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Gaza - 29 janvier 2009
Par Eva Bartlett
Il y a beaucoup d’histoires. Chaque récit, chaque individu assassiné, chaque personne blessée, chaque maison incendiée et détruite, chaque vitre brisée, cuisine bousillée, vêtements mis sens dessus dessous dans des chambres dévastées, les trous de balles et de bombardements dans les murs, les graffitis de l’armée israélienne… tout est important.
Vidéo filmée par MG à Jabaliya le 24 janvier :
Je commence à raconter les histoires d’Ezbet Abbed Rabbo, à l’est de Jabaliya, où les maisons situées sur la route principale nord-sud, Salah el Din, ont été pénétrées par les balles, les bombes et/ou les soldats. Si elles n’ont pas été détruites, elles ont été occupées ou visées par les balles. Ou occupées puis détruites.
L’armée a fait preuve de créativité dans sa manière de détruire, de défigurer les propriétés, d’insulter. Créative dans la façon dont les soldats ont chié dans les pièces, et garder leurs merdes pour les placards ou des endroits inattendus. En réalité, leur créativité n’était pas si grande. Le reste fut routine : saccager les maisons du sol au plafond. Renverser et casser chaque armoire, chaque étagère de cuisine, la télévision, l’ordinateur, les vitres, la citerne à eau…
La première maison que j’ai visitée était celle de mes chers amis, chez qui nous allions le soir avant le début de l’invasion terrestre. Avec qui nous nous étions blottis, au rez-de-chaussée, alors que les fracas des missiles pulvérisaient le voisinage. Et le père pour lequel je n’ai pas cessé de m’inquiéter.
Après avoir vu qu’il était toujours en vie, j’ai fait le tour de toute la maison. La pièce du rez-de-chaussée qui nous avait servi d’abri était la moins touchée : en désordre, des tas de terre sous les fenêtres venant du dernier bombardement qui a creusé la colline, les matelas retournés et les objets dispersés… cette pièce est la plus propre, la moins endommagée.
L’appartement du premier étage. Confusion totale. Des excréments sur le sol. Tout est cassé. Des canettes ouvertes des provisions de l’armée israéliennes. Des trous de balle dans les murs. La puanteur.
Au deuxième étage, les chambres de fils et des femmes et des enfants. Encore plus de désordre, la puanteur plus intense. Ce fut la base principale, apparemment, si j’en crois les boîtes de nourriture – des plats préemballés, des pâtes, des plaques de chocolat, et des sandwiches enveloppés dans du plastique – et les vêtements que les soldats des forces israéliennes d’occupation ont abandonné. Une paire de pantalon de treillis dans la baignoire, couvert de merde.
F. me dit : « L’odeur était terrible. Il y avait de la nourriture partout. Une odeur vraiment dégoûtante. Ils ont mis de la merde dans les éviers, ils ont chié partout. Nos vêtements étaient n’importe où. La dernière fois qu’ils nous ont envahis (mars 2008), c’était facile. ? Ils ont tout cassé, et on a tout réparé. Mais cette fois, ils ont mis de la merde partout : dans les placards, dans les lits – mon lit est plein de merde. »
Elle est forte et a vécu d'autres invasions avant, mais la profanation de sa maison la met par terre.
« Il y a un instant, Sabreen a ouvert son armoire : il y avait un tas de merde dedans ! Ils se sont servis de nos vêtements comme papier toilette. Ils ont cassé la porte de la salle de bain et l’ont portée dans notre chambre. Je ne sais pas pourquoi. »
La porte gît sur le sol de sa chambre, qui semble elle aussi avoir été traversée par une tornade. « Ils ont sorti ma lingerie et l’ont éparpillée, » continue-t-elle, faisant la liste des griefs personnels qui sont plus douloureux que le naufrage financier.
Alors que F. continue à nettoyer le gâchis des soldats, elle parle de l’état d’esprit de sa famille. « Abed (son jeune neveu) a très peur, il veut partir à cause des zenana, » les drones qui ont bourdonné au-dessus de nous le premier, le deuxième et le troisième jour du « cessez-le-feu » (qui ne fut en aucune façon un cessez-le-feu, les soldats israéliens ayant tué 3 personnes et blessé plus de 15 depuis le 18 janvier).
