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Gaza - 27 novembre 2006
Par Laila al-Haddad
Ma famille et moi sommes sur le chemin du retour à Gaza des Etats-Unis. Nous sommes arrivés au Caire la semaine dernière, et de là nous sommes partis en taxi pour 5 heures de route jusqu'à la ville frontière d'Al-Arish, à 50 kilomètres de la frontière avec Gaza.
Nous sommes restés à al-Arish pour la nuit.
La nuit dernière, nous avons eu de faux espoirs - espoirs transmis en bas de la vigne du chauffeur de taxi par ceux qui font le circuit Le Caire-Rafah – disant que la frontière ouvrirait tôt ce matin.
Aussi nous n'avons pas déballés nos sacs, nous nous sommes endormis tôt avec le bruit des vagues de la Méditérranée – les mêmes mais quelques kilomètres plus bas que celles qui s'écrasent contre les rivages assiégés de Gaza.
Mais 4 heures passent, puis 5 heures, puis 6 heures, et la frontière ne s'ouvre pas.
Et mon coeur se met à cogner, en me rappelant la dernière fois où j'ai essayé de passer par Rafah ; en me rappelant comment je suis restée bloquée pendant 55 jours ; 55 jours où Yousuf a appris à se lever tout seul, 55 jours pendant lesquels il a fait ses premiers pas, sur une terre qui n'était pas à nous ; 55 jours de solitude et de déplacement.
Le propriétaire du magasin local nous a raconté qu'il avait entendu dire que la frontière ouvrirait peut-être jeudi "mais vous savez comment c'est, toutes ces rumeurs. On ne peut jamais être certain.
Même les responsables de la frontière égyptienne admettent qu'en fin de compte, les ordres viennent du côté israélien.
C'est comme s'ils prenaient plaisir à nous faire languir dans l'incertitude. La perpétuelle inconnue. Comme s'ils voulaient que nous restions là à penser et à devenir dingues.
J'ai téléphoné au bureau du porte-parole de l'armée israélienne, puis au Ministère israélien de la "Défense" qui m'a renvoyé au bureau du porte-parole de l'armée qui m'a dirigé vers deux autres bureaux et je n'ai rien aprris du tout.
Comme me l'a dit un ami israélien, "l'incertitude est utilisée comme un élément du répertoire presque sans fin de l'occupation."
Même l'équipe de football palestinienne n'a pas pu sortir de Gaza en raison de la fermeture de Rafah, pour participer aux jeux asiatiques. Personne n'est exempt. Paysan ou joueur pro de football, nous sommes tous vulnérables.
Longues journées
C'est maintenant notre cinquième jour à Al-Arish. Le passage de Rafah a étéfermé pendant à peu près plus de six mois, s'ouvrant seulement de temps en temps pour laisser passer des milliers de Palestiniens échoués. Et ensuite il se ferme à nouveau.
Chaque nuit, c'est le même rituel. Nous emballons nos affaires, nous nous couchons de bonne heure et nous nous réveillons à 5 heures pour appeler la frontière.
Nous avons loué ici un petit appartement près de la plage. Ce n'est pas cher, moins cher qu'au Caire, et certainement moins cher qu'un hôtel, et ils sont habituellement loués aux Palestiniens comme nous, qui attendent que la frontière s'ouvre. C'est la basse saison maintenant, et le prix n'est que de 12 dollars US par jour.
En été, quand la frontière est fermée, les prix grimpent jusqu'à 35 dollars US par jour - et c'est à condition que vous puissiez trouver un appartement de libre. Nous pouvons nous le permettre. Mais pour beaucoup de Palestiniens qui viennent en Egypte pour se faire soigner, et sans beaucoup d'argent, même ces prix de location peuvent commencer à monter.
Bidonville palestinien
Lors des périodes de fermeture prolongée, comme cet été, et l'année dernière, Al-Arish devient un bidonville palestinien.
Des milliers de Palestiniens sans ressources, n'ayant plus d'argent parce qu'ils n'avaient pas anticipé une durée aussi longue de fermeture, finissent dans les rues.
En réponse, et sous la pression israélienne, la police égyptienne n'autorise plus les Palestiniens qui arrivent du Caire à passer par le port égyptien d'Al-Qantara si la frontière est fermée et Al-Arish devient bondée.
"Ils la transforment en ghetto. Les Israéliens ne voulaient pas qu'ils fassent de nouveaux trous dans la frontière pour passer." Explique le chauffeur sur un ton nonchalant.
Pour les jeunes hommes palestiniens qui rentrent à Gaza, c'est encore pire : Ils sont confinés à l'aéroport du Caire ou à la frontière, sous escorte militaire - et seulement après ils leur rendent leurs passeports.
Tout le monde s'en fout
Nous allons "au centre ville" aujourd'hui – une seule rue - acheter d'autre nourriture. Nous faisons des achats par petites rations, "au cas où la frontière s'ouvrirait demain."
J'ai l'impression d'avoir répété ce refrain des centaines de fois déjà. Je vais vérifier mes emails. Je me sens très seule ; tout le monde s'en fout, personne ne sait, personne ne veut s'embêter à savoir. C'est cela que doivent ressentir tous les jours les réfugiés palestiniens."
J'ai lu les informations, en survolant les titres, à la recherche d'une information sur Rafah. Rien. Un seul article au sujet de l'équipe palestinienne de football ; d'autres au sujet des observateurs européens qui renouvellent leurs postes pour six mois. Nous n'existons pas.
