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Gaza - 22 novembre 2003
Par Laura
Maintenant surtout, avec la mort de Mahmood, le second enfant de la mère d’Ali qui a été tué, la souffrance se voit dans son corps, à sa façon de vaquer d’une tâche à l’autre, elle habite dans ses yeux, qui sont gonflés à force de pleurer tout le temps, elle se sent dans son rire, qui se brise de lassitude, de cigarettes et d’insomnie inquiète
Mohamood al-Qaed, martyr à 13 ans
Les yeux d’Ali,14 ans, sont des amandes brunes et larges, une copie presque parfaite de ceux de son père, ils brillent comme des miroirs malgré les cheveux qui couvrent son front comme une vigne en broussaille.
Le jeune frère d’Ali Mahamood replonge son regard dans celui de son père qu'il fixe sur le poster accroché au mur, ses yeux finement dessinés par des gènes identiques, son petit visage, un miroir pour celui de son frère, ses bras maigres s'entrelaçant avec ceux de son frère la nuit, dans le lit.
Depuis que Mahmood a été tué, il n’y a rien que ses parents puissent faire pour convaincre Ali de dormi dans ce lit où lui et son frère avait l’habitude de partager leurs rêves. D’ailleurs la famille ne dort même plus. C’est le Ramadan, et la peur de rêver fait que leurs paupières restent ouvertes jusqu’à cinq heures du matin, heure à laquelle ils mangent le repas tout préparé et où les hommes rentrent de la mosquée.
Nous sommes à Gaza avec la famille, transformant la nuit en une sorte de veille bruyante. Les membres de la famille remplissent le dernier espace, qui sur un matelas épais, qui sur les dernières chaises en plastique, et les conversations s’entrelacent l’une dans l’autre jusqu’à prendre corps, bruit de vibration qui traversent nos oreilles et qui courre de bouche en bouche, laissant les douleurs engourdies dans les tempes des invités, jusqu’à ce que le père d'Ali ordonne que chacun sorte dehors à 9 heures, mains en l’air, yeux largement ouverts.
La maman d’Ali, son visage rond comme une lune qui pourrait se briser à tout instant, alors qu'elle porte la famille sur les épaules, à travers le repas du matin et une procession interminable de thé, de café et de cigarettes, ne s'assoit presque jamais un seul instant, jusqu’à l’aube, et si elle s’accorde un instant, c’est pour fumer une cigarette avec sa belle-sœur dans la cuisine, perchées comme de vieux oiseaux sur le comptoir de la cuisine, dans de longues jihabs ornées de dessins entrelacés comme de la dentelle, soufflant leur fumée vers Allah.
Elles se sont mises à fumer il y a deux ans, depuis que le frère de la mère d’Ali s’est fait tuer en Israël, il y a deux ans,pour avoir fait passer en contrebande des biens non-militaires pour la vente. La douleur de la perte suffit à leur faire oublier la honte sociale qui frappe celles qui fument, comme le Coran le fait, qui interdit aux gens d’abîmer les créations d’Allah.
Maintenant surtout, avec la mort de Mahmood, le second enfant de la mère d’Ali, qui a été tué, la souffrance se voit dans son corps, à sa façon de vaquer d’une tâche à l’autre, elle habite dans ses yeux, qui sont gonflés à force de pleurer tout le temps, elle se sent dans son rire, qui se brise de lassitude, de cigarettes et d’insomnie inquiète. Quand elle nous fait le récit du meurtre de son fils sa voix passe d’un timbre atone , comme accoutumée à cette trop grande souffrance, à un ton haut perché , urgent quand la douleur ressurgit.
« Nous vivons à deux kilomètres de la frontière avec Israël . Mahmood, mon fils, a été tué à environ 600 mètres de cette frontière. Mahmood avait 13 ans. Il avait toujours l’habitude d’aller chasser les oiseaux avec d’autres gamins du voisinage pour les vendre et pouvoir survivre. Depuis que mon mari a reçu une balle dans le dos au cours de la première Intifada il ne peut plus travailler et il a des problèmes psychologiques, ce qui fait que sont humeur change d’un instant à l’autre. Je passe ma vie à prendre soin de lui.
