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Gaza - 14 novembre 2003
Par Laura
Les jours où je laissent mon travail perdre de sa vigueur et où je laisse une incursion se produire sans y prêter attention (après des mois à Rafah, les incursions sont si banales qu'elles ne choquent personne ) et où vivre à Rafah commence à ressembler à la vie à Pittsburg avant que je ne parte, assise dans le même café, jour après jour, avec les mêmes personnes et les mêmes conversations, toutes des rêves d'échappatoire, j'ai le sentiment que je peux vivre et mourir dans une petite ruelle étroite. Rien de plus. Rien de plus que la monotonie.
Les garçons furent les derniers à revenir de l'ascension à travers les débris des immeubles en train de s'effondrer, alors que Melissa et moi nous sommes assises sur le sable, restant pendant de longues minutes silencieuses.
Des hommes du coin et des jeunes garçons grimpaient, de ci de là, entre les gravats et les charrettes attelées à des ânes, triant les pierres utilisables des gravats, pour se faire un peu d'argent, cherchant quoi faire dans un paysage d'impossibilités, comme Hagar portant son enfant Ismael faisant des allées et venues entre les montagnes désertiques et arides de Marwa, et Safaa, à la recherche d'eau. Les pierres brisées brillaient avec monotonie sous la lumière du soleil, monticules monotones mélangés au sable, elles dévalaient en cascade dans le quartier semi construit et vide, situé à un vol de colombe.
A l'opposé de ces immeubles vides, la colonie de Netzarim , une dépense continue de tuiles rouges et de gros arbres, entourée de barbelés et gardée par un mirador avec tireurs d'élite, se tordant au dessus de la colline ou nous étions debout, pour regarder furieux aux alentours. La scène était dressée tel un jeu de monopoli, deux camps se dépêchant d'avancer. Compétition des faits sur le terrain, rampant les uns vers les autres. Les montagnes de briques défaites côté palestinien, nous fixaient, tel un monument, présage visuel de qui gagnerait la course.
L'Autorité Palestinienne avait construit les maisons les plus luxueuses, des constructions spacieuses de pierre, peintes en blanc, des arbres sortant de terre au dessus des portes des jardins, seulement à une portée de jet de pierre de l'endroit que nous étions venu visiter. Le luxe de l'endroit brillait comme des pièces de fausse monnaie astiquées, d'un pari perdant. On peut se demander qui voudrait vivre ici actuellement.
La nuit qui a précédé le ramadan, Mohammed et moi même nous sommes retrouvés bloqués du mauvais côté du point de contrôle fermé, incapables de retourner à Rafah, après avoir traduit et transcrit 4 heures de discussions de longue haleine, menées par des hommes, sur ce qu'ils pouvaient ou ne pouvaient pas accepter, dans une initiative populaire de paix.
Nous avons laissé le soleil se coucher et la nuit passer, pour partie volontairement, malades de la monotonie des routes sableuses de Rafah et des démolitions qui semblent, parfois, vous rejoindre assez lentement , sans que vous en ayez connaissance, même si vous n'y êtes pas allés.
Si vous ne téléphonez pas exprès à vos amis sur la frontière, chaque fois que vous entendez des tirs, vous n'êtes pas supposés savoir s'il y a eu ou non une incursion cette nuit. Si vous n'aviez pas insister pour visiter le jour suivant les endroits attaqués, vous n'auriez rien su des dévastations subies par les familles hormis la votre.
Si vous n'aviez pas essayé, avec trop d'insistance, d'être témoin , le pire de votre vie serait votre incapacité à vous déplacer et à voir de nouvelles choses, un restaurant avec seulement des falafels et du kebab, un cinéma, un signe fluorescent.
Les jours où je laissent mon travail perdre de sa vigueur et où je laisse une incursion se produire sans y prêter attention (après des mois à Rafah, les incursions sont si banales qu'elles ne choquent personne ) et où vivre à Rafah commence à ressembler à la vie à Pittsburg avant que je ne parte, assise dans le même café, jour après jour, avec les mêmes personnes et les mêmes conversations, toutes des rêves d'échappatoire, j'ai le sentiment que je peux vivre et mourir dans une petite ruelle étroite. Rien de plus. Rien de plus que la monotonie.
Même les incursions commencent à éveiller un sentiment de monotonie. Les mêmes histoires. Les mêmes grandes familles anéanties, avec nulle part où aller. Les mêmes phrases pour exprimer la colère et l'impuissance qu'elles ressentent. " Nous ne sommes pas des terroristes", et " que pouvons nous faire", et les gens qui ont travaillé plus d'une décénnie pour construire leurs maisons qui viennent juste d'être détruites, et cela ne choque plus désormais.
Mais , chaque histoire apparaît plutôt comme l'ombre d'une fatigue surfant sur les vagues de l'océan. Durant les premiers mois, mon coeur se brisait quotidiennement et à chaque nouvelle histoire, catharsis fraîche saignant sur le papier, révélations en rouge vif. Maintenant, huit mois plus tard, après mes premiers pas à Rafah, la douleur est un poids gris sur mon estomac, toujours là, toujours là....
