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Naplouse - 10 janvier 2005
Par Laila
Il est 13 heures, aussi T, S et moi quittons l’école des garçons et dépassons les gros tas de pierres empilées par les petits enfants pour barrer le passage aux véhicules militaires, et nous nous dirigeons vers les checkpoints qui nous sont assignés.
Jusqu’à ce que j’arrive à Talluzah, je voyais les chekpoints comme de gros obstacles permanents entre les villes et les carrefours, comme le chekpoint de Bethlehem et celui de Qalandia entre Jérusalem et Ramallah.
Ces chekpoints comportent des zones d’interminables files d’attente, des blocs de ciment pour faire obstacle autant que possible, des réseaux de camouflage disséminés, et des mini-tours d’où les soldats surveillent la scène.
Il y a une flopée bruyante de taxis de chaque côté, parce que les gens essaient de passer en voiture s’ils n’ont pas d’autre choix pour entrer, parce que même s’ils ont l’autorisation de passer, ça prend tellement de temps que ça ne vaut presque pas le coup.
(Quelqu’un a-t-il une dénomination à suggérer pour les taxis collectifs ? Un livre que j’ai lu récemment en a trouvé des sympa : "agents probables du M15" et "clavier de secrétaires").
Il y a des gens qui vendent du thé, du café et des haricots chauds et salés pour vous distraire pendant que vous attendez que le taxi collectif ait fait le plein pour partir.
Quand vous êtes Palestinien, vous passez une grande partie de votre temps assis autour des checkpoints. Il y a souvent des gens qui, au hasard, reviennent avec du thé ou du café pour moi et pour eux. L’hospitalité des Palestiniens, toujours.
Mais les checkpoints volants, une nouveauté pour moi, sont bizarres.
Imaginez une route parfaitement normale que vous preniez cinq minutes plus tôt comme vous le vouliez et maintenant à cause d’une jeep – ou d’un transport de troupe blindé – ou un char – apparaît avec deux soldats en armes : c’est un check point.
Quelques fois ils ne se garent même pas sur la route et on peut techniquement les dépasser mais évidemment on ne le fait pas.
Nous sommes là pour faciliter la situation dans toute la mesure de nos moyens : dissuader tout porteur d’arme ou quiconque voudrait taper ou arrêter, voir si dans les faits, les gens passent, peut-être faire activer les choses.
Les enfants s’en vont chez eux, et d’autres gens reviennent de là où ils ont réussi à aller aujourd’hui.
Pendant un moment, les soldats se mettent mollement à stopper les gens à une certaine distance, en leur gueulant d’avancer un par un et de montrer leur carte d’identité, qu’ils vérifient à leur façon.
C’est lent, fatigant, tout le monde a froid, et de toute évidence, c’est inutile.
Après un petit moment, - ça se termine pour nous par trois véhicules qui peuvent quitter le parking de la route. C’est un taxi, une voiture privée et un minibus de l’école de filles, plein d’adolescentes.
Dans chaque véhicule, une carte d’identité a été confisquée et n’a pas été rendue. Il fait plus froid, on gèle presque. Stupidement j’ai laissé mon haut thermogène, mes collants et mes gants à Jérusalem. Je ne me suis pas rendu compte que nous allions dans une ville de montagne.
C’est la plus belle vue qui soit sur la Jordanie, mais moins de panorama et plus de chaleur serait bien venue. T. me donne ses gants. Il m’explique que je peux les accepter parce que c’est de la compassion pas de la galanterie, et que ses mains de toute façon se réchauffent mieux dans ses poches.
Ca ne m’a pas l’air très plausible mais je ne discute pas. Les écolières portent leurs longs vêtements traditionnels, faits dans des matières qui n’ont pas l’air chaudes.
Elles sont sorties de la fourgonnette parce qu’elles étaient trop serrées, mais je crois qu’elle auront encore plus froid que moi qui ai l’expérience du climat anglais.
En réponse à la demande des gens arrêtés, nous commençons graduellement à harceler les soldats, ce qui pour diverses raisons change les choses.
En tant que fille et dès lors moins menaçante (ah ! si seulement ils savaient !) en colère je fonce vers eux, la première.
"Ok bon, alors qu’est-ce qu’il y a ? Ces gens sont ici depuis un bon moment. Il fait froid ".
Un soldat me dit qu’il ne parle pas anglais.
La plupart des soldats parlent anglais mais c’est un moyen facile de ne pas répondre.
Le second dit : "Nous les contrôlons". "Bon, et si vous téléphoniez encore une fois".
J’ai suggéré : "Pressez un peu les choses".
J’imagine un centre téléphonique israélien pour les vérifications des cartes d’identité palestiniennes, avec tous l’inefficacité des centres habituels d’appel et pas l’envie d’avoir un service clientèle. La personne qui vérifie les cartes d’identité est probablement partie pour une pause cigarette.
Les soldats marmonnent, retournent à leur jeep, où ils peuvent rapidement prendre une boisson chaude et un plateau repas.
Encore dix minutes, T. ou S va aller demander quel est le marché.
Si nous pouvons les agacer assez, ils pourraient trouver plus simple d’arrêter de retenir les gens.
… cela fait une heure maintenant.
Les voitures sont toujours arrêtées, ce que nous cessons de faire remarquer aux soldats qui deviennent de plus en plus fuyants et disent des trucs comme : "Je n’aime pas faire ça, vous savez".
Nous bavardons avec les écolières.
Je me rappelle que j’ai un boîte pleine de craies dans mon sac pour les situations de ce genre. En donnant des morceaux de craie aux filles, je commence à dessiner sur la route – une fleur, ensuite un chat. Elles sont ravies mais en même temps n’ont pas l’air d’être sures qu’on leur permette de barbouiller sur la route.
Elles se poussent du coude en essayant d’en convaincre une de commencer la première et en riant nerveusement.
S. dessine une fille en robe palestinienne avec une bulle qui dit : "Ne tirez pas sur moi" -
T dessine un grand visage de smiley.
Le chauffeur de taxi arrive et lui ajoute une cigarette ce qui nous fait tous rire. Ensuite une des petits filles s’agenouille vivement, dessine une étoile de David, et repart presque tout suite se cacher derrières les autres élèves qui sont impressionnées par son audace.
Mais pourquoi une étoile de David ? J’ai vu ce genre de graffiti sur les boutiques palestiniennes après les incursions de l‘armée et aussi gravé dans les meubles d'une famille après une attaque des soldats israéliens.
Pourquoi a-t-elle dessiné ça ? Ce n’était ni de la colère, ni pour faire allusion à la violence.
Ca se trouve juste là, sur la route.
Comme le checkpoint
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : MG pour ISM-France
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