Deux jours plus tard, je reviens les voir. La maison est beaucoup plus propre mais toujours dégradée par la puanteur tenace de la présence des soldats. « Nous avons nettoyé autant que nous avons pu, mais c’est tellement difficile. Nous n’avons toujours pas d’eau courante, nous devons aller remplir des bidons au réseau d’eau de la ville. » J’ai déjà parcouru cette côte sablonneuse, je sais combien elle est dure, à pied, même les mains vides, alors chargé de bidons lourds ou en essayant de pousser n’importe quelle sorte de carriole pour transporter de plus grandes quantités d’eau… Le chemin était, avant, un sentier de terre correct. Avant que les chars et les bulldozers israéliens ne le défonce, et la terre autour.
Depuis le balcon de la cuisine, je regarde et je vois en dessous la terre rasée, les maisons bombardées, l’arbre de Jumeiza plus loin, brulé, mais toujours debout parmi les ruines. La citerne d’eau en ciment qui avait survécu aux raids précédents et qui était là le mois dernier a disparu, détruite par un des bombardements aériens.
Depuis la fenêtre du salon, nous regardons le sommet de la colline derrière, dont F. avait déjà expliqué que les troupes d’invasion s’y étaient installées par le passé. Cette fois, les chars ne s’y sont pas seulement rassemblés, mais ils ont constitué une sorte d’énorme arène en terre dans laquelle les soldats ont emmené les Palestiniens détenus. Un voisin, me dit-elle, y a été emmené. Lui, 59 ans, et son fils de 19 ans y ont été emmenés à la pointe du fusil, désabillés jusqu’à leurs sous-vêtements. Les forces israéliennes d’occupation les ont encerclés avec les chars. « Nous n’avions rien fait, » ont-ils dit à F. plus tard. Ils ont été emmenés dans une sorte de zone de détention et d’interrogatoire en Israël, où on les a mis en isolement pendant trois jours, les yeux bandés, menottés, interrogés par intermittence, battus, interrogés…
« Est-ce qu’il y a des tunnels sous votre maison ? Où sont les combattants ? Où sont les roquettes ? Qu’est-ce que vous savez sur le Hamas ? Nous détruirons votre maison si vous savez quelque chose. »
Sa sœur, A., décrit ses 17 jours à l’école Foka, après avoir évacué leur maison d’Attatra. Les écoles qui devaient être des refuges (mais qui ne l’ont pas été, comme on l’a vu à Fokoura et les autres écoles des Nations Unies qui ont été bombardées avec ce qui est, c’est pratiquement certain, du phosphore blanc), n’étaient pas des auberges de jeunesse, n’ayant pas même les éléments les plus basiques du luxe, ni chaleur, ni boissons chaudes, ni nuits reposantes.
« Nous n’arrivions pas à dormir, nous avions très peur. Il n’y avait aucune sécurité. Où pouvions-nous aller ? Nous n’avions nulle part.
Nous étions 35 dans une petite salle de classe. Pas de matelas, pas de couvertures. Il faisait froid, très froid, la nuit. Pas d’électricité. Pas d’eau. Les quelques toilettes de l’école devaient servir pour des centaines d’entre nous, elles étaient toujours occupées, sales. Après les quatre premiers jours, nos familles ont pu nous faire passer des couvertures, c’était mieux. Mais nous n’avions pas assez à manger, seulement un peu de pain, pas suffisamment pour une famille, et de la viande en boîte. »
Le soulagement d’avoir survécu l’emporte sur son droit à être indignée, déprimée, à pleurer et à se gémir sur ses souffrances.
« Merci Dieu nous avons une pièce dans notre maison. Les maisons de beaucoup de gens sont complètement détruites, » dit-elle de sa propre maison sérieusement endommagée. Les soldats qui ont saccagé, détruit leurs vêtements et mitraillé la maison ont aussi volé un ordinateur et 2000 dollars jordaniens, me dit-elle. Pourquoi mentirait-elle ? Je connais la famille, honnête et droite. Ils n’ont aucune raison d’inventer un vol. Et leur cas n’est pas isolé.
Amnesty International a envoyé une équipe d’observateurs à Gaza à la suite des attaques israéliennes. Chris Cobb-Smith, qui est aussi un expert militaire et fut officier de l’armée britannique pendant 20 ans, a dit : « Les Gazaouis ont vu leurs maisons pillées, vandalisées et profanées. De même, les soldats israéliens n’ont pas seulement laissé des tas d’ordures et d’excréments, mais aussi des munitions et autre équipement militaire. Ce n’est pas le comportement qu’on attend d’une armée professionnelle. »
Et c’est juste l’histoire d’une seule famille.
Ici les photos du saccage.
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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