Si vous êtes avez assez de "chance" pour être coincés ici pendant des périodes de fermeture prolongée, quand les choses vont vraiment mal - quand assez de Palestiniens meurent sur la frontière à attendre, ou que la nourriture et l'argent se font rares pour que la Croix Rouge s'implique, alors peut-être, peut-être que vous aurez une mention dans les journaux.
Et les gens se souviendront qu'il y a des êtres humains qui attendent de rentrer chez eux ou de sortir et ils reprendront leurs vies et les choses quotidiennes que nous faisons chaque jour – peu importe si les choses sont graves ou insignifiantes. En attendant d'être à nouveau obsédés.
Mais maintenant, après six mois, la fermeture n'est plus intéressante. C'est le fonctionnement des médias : ce qui est une fois détesté devient le statu quo puis réellement accepté.
Assiégés
Avant à Rafah, toute personne en possession d'une autorisation de voyager ou d'un visa délivré par les Israéliens pouvait entrer dans Gaza - mais jamais des réfugiés naturellement.
Depuis le désengagement l'année dernière, tout cela a changé.
À peu d'exceptions (les diplomates, le personnel de l'ONU et de la Croix Rouge, des journalistes autorisés) personne, même si les habitants de Gaza ont des papiers d'identité délivrés par les Israéliens, ne peut entrer dans Gaza maintenant. Aucun étranger, aucun Arabe, aucun banquier occidental, ni même les conjoints des habitants de Gaza, ou des réfugiés palestiniens.
Quelques jours ont passé. On dirait que cela fait des années
Pour les Palestiniens, les frontières sont un rappel de notre vulnérabilité et de notre non-appartenance, de notre déplacement et de notre dépossession. C'est un rappel douloureux d'une patrie perdue.
Et que se passerait-il si ce qui reste était aussi perdu.
De la même façon, nous perdons un peu de nous-mêmes à chaque fois que nous franchissons la frontière ou que nous attendons pour la franchir.
Nous attendons notre vie entière, en tant que Palestiniens. Si ce n'est pas l'ouverture d'une frontière, c'est l'obtention d'une autorisation, c'est la fin d'une incursion, pendant un certain temps quand on ne peut pas attendre plus longtemps
Donc, c'est ici, à 50 kilomètres de la frontière de Rafah, que je me suis souvenue à nouveau du déplacement. Que je suis devenue "un déplacé à l'étranger" pour citer le poète palestinien Mourid Barghouti.
"Le déplacement est censé être quelque chose qui n'arrive qu'aux autres." dit-il.
Comme c'est vrai. Pour les réfugiés que le monde prend bien soin d'oublier. Qui n'ont aucun droit au retour. Qui ne retournent nulle part et partout dans leurs esprits un million de fois. Quand la frontière se ferme, nous sommes toujours plus proche d'en devenir un.
Bien sûr, ce réfugié, c'est Yassine, mon mari, qui ne peut même pas venir jusqu'en Egypte. Qui ne peut pas rejoindre Yousuf et moi quand nous voyageons dans les deux sens par Rafah.
Mais les Palestiniens n'oublient jamais leur solitude. Les frontières leur rappellent toujours, toujours, cela.
C'est pourquoi je hais le passage de Rafah par-dessus tout.
C'est pourquoi je déteste les frontières. Elles me rappellent que, comme tous les Palestiniens, je suis de partout et de nulle part. Elles sont les frontières de la dépossession.
Nous avons emballé et déballé nos sacs des dizaines de fois. Ma mère a finalement a ouvert le sien dans un geste de frustration - ou peut-être, de pragmatisme.
Cela semble être un mauvais présage, mais parfois les choses vont à l'envers ici : la dernière fois que nous avons été coincés à attendre que la frontière s'ouvre, quand nous avons décidé d'acheter plus d'une ration quotidienne de nourriture, la frontière s'est ouverte.
Tout le monde devient soudain une source crédible sur la fermeture, et les oreilles désireuses écouteront toutes les informations qui sont données.
Un bijoutier local insistait sur le fait qu'elle s'ouvrirait hier à 16 h. - une suggestion qui a bien fait rire les chauffeurs de taxi ; ils ont parié sur jeudi - mais jeudi est venu et a disparu, et la frontière est toujours fermée.
Atiya, notre chauffeur de taxi, dit qu'il a entendu qu'elle ne s'ouvrirait pas avant le pélerinage musulman (Hajj), dans quelques semaines. Nous sommes enclins à le croire - les chauffeurs de taxi sont ceux qui fournissent les informations les plus fiables ; leur vie en dépend.
En fin de compte, la "sécurité" est le problème et ce qu'ils n'auront jamais. Pour nous les Palestiniens, nous en sommes arrivés à mépriser ce mot : la Sécurité. Elle est devenue une déité plus sacrée que la vie elle-même.
En son nom, même le meurtre peut devenir un acte justifiable.
Nous dormons, nous nous réveillons, et nous attendons que le téléphone sonne pour avoir quelques nouvelles. Chaque fois que nous entendons des coups sur la porte, nous nous précipitons pour voir si le messager apporte de bonnes nouvelles. Aujourd'hui ? Demain ? Dans une semaine ?
Non, c'est seulement le sourd du village. Il se souvient de nous la dernière fois, il nous offre de sortir nos poubelles contre un peu d'argent et de la nourriture.
Nous nous asseyons et nous regardons le coucher du soleil. Que sait-il de l'attente, de l'anticipation, de la déception et de l'espoir ; un million de fois par jour ?
Source : http://www.palsolidarity.org/
Traduction : MG pour ISM
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Laila al-Haddad
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