu’un village d’agriculteurs a besoin de terres.
Comment la vie sera-t-elle désormais possible avec ce qu’on laissera à l’intérieur du Mur ?
Pendant combien de temps les habitants pourront-ils tenir ?
Deux Israéliennes arrivent, elles font partie du groupe qui observe les chekpoints , elles sont très peu me disent-elles.
«Je ne suis pas sûre que Sharon ne veuille pas que les Palestiniens meurent à l’intérieur» me dit l’une d’elle à qui j’évoquais le fait que son gouvernement créait des réserves et que dans les réserves «indiennes» ou les réserves d’Inuits les gens mourraient «en paix», sans que cela embête le «monde civilisé» .
Je lui demande de répéter sa phrase mais j’ai bien compris , hélàs.
Plus jamais ça ? Le slogan tant aimé du monde endormi m’écœure.
Ici il n’y a pas de flamme de bougie pour se recueillir, juste un groupe de soldats en armes qui entoure et arrête un jeune Palestinien sorti du lieu de tri. Ici, l’occupation se poursuit, asphyxie, étrangle lentement la population de la ville et des villages environnants. Ca n’empêche pas le monde extérieur de vivre en paix …
Sur place, je constate la parfaite concordance entre le plan de Sharon (la carte de papier) et la réalité qui se construit sur le terrain : le sort du Grand Jérusalem illégal est évident : il doit être annexé à Israël .
C’est pour cela que dans cet espace les Palestiniens sont refoulés, traqués, contrôlés sans cesse , menacés pour une raison ou l’autre…
Bien sûr de préférence à l’écart des yeux des touristes de la vieille ville et des lieux saints , juste un peu à l’écart …
«Save Jérusalem» indiquent de grands panneaux publicitaires dans la ville de Ramallah…
Au Sud du Grand Jérusalem : la bantoustanisation progresse également
Qu’en est-il au Sud de Jérusalem, dans le bantoustan Sud également en voie d’encerclement ?
Est-ce que le Mur que j’ai suivi l’an passé à Abou Dis a progressé ?
Pour m’en rendre compte, je grimpe à pied vers le Mont des Oliviers et j’en profite pour passer par l’hôtel Palace et dire bonjour au patron, prendre des nouvelles mais une chaîne barre le passage : l’hôtel a fermé ses portes … Le sombre présage qu’annonçaient déjà il y a un an les lettres manquantes dans le nom de l’hôtel affiché sur le toit s’est réalisé
Plus loin, le choc : devant moi, le Mur est là, mais beaucoup plus avancé que l’an passé. Ici aussi les engins de terrassement s’activent dans un bruit qui se répercute loin à travers les vallées …
Au pied de la tour de guet nouvellement construite , les soldats de l’armée d’occupation tuent leur temps … et arrêtent les Palestiniens qui passent à travers les cailloux sur la piste glissante et étroite tracée par leurs trajets . La route est longue , le trajet dure des heures mais les Palestiniens n’ont pas le choix et pendant ces heures là, ils ont peur .
Je fais le trajet d’abord avec deux jeunes filles qui m’ont rejointe, ensuite après que l’armée nous aie arrêtées et questionnées nous décidons de nous séparer .
Je poursuis la route avec la plus jeune qui me prend la main et active le pas, elle se rend à Bethléhem, me dit-elle. Nous décidons de nous quitter à Eyzaria où elle prend un taxi après m’avoir embrassée.
Restée seule , je ne trouve pas la suite du chemin : le Mur enferme la ville et je ne trouve pas de sortie, les repères de l’an passé ont changé . Les jeeps de l’occupant contrôlent tout ce qui bouge, il faut apprendre à trouver les signes, les lieux de passage… discrètement aménagés, apprendre à communiquer du regard ou par de petits gestes prudents.
Ici à l’écart des yeux dangereux des touristes et des visiteurs officiels, les scènes de la vie quotidienne sont inhumaines : à cause des dalles de Mur qui barrent leur route, des vieilles personnes, des femmes enceintes, des pères soulevant leurs enfants … doivent grimper sur un mur pour poursuivre leur «chemin» ou du moins ce qu’il en reste. Je suis la seule étrangère ici parmi ceux qui passent et se taisent.
Une Palestinienne n’en peut plus et respire difficilement , comme beaucoup elle semble souffrir d’asthme.