Ali avait toujours l’habitude d’accompagner Mahmood à la chasse aux oiseaux. Ils faisaient tout ensemble, ils s’habillaient de la même façon, ils étaient comme des jumeaux, même si Ali avait un an de plus.Le jour où Mahmood est devenu un martyr, le matin, Ali a dit qu’il n’irait pas attraper d’oiseaux parce que des soldats étaient arrivés dans la zone où ils avaient l’habitude d’aller chasser. Mais Mahmood était déterminé et a dit «Ne viens pas. C’est pas grave, j’irai avec les autres gamins». Mahmood est comme ça. Il fait ce qu’il a décidé dans sa tête, rien ni personne ne peut le convaincre de ne pas faire ce qu’il a décidé de faire.
Mahmood est aller attraper des oiseaux avec deux de ses copains. Ils m’ont raconté ce qui était arrivé à Mahmood. Ils ne voulaient pas le faire. Personne ne voulait me dire ce qui était arrivé à mon fils. Ils ne voulaient pas me faire mal. Mais j’ai voulu entendre ce qui était arrivé.
Mahmood et ses amis avaient rendez-vous avec des fermiers qu’ils connaissaient sur le chemin, là où ils avaient l’habitude d’aller chasser les oiseaux. Puis ils sont allés travailler. Voilà l’oiseau chanteur que Mahmood a attrapé ce matin-là, juste avant d’être tué.
Plusieurs soldats israéliens à pied ont traversé les fils de fer barbelés sur la frontière avec Israël. Ils avaient des M16s . Les deux autres enfants ont pu partir en courant. Mais Mahmood est resté coinçé et ils l’ont attrapé. Ils lui ont tiré dans le cœur à un mètre de distance. Pourquoi l’ont-ils abattu ? Il attrapait des oiseaux, c’est un crime ?
Nous pensons que c’est le premier tir qui l’a tué. Mais les soldats ne se sont pas arrêtés là. Après qu’il soit tombé, ils lui ont donné des coups de pieds, avec leurs chaussures ; le docteur a dit qu’il avait pu voir les empreintes de botte sur ses jambes. Et puis, ils ont tiré sur lui dix sept balles. Quelques unes ont traversé sa veste, vous pouvez voir. Mais sa veste n’était pas fermée, elle était ouverte, si bien que toutes les balles ne l’ont pas traversée. La plupart des balles ont visé le bas de son corps, en tout cas.
Un moment après que Mahmood soit parti à la chasse aux oiseaux, Ali est parti en bicyclette. A peine une demi-heure plus tard, j’ai entendu dire que quelqu’un de la famille Qaed avait été blessé. J’ai pensé à Ali. Je suis allé à l’hôpital et j’ai demandé à parler aux médecins.
Personne ne voulait me dire ce qui s’était passé parce qu’on ne voulait pas m’inquiéter, parce que je suis une femme parce que j’étais seule et qu’ils craignaient de me traumatiser. Tout le monde évitait mes questions Finalement j’ai laissé tomber. Je me suis mise à hurler dans tout l’hôpital pour que quelqu’un me dise ce qui était arrivé à mon fils. Alors un homme, un officier de police, m’a appelée. Il a dit : « Qui êtes-vous ? » Je lui ai dit mon nom. Il a dit venez avec moi. Il m’a emmenée dans la salle où sont conservés les cadavres. Il a dit : « votre fils Mahmood est devenu un martyr ».
Sur le coup, tout s’est embrouillé. J’avais pensé que quelque chose était arrivé à Ali, et c’était bizarre de découvrir que c’était Mahmood. Et je me suis évanouie.
Ali ne veut plus aller attraper des oiseaux maintenant et nous avons perdu toutes les ressources qui nous permettaient de survivre et on doit compter totalement sur l’aide des Nations Unies qui est assez maigre. J’ai une problème d’estomac et ma fille Fatima a des problèmes de dos et nous ne pouvons pas aller voir un médecin ni payer des traitements pour nous aider.
Mon frère a été tué il y a deux ans et je n’ai pas retrouvé la joie depuis. Je ne sais pas pourquoi nous sommes ici.
On meurt une fois seulement. Plutôt mourir rapidement et être de nouveau avec mon fils.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : CS
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