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Israël - 3 mars 2008
Par Itamar LEVY
Me voici, je viens vers toi, Iyad. Dans la sacoche noire que tu as offerte à Gili pour son anniversaire, j’ai mis mon âge, ma conscience, et mon amour pour Eretz Israël. Pour Isralestine, comme tu l’appelles.
Voici, je viens à toi, Iyad. Ne m’attends pas devant la porte de ta maison. Je ne viens pas te rendre visite.
Dans la sacoche noire, je n’ai pas apporté des journaux et des graines de tournesol et du gâteau au fromage que tu aimes tant. Gili y a rangé des chaussettes de laine, des lames de rasoir, des bougies, le Docteur Jivago, mon carnet militaire, ma plaque d’identification, et mes bottes mauves de parachutiste.
Ne m’attends pas, Iyad. Ne m’observe pas de ta fenêtre assiégée. Je ne viens pas en copain. Si tu me rencontres dans ta rue, ne me souris pas. Un de ces jours, je frapperai sûrement à ta porte. Je ne me présenterai pas en ami mais en représentant du pouvoir juif occupant, et je vérifierai ton comportement. Ne me jette pas une pierre. Ne me dis pas «raciste». Tu sais quels sont mes sentiments à ton égard.
Si je te vise dans la lunette de mon fusil, ce n’est pas parce que tu es arabe. Si je matraque tes organes génitaux, ce n’est pas à cause de ta religion.
(…)
Dès mardi, Abû Âdel, j’obéirai aux ordres. Je recevrai une matraque en bois et des balles en caoutchouc. Je me munirai de grenades lacrymogènes et d’un casque. J’inscrirai mon nom sur un bouclier et sur une paire de menottes.
Si cela s’avère nécessaire, Iyad, j’aspergerai ta maison de gaz lacrymogènes, j’aspergerai ton fils unique, Âdel, qui est un fils pour moi. Et aussi ta compagne Khadija, qui porte en son sein celui qui portera mon prénom – tu me l’as promis. Je grimperai sur ton toit, et je brûlerai soigneusement le drapeau palestinien que Gili a brodé pour toi. Si on me le demande, je t’enterrerai vivant sur la plage, je collerai mon arme à ta tempe et je te ferai exploser en milliers de petites pensées. Car je suis un soldat, Iyad. Et mon père est un soldat, Iyad. Et mon frère est un soldat, Iyad.
Sors dans les rues de ta patrie, mon frère, et proclame la nouvelle : Voici les «Marines», voici les «Démons rouges», voici les «Coquelicots», voici les «Anges de la mort», voici la «Horde», voici les «Bandits», voici les «Commandos».
Vous allez regretter les enfants de l’armée régulière. Vous allez espérer le retour des gardes-frontières. Car nous, les vieux réservistes, nous n’allons rien laisser passer. Nous, sache-le, nous aimons obéir.
Et après la fin de la période de réserve, nos relations redeviendront comme avant. Nous rejouerons aux dames sur le tapis du salon. Nous mangerons de la soupe de maïs et du canard à l’ananas, et nous achèterons des Time chez Baba. Et ensuite, avant que vous rentriez sans votre pays, nous passerons la cigarette de la paix de main en main, et nous écouterons encore une chanson de Poliker, et une de Méïr Banaï, que tu aimes tant.
Mardi, Iyad, j’encerclerai ta maison avec mes hommes. Et s’il te prenait l’envie d’aller rendre visite à ma famille, je t’arrêterai au barrage. Je te mettrai un bandeau de flanelle sur les yeux, selon les ordres, et j’enverrai un de mes amis punir les parties les plus sensibles de ton corps, devant le mur de la mort. Et il ne servira à rien de me rappeler le verdict du procès de Kafr-Kassem.
Si l’ordre m’est transmis selon la voie hiérarchique, je vous ferai mettre en rang, et je tirerai.
Parce que je suis un citoyen. Un soldat. Un parachutiste. Un officier. Un commandant. Un lâche.
Parce que je suis conservateur.
Parce que je suis obéissant. Fidèle. Occupant.
Parce que je suis fort. Un social-démocrate. Un chien apprivoisé. Un traître. Un sioniste.
Parce que je suis cruel. Maudit. Parce que je suis kahaniste, je suis un nazi, un menteur.
Parce que je suis né ici. Je suis le miel de la terre.
Parce que je ne chante presque pas, je ne ris presque pas, je ne pleure presque pas.
Itamar LEVY,
Hadashot, 7 mars 1988.
NOTE D'Iyad Abbara, qui nous a envoyé cette lettre :
En feuilletant ce vieux numéro 28, de l’été 1988, de la « Revue d’Etudes Palestiniennes », je parcours une rubrique consacrée à une revue de la presse israélienne. Mes regards s’arrêtent sur le titre d’un petit article : «Lettre à Iyad».
Or c’est mon prénom, c’est comme si la lettre m’érait adressée.
Je commence alors à lire.
En avançant dans la lecture de cette lettre d’un parachutiste réserviste israélien à son «ami» palestinien, Iyad, et en me mettant à la place de mon homonyme qui, lui, vit en réel les conditions décrites, je suis de plus en plus ému et je sens des larmes monter à mes yeux.
La situation d'Iyad, le Palestinien est insupportable, et la transformation de l'Israélien d'un être humain en une bête sans pitié et sans sentiments, est terrible et incompréhensioble. Mais lire ou voir, ce n’est certainement pas comme subir !
Ce récit date d’une vingtaine d’années et depuis, la situation ne cesse d’empirer. Il est signé Itamar Levy et est extrait de la revue israélienne «Hadashot».
Source : Revue d’Etudes Palestiniennes
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