Soudain, à bouts de nerfs j’enrage : je refuse de pleurer à cause de ce Mur !
Je ne veux pas ce Mur ! il me fait honte , une honte dure à avaler.
Ma colère explose, je décide d’aider le vieil homme de quatre vingt ans environ qui rampe à quatre pattes pour passer, puis plusieurs dames qui portent des balluchons très lourds tout en pestant contre ce Mur dont la Communauté internationale est responsable, elle qui confond réconciliation avec collaboration et ne reconnaît pas sa part de responsabilité dans le drame que vivent les Palestiniens.
Très vite, je suis adoptée par les Palestiniens qui se succèdent au passage : ils comprennent ma colère et m’offrent des «choukran» et des noix de printemps … En échange je n’ai que ma rage, ma honte et celles-ci étouffent ma peur, j’ai envie de démolir cette horreur de béton du 21 ème siècle.
Bon sang ,que laisse-t-on faire ici loin des séances officielles de commémoration des atrocités passées???
De quel droit l’occupant empêche-t-il les Palestiniens de Cisjordanie de se rendre à Jérusalem?
Tout cela est illégal mais l’occupant tire une grande partie de sa force de la complicité, de l’impunité, du silence, de la lâcheté internationale…C’est injuste.
De quel droit ?
Pendant que je poursuis ma route clandestine, je pense à d’autres scènes d’humiliation vécues lors du contrôle israélien à la sortie de la Jordanie .
Je revois la dignité caractéristique des Palestiniens humiliés par les occupants israéliens qui fouillent leurs bagages en se moquant d’eux, ces jeunes gens qui s’amusent en se lançant l’un l’autre les citrons d’une jeune femme palestinienne, qui jonglent et rient bien fort … ou encore cette jeune militaire qui se fâche au sujet d’une auto téléguidée ramenée dans ses bagages par un Palestinien et qui fait semblant de ne pas comprendre à quoi sert le fil, mime une scène avec un téléphone mobile …
Je revois ce lieu de contrôle où les Israéliens ne parlent pas aux Palestiniens mais crient , aboient chaque fois qu’ils leur adressent un mot … Ce lieu d’humiliation qu’il faut pourtant franchir … mais où aussi parfois il y a ces regards qui réconfortent en silence celles et ceux qui passent …
Je pense aussi à ce matin près de la porte de Damas où j’ai essayé d’intervenir alors qu’un couple de Palestiniens était arrêté depuis une heure par deux jeunes gens au service de l’occupant et qui s’amusaient en attendant, criant de temps à autre sur les détenus.
"Vous n’avez pas à leur adresser la parole, ils sont nos prisonniers !», m’a hurlé la jeune fille en uniforme montrant son fusil.
Je me rappelle lui avoir répondu : "De quel droit ? Ces gens sont chez eux ! Ici vous n’êtes pas chez vous !…"
C’est clair, en territoire occupé, le droit n’existe pas … la paix est une paix qui tue.
C’est sans doute pour cela que de l’autre côté du Jourdain, en Jordanie, des Palestiniens me remercient d’avoir été en territoire occupé, là où résident encore des membres de leur famille, ceux qui n’ont pas encore été chassés par le «transfert» qui s’accomplit depuis des dizaines d’années via toutes sortes de pratiques d’épuration illégales et très dures…
Je revois aussi cette scène à l’entrée de la vieille ville d’Al Quds (Jérusalem) : un jeune garçon se dirige vers la porte de Damas en poussant une énorme charrette, lorsqu’il passe, les soldats enfoncent leur arme dans les colis qu’il transporte. Cela dure un instant et à cette heure tardive les touristes sont plus rares. Le garçon passe ensuite la porte et disparaît : routine.
Wadi Fukin , le village encerclé
Quelques jours après mon arrivée à Al Qods un message de Jamal Juma, le coordinateur de la campagne Stop the Wall m’apprend qu’une manifestation contre le Mur de l’occupant va avoir lieu à Wadi Fukin.
Je décide aussitôt de m’y rendre : je ne suis jamais allée dans la région mais j’ai vu le film «Le village encerclé» tourné par des amis et l’histoire du village m’a fort touchée.