Nous avons quitté Rafah pour les vastes rues de la ville de Gaza, espérant franchir les fossés de sable et aller nous asseoir sur la plage, pour respirer un peu. Après avoir transcrit la discussion pour une initiative populaire de paix, une faveur faite à un journaliste de mes amis, nous nous sommes éloignés, d'un pas nonchalant, du restaurant aux murs de terre battue, situé en bordure de plage, plongeant dans la nuit et les rues, remplies d'énergie comme juste avant Noel, des familles entières s'étirant sur les trottoirs, en route pour les maisons de leurs proches, des hommes s'arrêtant dans des magasins pour faires des achats de dernière minute. La nuit était vivante. Nous avons mangé notre pizza à l'ananas dans le parc en dehors de la pizzeria, mais celle-ci est restée collée à notre estomac comme un bloc de ciment, ce qui ne préparait probablement pas notre corps au jeûne.
Al-Zahara au sud de la ville de Gaza était sous invasion cette nuit-là. Des soldats fouillaient maison par maison, et la zone était sous couvre-feu. Mais nous étions à l'Ouest.
Nous avons marché lentement dans les rues, jusqu'à la maison de la tante de Mohammed chez qui nous espérions pouvoir rester, mais personne n'a ouvert la porte; à quoi pouvions nous nous attendre puisque nous n'avions pas téléphoné à l'avance.
Aussi, nous sommes retournés vers les espaces hôteliers, le long de la plage, où nous espérions trouver une chambre trop chère ou rester. Pas vraiment de chance. Le premier hôtel demandait les passeports et cartes d'identité que nous avions laissés stupidement à Rafah, et ce, afin de signaler notre présence aux services secrets palestiniens. Plus important encore, ils voulaient savoir si nous étions mariés ou pas, et que faisait un homme palestinien avec une femme étrangère la nuit. Ils nous ont laissé nous asseoir sous la véranda dehors, entre des lumières multicolores et une fontaine au milieu qui était éteinte.
Mais nous sommes des personnes qui apprenons de nos erreurs. Dans l'hôtel suivant, nous étions un couple marié, enceinte de trois mois de notre premier enfant, mais le personnel voulait voir notre certificat de mariage et la preuve que l'enfant était légitime, et ainsi nous nous sommes déplaçé jusqu'à al Deira, endroit ou nous nous retrouvons toujours ici à Gaza. Apres avoir insisté que nous étions mariés et de Khan Younis, et après avoir refusé rudement leur offre de nous mettre dans la maison de leurs amis de Khan Younis, parce que nous étions incapables de payer chacun 44 dollars pour une chambre, ils ont accepté de nous laisser dans leur salon,où nous avons passé notre temps à dormir et lire des livres de leur selection coûteuse de livres en anglais.
A 3h du matin, dormant à peine dans ces fauteuils d'osier d'al Deira, une explosion m'a secoué et m'a réveillé, quelque chose qui explosait dans al Zuhara. Nous n'avons pas su avant le lendemain matin, après que l'armée ait quitté l'endroit, qu'un immeuble de 12 appartements avait été détruit à l'explosif, une famille par étage.
L'aube préceéant le ramadan, nous avons pris notre repas d'avant le jeûne sur le pont d'al Deira, du fromage et de la confiture et du thé, berçé par les douces vagues de l'océan. L'appel du addan nous a emporté gentillement dans la journée. Le vent d'hiver soufflait tranquillement à travers la ville, s'enroulant autour de nos jambes, nous transportant dans le mois sacré.
Alors que nous marchions dans les rues à la recherche d'un taxi pour nous ramener à Rafah, nous avons croisés de longues files d'hommes, qui marchaient dans le brouillard matinal pour se rendre à la mosquée pour prier.
Nous avons quitté les immeubles détruits d'al Zahara l'après midi en plein soleil, évitant avec précaution les espaces sous surveillance du mirador de la colonie de Netzarim. Alors que les heures de jeûne se rapprochaient du couchant, nous avons quitté un endroit détruit pour un autre, rompant le jeûne avec la famille de Mahmoud al Qaed, 13 ans le martyr tué de 17 balles tirées à un mètre de distance et brutalement battu par des soldats à pied, alors qu'il attrapait des oiseaux pour faire vivre sa famille dont le père a été blessé d'une balle dans le dos pendant la première Intifada, et, à la suite de cela, a des problèmes mentaux qui l'empêchent de travailler.
Nous avons quitté les hommes avec des visages marron décidé à trouver quelque chose d'utile dans ces gravats, une autre histoire déjà perdue dans la rapidité des infos, dans les callosités des coeurs des gens qui vivent ici. Le paysage a absorbé la catastrophe, de nouveau, comme du sable dans du sable, sous le soleil lumineux indicernable.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : MDB
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