Hébron - 19 juin 2012

Susiya : un nettoyage ethnique en cours dans les collines du sud d'Hébron

Par Nasser Nawaj’ah

Nasser Nawaj’ah est chercheur de terrain pour B'Tselem et habitant de Susiya, dans les collines du sud d'Hébron. Cet article a d'abord été publié en hébreu sur Ynet et a été traduit de l'arabe à l'anglais par Libby Lenkinski.

Je m'appelle Nasser Nawaj’ah. J'ai 30 ans. Ma mère m'a donné naissance dans une grotte, à Susya el-Kadis. Pour vous, Susya est une colonie dans les collines du sud d'Hébron, mais Susya est d'abord un village palestinien qui date d'avant la création de l'Etat d'Israël. Ma mère m'a donné le nom de mon grand-père, qui était encore en vie à l'époque. En 1948, il avait été expulsé de son village, près d'Arad, maintenant au sud d'Israël. Lors de l'expulsion, mon père n'était qu'un petit garçon et mon père l'a porté dans ses bras jusqu'à ce qu'ils rejoignent leur famille à Susya el-Khadis. Ils espéraient revenir un jour dans leur village, mais mon grand-père est mort sans jamais le revoir.

Le village palestinien de Susiya et la colonie sioniste illégale en arrière plan
Un an après ma naissance, en 1983, la colonie de Susya a été créée. En 1986, après que des archéologues israéliens aient trouvé les restes d'une synagogue dans notre village, nous avons été à nouveau expulsés. J'avais 4 ans. Mon père m'a pris dans ses bras pendant que les bulldozers détruisaient nos maisons et bloquaient les grottes dans lesquelles nous vivions. Nous nous sommes dispersés sur nos terres agricoles, autour du village. Les adultes espéraient que nous reviendrons un jour dans nos grottes, mais une clôture a été dressée autour du village, qui a été transformé en site archéologique. Aujourd'hui, nous vivons toujours sur nos terres agricoles et je peux voir l'endroit où je suis né, mais je ne peux pas y aller. Les Israéliens et les étrangers du monde entier peuvent pénétrer sur le site, mais pas moi.

Le soi-disant "site archéologique"

Après 1990, les tentatives d'expulsion ont recommencé. Bien que nous soyons en possession des documents qui prouvent que la terre nous appartient, les grottes dans lesquelles nous avons vécu et nos puits ont été détruits. Mais chaque fois, nous sommes revenus reconstruire. En même temps, la colonie israélienne de Susya a continué à croître et à prospérer. En 2001, après le meurtre de Yair Har Sinai, des colons sont arrivés avec l'armée et ont à nouveau détruit nos grottes et nos puits et déraciné nos arbres. Ce n'est que 10 jours après, suite à une décision provisoire de la Haute cour israélienne, que nous avons pu rentrer chez nous.

Aujourd'hui, nous vivons sous des tentes - et même elles sont menacés par des ordres de démolition qui nous obligent à avoir des permis de construire. C'est la vie d'un Palestinien en Zone C de Cisjordanie . Nous ne pouvons pas obtenir de permis de construire, nous sommes dépossédés et bannis de notre terre. Israël rejette toutes nos demandes de permis. Les canalisations de la compagnie d'eau d'Israël Mekorot passent à quelques mètres de notre village - elles apportent l'eau aux avant-postes illégaux qui nous encerclent mais nous n'y avons pas droit. Nous n'avons pas accès à l'eau qui coule dans ces conduites, même si c'est notre eau, l'eau qu'Israël pompe en Cisjordanie .


Une des grottes à Susiya (photo Blog Johebron)

Nous sommes obligés de ne compter que sur l'eau de pluie que nous collectons dans nos puits. La situation vis-à-vis de l'eau est désastreuse dans les collines du sud d'Hébron, et nous sommes sans cesse obligés de compléter en achetant de l'eau par camion-citernes pour notre consommation, surtout l'été. Nous la payons 35 shekels (7€) le m3 - environ 4 fois plus cher que son prix en Israël.


Colonie sioniste à Susiya

Il y a 4 mois, l'organisation Regavim a déposé une pétition devant la Haute cour pour demander la destruction de notre ville, Susya. Ils s'y réfèrent comme à un "avant-poste illégal" et prétendent que notre village représente une menace sécuritaire. La semaine dernière, une audience s'est tenue devant la Haute cour. Ils ont qualifié mon village d' "avant-poste palestinien illégal". Mais ce sont nos terres depuis avant la création de l'Etat d'Israël. Mon père est plus vieux que votre Etat et je n'ai pas d'existence légale sur ma propre terre ? Je vous pose la question : où est la justice dans tout cela ? Dans vos tribunaux, il y a une différence entre un Palestinien et un colon. Vous dites "construction illégale", mais ce dont nous parlons, c'est d'une grotte vieille de plusieurs centaines d'années.

Des avant-postes illégaux israéliens sont partout autour de nous dans la région de Susya, et il y a dans les colonies elles-mêmes de nombreux bâtiments sous le coup d'ordres de démolition - mais ils ont tout. Le gouvernement leur fournit l'infrastructure pour l'eau et l'électricité malgré le fait que selon le droit israélien, elles sont illégales, et il ne leur arrive rien. Et maintenant vous voulez déplacer le vieil homme de chez lui ? Nous expulser de la terre qui nous appartient, sur laquelle nous vivons de génération en génération, c'est tout ce que nous savons.


Nasser Nawaj’ah à gauche, avec Salam Fayyad


(*) Titre original de l'article en anglais : "Palestinian from Area C on a life in constant need of rebuilding"

Lire également : "L'occupation ordonne la démolition de 52 structures et tentes au sud d'Hébron", ISM-France, 13 juin 2012.

Source : 972+mag

Traduction : MR pour ISM