Beaucoup de Belges connaissent aussi le village de nom pour avoir au moins rencontré une fois des «fils» du village qui désormais vivent en Belgique et témoignent de la situation chaque fois qu’on leur demande, quand bien même cela est très dur probablement d’entendre sans arrêt les mêmes questions, les mêmes réflexions, stimulées, impulsées par la propagande efficace de l’occupant …
Pour me rendre au village à partir de Jérusalem, j’emprunte un taxi collectif avec les Palestiniens et chaque fois qu’il le faut, je présente mon passeport aux occupants et j’attends. .Je descends à Beit Jala, une des villes de l’agglomération de Bethléhem.
Les habitants de la ville doivent encore et toujours la rejoindre à pied car la route d’accès à Beit Jala est bloquée par les habituels barrages de pierres, idem pour les habitants de El Khader un peu plus loin.
Les deux localités n’ont-elles pas assez souffert pendant la répression de l’intifada alors que leurs écoles ont été prises pour cibles ?
Ne souffrent-elles pas assez de la colonisation illégale de leurs terres ?
Faut-il encore leur imposer cette «paix de l’occupant» ?
Le paysage de collines est très beau malgré la pluie, mais les terrasses avec les vignes, les oliviers sont rongées par les colonies qui installent leurs logements pour Juifs seulement, et aussi des caravanes …
Le long de la route, les signes de l’occupant ne manquent pas : drapeau blanc et bleu, guérites, affiches publicitaires appelant les colons à venir s’installer dans les nouveaux logements de luxe construits rien que pour eux sur les terres volées …
Les jeeps, comme partout en territoire occupé patrouillent …
A El Khader je prends à nouveau un taxi : vu les règles d’épuration imposées par l’occupant, les Palestiniens de Jérusalem ne peuvent se rendre en Cisjordanie , de plus je n’ai pas envie de traverser les colonies à pieds.
J’arrive enfin à Wadi Fukin où je suis accueillie par Nasser.
Wadi Fukin est un merveilleux petit village avec, aux pieds d’une jolie mosquée, un jardin d’enfants et un nouveau bâtiment destiné à devenir bientôt une maison de loisirs pour les jeunes et pour les activités féminines.
Tout autour du village blotti entre les collines, les herbes vertes et fleuries de la vallée. Dans le creux de la vallée, un cours d’eau qui chante. En aval : des cultures et des serres , le jardin du village en quelque sorte …
Mais ce petit «village oublié» comme le surnomment les habitants, est menacé. Nasser me montre la colline éventrée à l’ouest : ce sont les travaux d’agrandissement de la colonie (illégale bien entendu ) de Betar Illit, sur la colline en face, à l’est, m’explique-t-il, c’est Mevo Betar construite sur la Ligne verte et qui s’étend aussi vers le village.
Plus tard, je rejoins un groupe d’Internationaux à qui notre guide, Ata, explique que l’encerclement ne se limite pas aux colonies : selon la logique d’apartheid et d’épuration voulue par l’occupant, un Mur devrait enfermer le village, l’entourer , en frôlant les maisons installées dans la vallée de part et d’autre de la route principale, passant à quelques mètres des habitations.
Il nous montre le plan publié par OCHA, l’organisation humanitaire de l’ONU : le village serait complètement enfermé sur lui-même, privé une fois encore de ses terres agricoles et il ne devrait y avoir qu’un passage (bien sûr celui ci serait entièrement sous contrôle de l’occupant qui laisserait passer qui il veut quand il veut).
Le village spolié de ses ressources serait donc coupé de Bethléhem, la ville principale située à une dizaine de kilomètres .
Lorsque je me rends dans la famille de Nasser où je suis invitée pour partager leur repas, je me rends compte que le Mur devrait passer juste derrière sa petite maison : l’horreur (et une fois encore tout cela est hors la loi !)…
La petite K, sa maman, son papa, son frère devraient vivre en quelque sorte dans la zone militaire de l’occupant … alors qu’actuellement la nature autour de leur petite habitation constitue un merveilleux jardin villageois …
C’est sûr, ce village qui en a déjà tant vu doit à nouveau s’apprêter à résister à de dures épreuves : la Naqba n’est pas finie …mais ils ont décidé de résister car où iraient les habitants de ce village qu’ils ont entièrement reconstruit en 1974, ils n’ont pas de place où aller !
