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Gaza - 29 janvier 2009
Par Eva Bartlett
Deux de ses gamins essaient d’attraper des morceaux de vêtements, de livres, tout ce qu’ils peuvent atteindre sous le placard renversé. Chaque objet est sacré. Elle me conduit à travers la maison, me montrant les nombreuses violations de leur existence, chaque graffiti sur les murs, chaque fenêtre brisée et les verres, les assiettes, les sacs de farine fendus – quand le blé est tellement précieux – et la même collection révoltante de ce que les soldats ont laissé : des emballages de nourritures déchirés, des excréments partout sauf dans les toilettes, des vêtements utilisés comme papier toilette. La même puanteur.
« Ils ont tout brisé, ils ont brisé nos vies. Ici c’était la chambre des garçons, » alors que nous continuons à avancer dans le naufrage. « Regarde, regarde ici. Tu vois ça ?! Regarde ! » Le même refrain au fur et à mesure que nous enjambons les affaires détruites dans les pièces détruites.
Ce n’est pas seulement de la destruction, de la profanation, du vandalisme, du gâchis… c’est aussi l’interruption de la vie, une vie déjà interrompue par le siège. Elle attrape des livres de classe, déchirés, ruinés, et demande comment ses enfants vont pouvoir étudier, alors qu’ils n’ont pas de livres, pas d’électricité, qu’ils doivent fuir leur maison, vivre dans la crainte constante d’un autre bombardement de missiles (de la 4ème armée au monde à l’équipement impressionnant).
Certains des graffiti disent :
« Nous ne détestons pas les Arabes, mais nous tuerons tous les Hamas »
et
« L’IDF est passé par là ! Vous savez que nous sommes là. Nous ne vous tuerons pas, vous vivrez dans la peur et nous dirigerons vos vies ! »
Pour des gens dans des familles comme la sienne, les membres qui ont survécu, cette terreur psychologique est réelle. Pour ceux qui ont déjà été tué, le « nous ne vous tuerons pas » est un mensonge. Demandez aux pères, mères, frères et sœurs, enfants qui ont survécu.
Depuis la terrasse du toit, nous regardons ce que la machine militaire israélienne a infligé aux maisons voisines. Et de grands pans de terre qui avaient accueilli jadis des maisons et des arbres, maintenant nus, couverts de fragments de piliers aux arêtes aigues, des gravats, des souches et des traces de chars.
« Ici, ici, viens voir ici. »
« C’était notre terre : des clémentines, des citrons, des olives… »
« C’était la maison de mon frère là-bas, elle est par terre… »
Les drones continuaient à nous survoler, les mots étaient trop urgents, trop nombreux, trop rapides, trop vertigineux.
De retour à « ground zero » et à encore plus de maisons et de vies naufragées. Une pompe à eau qui servait à au moins 10 familles du secteur, frappée par un missile, en ruine.
En passant devant d’autres carcasses de maisons, je rencontre Yasser Abu Ali, co-propriétaire d’un magasin de peintures et d’outils complètement détruit par deux missiles F-16. Les revenus de 17 personnes dépendaient directement de son affaire, sans compter ceux qui en dépendaient indirectement (fournisseurs, acheteurs). Tandis qu’Abu Ali parle de la perte de 200.000$ subie par lui et ses frères, il s’avère qu’il est le cousin du docteur Ezz-El-Din Abu El-Eish, le médecin dont les 3 filles et la nièce ont été tuées par un bombardement israélien, chez lui, à Jabaliya. Chacun a sa propre histoire, et les histoires se recoupent, les tragédies se recoupent et se mélangent.
Chez Samir Abed Rabbo, la visite commence comme chez les autres : tout est cassé et sens dessus dessous, il y a les restes des soldats (nourriture, jeux de cartes, excréments…) et les graffitis : « Rejoins l’armée aujourd’hui ! » et autres slogans des forces patriotiques d’invasion et d’occupation.
La maison a plus de trous que de murs, causés par les multiples tirs des chars, obus et fusils automatiques depuis les chars. Voir tellement de maisons démolies intentionnellement et sournoisement émousse le concept de « dommages ». Mais, étrangement, certaines choses se détachent comme bizarre ou remarquable au milieu de la destruction totale. Des morceaux de plafonds et des poutres pendent. Une chaise gît, dégoûtée.
Et puis il y a les trous des snipers. Je regarde par le trou en face de la rue Salah el Din, le carrefour Dawwar Zimmo, et je réalise que c’est depuis un des ces trous qu’on a dû tirer sur Hassan, heureusement il n’a pas été tué (contrairement aux 13 autres personnels médicaux d’urgence, heureusement nous non plus n’avons pas été tués. Ces trous de snipers constellent les murs des maisons partout à Jabaliya, Attatra, Zaitou… Gaza.
La chambre du bébé, qui n’a pas échappé aux attaques. Un mur de bandes dessinées joyeuses et de jolis posters du bébé contraste avec la laideur des blessures d’obus béantes, rappelant que rien n’est sacré pour une armée qui tire sur des enfants à bout portant (j’en parlerai dans un prochain article).
L’âne pourri à l’extérieur explique la puanteur, différente de celle que l’armée a laissée.
Quittant les ruines de Samir Abed Rabbo, je vois une famille sans toit maintenant, faisant un thé autour d’un feu, derrière les ruines de son ancienne maison.
Saed Azzat Abed Rabbo se tient sous un trou de missile dans le plafond de sa chambre, expliquant que le premier jour de l’invasion terrestre, lui et sa famille étaient dans la maison lorsqu’un missile l’a frappée. Affolés, ils sont partis pour une école de Jabaliya, Feluja, et n’ont pu avoir connaissance de l’état de leur maison qu’à leur retour, une fois que les soldats soient partis.
Elle est comme les autres : ravagée, avec les déchets et les bouteilles de vin laissés par les soldats – les étiquettes en hébreu (on ne trouve pas de vin ici de toutes façons, donc aucun doute sur qui l’a bu) – la citerne d’eau de la terrasse explosée, et la vue depuis le toit offre davantage de vues de la destruction alentour et des citronniers qui étaient près de la maison de Saed Abed Rabbo.
J’ai quitté Abed Rabbo ce jour là, me frayant un passage entre les taxis, les mobylettes, les camions et les charrettes pleines des affaires des gens qui n’ont pas de maison où aller, qui n’étaient venus que pour récupérer ce qu’ils pouvaient de leurs anciennes vies.
J’en avais vu plus que ce que je pouvais intérioriser et transmettre aux autres, mais je savais que je reviendrais pour plus de récits, parce que je savais qu’il y en avait encore beaucoup d’autres, que j’écouterai et que je retransmettrai.
Ici les photos prises par Eva.
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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