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Gaza - 9 janvier 2009
Par Eva Bartlett
Après avoir fait équipe avec le PRCS hier matin, nous sommes allés à l’école Fakoura pour voir et entendre les voix. Des prières étaient dites dans la rue en face de l’école. J’avais déjà vu des prières en plein air, à l’extérieur, en Palestine, en Egypte. Mais ces jours-ci, lorsque je vois la masse de gens en prières, en face de l’hôpital Shifa, dans les rues de Jabaliya, je pense aux mosquées qui ont été bombardées, à la perte des vies et des sanctuaires. Et hier, je pensais à la perte d’un abri sûr.
La douleur était manifeste, et l’indignation aussi. « Nous devons rester », demande un homme. « Combien faut-il de morts ? Combien ? » C’est la question qui résonne dans mon esprit depuis les attaques du 27 décembre.
De l’autre côté de l’école, dans la rue Fakoura, à bas d’une ruelle d’environ 15 mètres, un énorme trou dans la maison Deeb révèle ce qui s’est passé lorsqu’elle a été frappée par la bombe. Des ronds de pâte à pain sont posés à l’endroit où ils avaient été posés avant la cuisson. Amal Deeb avait la trentaine, nous a dit un survivant de la famille. Lorsque le missile a frappé, il l’a tué, ainsi que 9 autres membres de la famille élargie, dont 2 garçons et 3 filles. 4 autres ont été blessés, un a perdu ses deux jambes.
En approchant de la maison, l’odeur du sang est toujours forte, et il y en a des tâches et des flaques au milieu des gravats de la pièce. Plus tard, à l’hôpital Kamal Adwan de Jabaliya, Ahlam, 19 ans, est allongée, consciente mais grave, sans réaction. La femme à côté d’elle explique ses blessures : lacérations d’éclats d’obus sur tout le corps, et blessures plus profondes dues aux éclats à l’estomac. Ahlam ne sait pas que 9 personnes de sa famille ont été tuées.
De retour dans la rue en face de l’école Fakoura des Nations Unies, les gens en deuil se sont rassemblés, prêts à marcher, à porter les morts et leurs morceaux à leur lieu de repos comble. Des drapeaux de toutes les couleurs se mélangent dans la procession des funérailles : aucun parti ne domine, c’est une douleur collective pour une punition collective (photo ci-dessus).
Tellement de gens ont rejoint la procession à travers les rues étroites que le cortège se partage, prenant différentes rues, pour atteindre le cimetière. A l’entrée, des blocs de ciment décorés indiquent les tombes plus anciennes, installées à une époque où le ciment et l’espace étaient disponibles. Maintenant, on voit les derniers corps sous des tas de sable, enterrés juste assez profond pour être couverts, mais pas de manière correcte. Certaines tombes sont recouvertes de blocs de ciment, d’autres de feuilles. Et certaines sont à peine visibles, juste par le surélèvement de la terre. Mais c’est trop entassé, trop dur de savoir où peut se trouver une tombe, pas de possibilité d’un aménagement dans l’espace qui soit respectueux.
« Faites attention où vous marchez », avait dit un ami, Mahmoud, montrant une tombe d’enfant à peine visible.*
Je suis frappée par l’énorme nombre de morts. Après 12 jours de tuerie et de guerre psychologique, j’étais devenue… moins choquée par la vue des corps en morceaux, un peu anesthésiée… comme peut l’être un médecin, ou une personne confrontée à ça encore et encore. J’étais et je suis horrifiée par le massacre en cours, par les images des cadavres des enfants qu’on dégage des décombres, étonnée que ça continue… mais adaptée au fait qu’il y a des corps, des mutilations, des vies ruinées.
Debout parmi les tombes sableuses de fortune, regardant les hommes creusant à la main, les autres portant les corps sur n’importe quelle planche suffisamment longue – tôle ondulée, morceaux de bois, brancards – pour les enterrer à la hâte, les drones bourdonnaient toujours au-dessus de nos têtes et on entendait les tirs des chars à 100m, à nouveau ce fut trop. J’ai pleuré pour tous les morts et les blessés d’un peuple qui sait que son sang coule à flot et continuera à couler.
L’autre jour, Hatem m’a dit d’être forte, comme les Palestiniens, pour les Palestiniens. Et j’essaie, bien que chaque jour apporte son lot d’assassinats que personne n’aurait imaginés. Coupée des autres parties de Gaza, je lis l’histoire de la famille Samouni et je vois les photos d’un bébé extirpé des décombres de la maison bombardée par un avion israélien. Mohammed, un reporter, a pris des photos de beaucoup des morts des bombardements des maisons. Et aujourd’hui, Hatem s’écroule, bien qu’il soit fort. C’est beaucoup trop.
Nidal, un secouriste, m’a dit qu’il était à l’école Fakoura quand elle a été bombardée. Sa tante et son oncle vivent à côté, il était allé voir des amis à l’école. « J’étais là, je discutais avec des amis, juste à côté de l’endroit où les 2 missiles ont frappé. Les gens qui se tenaient entre moi et les missiles ont fait comme un bouclier. Ils ont été déchiquetés. Environ 20 personnes », dit-il.
Comme beaucoup des Palestiniens que j’ai rencontrés, Nidal a une histoire de perte, même avant cette attaque phénoménale sur des civils. A seulement 20 ans, Nidal déjà perdu son père et son frère, devenus martyrs, comme on dit ici, par les balles des snipers. Sa main droite atteste de sa part dans l’histoire : « C’était il y a 3 ans, l’armée israélienne avait envahi notre secteur (Jabaliya). Un soldat a lancé une bombe assourdissante sur nous et je l’ai ramassée pour la jeter. Elle m’a explosée dans la main, avant que je puisse la lancer. »
Les Israéliens font un usage prolifique des bombes assourdissantes dans les manifestations non violentes telles que Bi’lin et Ni’lin, parmi d’autres villages de Cisjordanie occupée ; beaucoup de jeunes apprennent très tôt comment les jeter au loin. Mais les moignons de doigts de Nidal montrent qu’il n’a pas eu cette chance. Plus chanceux que son père et son frère, tout de même. Et plus chanceux que deux de ses cousins, les fils de son oncle, qui étaient sur place lorsque les missiles ont été tirés sur l’école des Nations Unies. A 12 et 27 ans, ils ont été tués.
Osama donne son témoignage de secouriste sur les lieux après les multiples tirs de missiles. « Quand nous sommes arrivés, j’ai vu des cadavres partout. Plus de 30. Des enfants morts, des grands-parents… Des morceaux de chair partout. Et du sang. Il y avait beaucoup de monde, c’était difficile de sortir les blessés et les martyrs. Il y avait aussi des cadavres d’animaux parmi ceux des humains. J’ai aidé à transporter 15 morts. Il a fallu que je change de vêtements 3 fois. Ces gens pensaient qu’ils seraient en sécurité dans l’école des Nations Unies, mais l’armée israélienne les a tués, de sang froid », dit-il.
Mohammed K., un bénévole du PRCS, était ailleurs lorsque l’abri sûr des Nations Unis a été bombardé. « Nous étions à Jabaliya, à l’école « G » des Nations Unies, pour interroger les gens déplacés qui s’y abritaient. Nous voulions savoir combien de personnes restaient là, d’où ils venaient et pourquoi exactement, et s’ils se sentaient en sécurité dans l’école. Pendant qu’on était là, nous avons entendu les explosions, vu la fumée, et nous nous sommes demandés où étaient tombés les bombes. C’était à Fakoura. »
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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