Ils sont chez eux ici , ils ont vécu ici , les enfants sont nés ici …
Ata nous explique que les habitants ont peur pour l’avenir et qu’ils comptent sur notre solidarité même s’ils savent combien nous sommes faibles face à nos gouvernements et aux armées des puissants qui dirigent ce monde. Ce village du bout du monde ne doit pas rester isolé, il est en danger : «Venez ici, nous dit Ata, nous avons besoin de votre aide» .
L’après-midi, la manifestation se déroule avec les villageois et le maire de Bethléhem : les hommes de toutes les générations sont en tête brandissant leurs drapeaux aux couleurs de la Palestine, les femmes se sont elles aussi réunies, elles sont fortes et je sens en tenant la main de la jeune K. âgée de neuf ans que c’est une petite femme déjà, pas une enfant insouciante, elle porte au cou son écharpe ornée d’un dessin de la mosquée Al-Aqsa et de l’effigie d’Arafat, elle est bien décidée malgré la pluie battante et le froid à participer à la manifestation contre le mur dans son village.
Quand je la quitte, le cœur gros avec la crainte épouvantable de peut-être ne pas avoir droit à la revoir, K. montre par son comportement qu’elle a déjà supporté beaucoup d’épreuves … Elle m’offre en signe d’amitié un petit trousseau brodé qu’elle a réalisé au crochet dans un fil rose, une couleur qu’adorent souvent les petites filles de son âge.
L’armée n’est pas intervenue lors de cette manifestation mais je ne pensais qu’à une chose : qu’elle ne fasse pas de mal à K, la petite fille qui ne lâcha jamais ma main, très fière de ma présence à ses côtés…
C’était ma seule crainte, une crainte immense. J’ai alors mesuré la force des Palestiniens, des mères, des pères, des enfants … et j’ai senti que dans ce village les habitants étaient tous des résistants.
Lorsqu’Israël a étendu illégalement son territoire pendant la guerre de 48, une moitié du village a été accaparée par les sionistes. Le village a donc perdu énormément de ressources agricoles. Les habitants sont devenus des réfugiés qui ont fui vers Bethléhem, ils ont du vivre dans le froid, ensuite dans des camps de fortune, des tentes, puis dans les blocs en dur du camp de Deheishe instauré par l’UNRWA.
Aujourd’hui les enfants dessinent des oliviers qui pleurent, des corps de Palestiniens blessés ou morts survolés par des avions militaires mais quand Ata nous explique la gestion du village reconstruit, je retrouve dans son récit l’organisation mise en place dans les camps par les réfugiés eux mêmes pour résister : une organisation basée essentiellement sur les valeurs de solidarité et de justice sociale, la volonté de vivre.
Cette volonté que nous communiquent les enfants de l’école maternelle du village quand ils chantent de tout leur cœur pour nous accueillir .
Cette volonté que nous communiquent les jeunes filles en habit brodé traditionnel quand avec beaucoup d’aplomb, elles évoquent leurs rêves (aller à Jérusalem et à Londres et vivre en paix) et leur condition féminine….
Sur les visages lors de la manifestation, on lit l’angoisse certes mais aussi la détermination de tous les habitants du village de ne pas se laisser à nouveau chasser par l’armée de l’occupant, une des plus puissantes au monde, agissant en toute impunité et bien soutenue à l’étranger par toutes sortes de récoltes de fonds et la propagande.
Un peuple prisonnier
Plus au Sud encore, la situation est identique.
A al-Khalil (Hébron), la circulation dans le secteur H1 est très dense et il y a des embouteillages un peu partout. Dans le secteur H2 où je me rends avec d’autres Belges, c’est différent : la vieille ville est sous le contrôle écrasant de l’armée d’occupation.
Un poste militaire est installé à l’entrée de la vieille ville. Pour y pénétrer il faut franchir un passage très sombre, une sorte de tunnel avec un tourniquet où les quelques Palestiniens passent en silence.
Nous pénétrons dans le tunnel qui aboutit dans la vieille ville : les portes des souks sont closes et de vieux Palestiniens sont assis comme des statues de cire contre les murs. Tout semble mort. Comme dans un musée.
Plus loin, dans le treillis qui surplombe le passage, les immondices que les colons qui occupent illégalement la vieille ville jettent sur les Arabes. Intenable. Mais la situation a déjà été mainte fois décrite. Les colons qui ont décidé de s’installer ici sont de dangereux fanatiques.
