Israël - 3 mars 2004

Ne vous servez pas de mon chagrin pour votre politique

Par Tama Shriber

Mme Shriber a été présentée par Haaretz comme journaliste. Cet article est paru dans l’édition en Hébreu d’Haaretz le 29 février 2004, puis traduit en anglais par Sol Salbe et diffusé sur la liste New Profile.

Ne vous servez pas du sang de ma mère.
La mort de ma mère dans une attentat-suicide n’est pas le bien de la nation.
Vous ne pouvez vous l’approprier pour faire la propagande de l’Occupation.
Ce n’est pas de l’huile à lubrifier les roues de la machine à Occuper.
Vous ne pouvez pas annexer ce qui est ma tragédie personnelle.

Les "meilleurs de nos garçons et de nos filles" ont défilé au pas à la Haye le lundi 23 février . Ils ont utilisé l’arme du Jugement dernier pour se protéger de ceux qui attaquaient notre Mur : les corps de citoyens israéliens, 1250 noms et 927 photos .

Quand j'ai découvert ça, je me suis sentie submergée par une anxiété qui m'a suffoquée.

Serait-elle là aussi ?

L'auraient-ils déterrée de sa tombe pour la promener dans la rue, shahid (martyre) souriante partant au combat pour le Jihad du gouvernement israélien ?

Auraient-ils osé ?

Je le crains. Il n’y a pas longtemps que j’ai découvert qu’ils déclamaient son nom à haute voix le jour du Memorial Day (Journée du souvenir) lors de la cérémonie à la mémoire des soldats israéliens, morts au combat.

Croyez-vous qu’on m’ait demandé ce que j’en pensais ?

La pièce de choix de l’exposition artistique du symposium sur le Mur fut la carcasse carbonisée du bus 19 qui a explosé à Jérusalem. Le bus a été un très bon gadget. Dans mon cas particulier, c’était un nerf à vif. Il m’a ramenée dix ans en arrière, à ce déjeûner du 6 avril 1994. C¹était veille de Yo Hashoah et ma maman, Ilana Shriber, attendait un autre bus près d’Afula. Il y a eu aussi une bombe.

Pour le gouvernement d’Israël et ses spécialistes en communication, il y a une nouvelle équation démagogique : le Mur = pas d’attentats. Pour les aider, les spécialistes ont eu recours aux victimes de la terreur qu’ils ont fait comparaître contre les accusés dans le procès spectacle qu’ils ont concocté.

C’est une initiative géniale de la part de la défense. Si vous en doutez, alors allez-y et dites à une mère en deuil, à un orphelin ou à une veuve que le mur est mauvais.

Pourrez-vous soutenir leur regard quand vous agiterez sous leurs yeux les statistiques concernant les 875 000 palestiniens victimes du mur ?

Pourrez-vous leur dire que 65% de la terre est soit isolée soit confisquée, qu'ils ne peuvent plus atteindre l¹hôpital et que les familles sont divisées ?

Comment leur direz-vous qu’un mur de béton, haut de huit mètres ne peut s’appeler barrière que dans le Newspeak (i-e : le dictionnaire) ?

Ce n’est pas facile mais il n’y a rien à dire d’autre que « Ce bon Ariel ».

Pour paraphraser Ehud Barak nous sommes ici, ils sont là, et la paix règne en Israël. Mais ces formidables remparts commencent à craquer quand vous découvrez que ce n’est pas seulement la Cour de la Haye qui décide d’elle-même qui peut être se présenter (devant la cour)et qui ne le peut pas. Le côté israélien aussi est compliqué.

Selon Gideon Meier, le Directeur Général adjoint du Ministère des Affaires Etrangères, les seuls soutiens de la position israélienne se seraient trouvés dans la délégation officielle ou semi officielle. Il a ajouté qu'il ne manquait pas de gens pour diffamer Israël à l¹étranger.

En d’autres termes, les gauchistes sont comme du linge sale qu¹on n’étend pas en public .

Mais alors qu’en est-il des gauchistes quand ils sont victimes du «terrorisme» ?

Qu’en est-il de ceux qui ne s’alignent pas derrière la «position d’Israël» tout à la fois à propos du Mur et de l’Occupation ?

Notre silence est pris comme un acquiescement à cette abomination.

En ce me concerne, si je suis maintenant orpheline, ce sont les gouvernements israéliens successifs qui sont responsables de la perte de ma mère.

Le Mur, c'est comme du gros sel sur mes blessures et non un bandage. Je n’ai pas demandé un ticket pour la Haye. Mais je soupçonne que si j’avais envoyé mon CV ­ l’histoire de ma vie (et de la mort) exposant mon point de vue, on m'aurait considérée comme n'étant pas digne en d¹être enrôlée au service de la propagande.

La raison en est simple : il n'y a qu'une personne insensée pour proposer cette fausse équation qui additionne deux termes négatifs. L’Occupation plus le mur de l’Apartheid égalent un océan de mort.

Rien n’est aussi personnel que la mort. La cruelle vérité, c'est que quand vous perdez un proche, vous êtes tout seul. Vous êtes une personne seule, pas une nation.

Je ne joue pas les innocentes. Evidemment, les racines et les implications d’une mort dans un attentat à la bombe sont politiques. Mais en Israël où la mort est par nécessité liée au désir d’élargir le cercle de la vengeance, elle est tellement politisée qu’insister pour garder sa peine pour soi devient une idéologie personnelle.

Pendant dix ans, j’ai été incapable ou ne j’ai pas voulu m’occuper de ce qui sortirait de ce placard. Aujourd’hui, c'est autre chose. Le silence est pris pour un consentement. C’est comme voter blanc au bénéfice des tous les partis.

Je ne voudrais pas voter comme ça dans les pires de mes cauchemars. Plus jamais.

A partir de maintenant, je voterai différemment. Je suis la victime d’une «action hostile».

J¹ai perdu ma mère à cause d’une guerre horrible, injuste et inutile.

Les millions de Palestiniens qui sont encerclés, ont faim, sont humiliés ou morts ne peuvent pas remplir le vide qui s’est ouvert en moi.

Au contraire, chaque nouvelle mort dans cette violence symbiotique rouvre ma blessure. Le sang n’est pas un bien national.

Ce n’est pas de l’huile à lubrifier les roues de la machine à Occuper.

Vous ne pouvez pas annexer ce qui est ma tragédie personnelle.