D’après une publication de l’AIC , le Centre d’Information Alternative, un Mur devrait être construit par l’occupant entre les deux secteurs de la ville afin d’annexer H1 à la vallée du Jourdain que compte également accaparer Israël .
Dans la région, toute l’économie de la région est affectée d’autant plus que pendant les pourparlers d’Oslo elle a aussi souffert de la mondialisation et de la concurrence notamment dans le secteur de la chaussure.
Anecdote ? Face à un atelier de verrerie et de céramique, une usine Coca Cola : les travailleurs sont Palestiniens, l’usine est gardée par … l’occupant qui y a même installé une guérite militaire… Ben voyons …
A l’Association d’échanges culturels Hebron-France, je rencontre Lahsen qui accepte d’aller avec moi à Doura , une ville située à environ 8 kilomètres au SO de Al-Khalil . Il connaît bien la ville, m’explique-t-il car l’association participe à un programme d’aide alimentaire du secteur H2 de Hébron et il a fallu souvent alimenter la ville assiégée lors des couvre-feux.
Nous nous rendons chez Oum et Abou Khaled Amro avec Mountasser , leur fils de seize ans qui est venu à notre rencontre.
Grâce à Lahsen qui parle arabe et anglais le contact est très vite établi et nous sommes aussitôt accueillis à bras ouverts dans la famille. J’explique que W., une membre du comité de solidarité dont je fais partie a téléphoné à la famille il y a quelques jours et que nous aimerions savoir comment nous pouvons soutenir la famille dans l’épreuve terrible qu’ils connaissent depuis que deux des filles de la famille, Abeer (24 ans) et Sana (19 ans) ont été arrêtées il y a quatre ans et sont détenues en Israël avec 3 autres habitantes de Doura.
Le 17 avril, E., membre du comité va se rendre aux assises des prisonniers à Lyon.
J’ajoute que nous avons envoyé plusieurs séries de cartes aux prisons de Neve Tirza et de Telmont ainsi qu’à la Croix Rouge, que nous essayons de faire mieux comprendre la situation des prisonnières politiques ,que nous demandons leur libération mais que nous aimerions pouvoir aussi les soutenir,si possible.
Oum Khaled est une femme très chaleureuse et vigoureuse bien qu’elle souffre de diabète et de pierres aux reins. Elle est très affectée par la détention de ses deux filles.
La famille nous dit-elle n’a pas pu assister au procès qui a eu lieu devant un tribunal militaire. C’est Mountaseer qui rendait visite à ses sœurs mais vu qu’il a seize ans, il ne peut plus se rendre à la prison de Telmont où elles sont à présent détenues : il est considéré comme un adulte par Israël.
Il nous explique que lors des visites c’était très difficile de communiquer avec ses sœurs : entre eux il y a avait la grille mais aussi une feuille de matière plastique rendant difficiles les entretiens.
La famille est pratiquement coupée de toute nouvelle et quand elle en reçoit elles ne sont pas bonnes. Ils ont déjà essayer d’envoyer des vêtements à leurs filles mais les autorités israéliennes n’ont pas accepté qu’elles reçoivent les présents, juste quelques uns.
Ils dépendent beaucoup de la Croix Rouge…C’est très dur. Les parents se demandent quand ils reverront leurs deux filles … dont Mountasser nous montre le portrait.
Abeer faisait ses études universitaires en sociologie et Sana devrait bientôt passer son bac mais on ne leur permet pas de poursuivre leurs études en prison, elles peuvent seulement avoir un ou l’autre livre …
Le père des deux prisonnières , Abou Khaled, est un homme fort et digne, il parle peu mais souffre visiblement de ce que doivent supporter ses deux filles : les fouilles à nu, les coups, les rats dans la cellule … Si je comprends bien il ne travaille plus comme c’est le cas pour beaucoup de Palestiniens affectés par la crise. La situation familiale n’est pas facile.
Les frères aînés ont eux mêmes été prisonniers pendant la première intifada et cela ne doit pas être sans conséquences pour Abeer et Sana.
Sana qui a été arrêtée alors qu’elle était mineure (Israël qui a signé la Convention les Droits de l’Enfant a aussi instauré un ordre militaire, l’ordre 132, pour s’autoriser à arrêter les mineurs) a dernièrement été battue , elle a eu un bras ou une main cassée et elle a été enfermée en cellule d’isolement.
Je leur demande si cela ne les dérange pas qu’on téléphone de temps en temps, qu’on essaie de faire connaître la situation car on aimerait que cela change… Ils sont d’accord.
Mountasser nous accompagne jusqu’au taxi lorsque nous quittons cette famille blessée par l’emprisonnement de ses deux sœurs. Mountasser reste longtemps silencieux comme si ce jeune homme de seize ans était lui-même prisonnier … ! ! !
Avant de quitter la Palestine qu’on emprisonne et qu’on tue, je me rends à Ramallah.
D’abord au siège de Addameer.
Les responsables expliquent la Campagne qu’ils ont lancée pour la libération de Manal Ghanem et de Nour ainsi que des autres milliers de prisonniers politiques palestiniens.
J’indique que je connais le cas de Manal et de Nour et je leur demande s’ils ont des nouvelles.
Nour, le petit bébé de Manal ne va pas bien depuis l’agression dont il a été victime de la part des forces spéciales israéliennes quand celles-ci ont arrosé les détenues de puissants jets d’eau et qu’il a reçu un coup.
Il ne parle plus et crie souvent.
J’apprends aussi que l’un des enfants de Manal, qui doit souvent aller à l’hôpital ne supporte plus l’absence de sa mère. C’est aussi très pénible pour le père, Naji (37 ans) car il travaille beaucoup et ne peut s’occuper facilement des enfants.
Addameer demande de faire le maximum dans le cadre de cette campagne.
Pour rappel Manal est une Palestinienne du camp de réfugiés de Tulkarem. Elle a été arrêtée le … 17 avril 2002 et condamnée à une peine de 50 mois de détention.
Elle était enceinte et elle a accouché en détention de son petit garçon Nour qui n’a jamais vu autre chose que la prison depuis sa naissance il y a un an et demi. Elle est thalassémique. Elle a deux petits garçons et une petite fille en dehors de la prison.
Au TRC, le Centre de Traitement et de Réhabilitation des victimes de la torture, la coordinatrice, Salma, rappelle qu’Israël utilise de nombreuses formes de tortures, physiques mais aussi psychologiques notamment pour extorquer –illégalement- des aveux.
Elle explique les conséquences de la torture pour les victimes et aussi pour leurs familles ainsi que le travail du centre avec les enfants qui souffrent de cela (camp d’été etc).
Les prisonniers qui ont été torturés souffrent du «prestige du héros», certains souffrent de fortes dépressions, d’autres ne peuvent plus s’exprimer que violemment, certains deviennent paranoïaques …
C’est très dur aussi pour leurs familles. Comme beaucoup de victimes ne veulent pas ou ne peuvent pas venir aux trois centres de réhabilitation, le centre organise aussi des visites.
En 2004 , ajoute Salma, le TRC a traité 760 cas (dont 185 ayant moins de 18 ans), 286 femmes et 474 hommes. La torture, dit-elle, a des formes multiples : il faut se rendre compte de ce que signifie la démolition des maisons, les tirs dans les écoles … il n’y a pas que la torture des détenus qui est bien connue de tous les organismes spécialisés .
Au Local de la Campagne Free Barghouti, un responsable me donne des nouvelles et des documents concernant le député emprisonné.
Il me remet entre autre une pétition de l’Humanité, journal français qui demande la libération du dirigeant palestinien enlevé le 15 avril 2002 à Ramallah et condamné arbitrairement à 5 fois la perpétuité à vie plus 40 ans et m’explique aussi son inquiétude au sujet de Qassam, le fils de Marwan arrêté à la frontière jordanienne lors de la visite à sa famille à la Noël 2003.
Qassam , a dix-huit ans, c’est un étudiant en économie à l’Université américaine du Caire. Son arrestation pèse très fort sur la famille de Marwan.
Il nous encourage à faire tout ce que nous pouvons pour que Marwan et son fils, mais aussi les milliers d’autres prisonniers politiques palestiniens soient libérés. Il nous invite à visiter le site de la Campagne.
Je me demande une fois de plus jusque quand on va tolérer toutes les violations commises par Israël?
«Ce n’est pas le moment pour exiger des sanctions», nous répètent sans arrêt les politiciens et pendant ce temps là on laisse faire. Jusqu’où ?
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Le Mur
Dominique Waroquiez