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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

VOYAGE AU PROCHE-ORIENT - reportages 8 à 12

Par

Nadir Dendoune est journaliste, et auteur notamment d’un livre, "Lettre Ouverte à un fils d’immigré", éditions Danger Public.

En France, beaucoup s’imaginent que les Palestiniens sont souverains sur leur terre, ce qui est faux, il y a un occupé et un occupant, un colonisateur et un colonisé. Beaucoup de mes confrères (heureusement que certains dérogent à cette règle) flippent de perdre leur boulot et préfèrent raconter des salades mexicaines, dans la vie, ou t’en as, ou t’en as pas, c’est aussi simple que ça ! Un jour, peut-être, ces « sans-burnes » se regarderont dans la glace et éprouveront de la honte.

VOYAGE AU PROCHE-ORIENT - reportages 8 à 12


La vie au check-point (8)

Les Palestiniens savent toujours à quelle heure ils partent, ils ont des montres, ce sont des gens civilisés, mais il ne savent jamais à quelle heure ils vont arriver. Avant de venir en apartheid-land, je n’imaginais pas à quel point la présence militaire israélienne était aussi présente en Cisjordanie .

En France, beaucoup s’imaginent que les Palestiniens sont souverains sur leur terre, ce qui est faux, il y a un occupé et un occupant, un colonisateur et un colonisé. Beaucoup de mes confrères (heureusement que certains dérogent à cette règle) flippent de perdre leur boulot et préfèrent raconter des salades mexicaines, dans la vie, ou t’en as, ou t’en as pas, c’est aussi simple que ça ! Un jour, peut-être, ces « sans-burnes » se regarderont dans la glace et éprouveront de la honte.

Je ne demande pas grand-chose, juste qu’on rappelle sans cesse qu’Israël, the only democracy in the middle East est un état voyou, puisqu’il s’en cogne du Droit International, plusieurs résolutions ont été votées et elles ne sont jamais respectées. Je leur demande juste de ne pas avoir peur : dénoncer la politique raciste et colonialiste de l’Etat d’Israël ne veut en aucun cas dire qu’on est antisémite. BASONS-NOUS SUR LE DROIT INTERNATIONAL et tout ira bien Simone, comme vous le faites d’ailleurs si bien quand vous vous servez de votre plume acerbe et sans fioriture quand il faut dénoncer les agissements anti-démocratiques des pays-Bougnoules et des pays-Négros. Bref, vous voyez très bien ce que je veux dire.

On était parti rendre visite à des militants Peace and Love dans le camp de réfugiés de Deisheh, tout près de Bethlehem, la ville où serait né Jésus de Nazareth, l’un des plus célèbre Juif. On avait discuté quelques heures pour prendre la température de l’optimisme et ça n’allait pas fort de café : le moral des Palestiniens était en berne, brisé par des années de lutte qui semble n’aboutir à pas grand chose, sinon, à les enfermer toujours encore plus dans leur misère. D’ailleurs, les Colons ne sont pas dupes : un confrère (moi c’était niet pour aller leur rendre visite, trop Bougnoule) était allé dans l’une des colonies sauvages : elles sont tellement nombreuses en Cisjordanie et poussent comme des champignons, illégales mais tolérées, encouragées par l’Etat et protégées par la police.

Mon collègue avait pu s’entretenir avec l’un d’entre eux. Il lui avait avoué que dans leur secte toute pourrie, beaucoup étaient au courant de l’exaspération des Palestiniens, et que c’était pour ça qu’il fallait continuer sans complexe à construire des baraques de merde. Il était 20h et il était temps de rentrer à Ramallah, surtout qu’on était attendus par des étudiants palestiniens qui nous avaient promis qu’ils nous apprendraient la dabkeh, la danse la plus populaire du pays.

En Palestine occupée depuis des lustres, les taxis collectifs attendent d’être remplis pour pouvoir partir, et à cette heure-ci, les voyageurs ne se foutent pas des torgnoles pour avoir leur place dans le mini-bus climatisé. Nous étions trois, trois de l’Occident, nous attendions à l’intérieur du van depuis quelques minutes, les prix sont dérisoires en Palestine-quart monde, et on a dit au chauffeur, c’est bon allons-y, on paie pour les huit places. Il n’y a que quinze kilomètres entre Bethléem et Ramallah, quinze bornes c’est que dalle, en courant, moins d’une heure, en scooter 125, si je grille aucun feu rouge, j’en ai pour un quart d’heure. Le chauffeur était accompagné d’un ami. Les deux avaient de bonnes têtes d’Arabe. On était bien avec eux, on écoutait des chants du Moyen-Orient et on suivait le rythme de la musique en tapant des mains. Ensuite, on s’est mis à danser et c’était le bonheur du paradis.
J’étais avec deux filles de chez nous, deux Françaises, Acht et San, des femmes de conviction, des nanas courageuses, comme on n’en trouve plus trop dans notre société qui ne pense qu’à son nombril et à son compte en banque. C’était trop bien, vraiment, on avait besoin de rien d’autre, trop de joie et trop d’amour dans un seul endroit. Wow…La nuit avait posé ses valises, le vent avait déménagé, la circulation était dense. A un moment, j’ai même oublié que je me trouvais dans un pays sous occupation militaire. Je me sentais libre. Ca n’a pas duré, on est arrivés à proximité d’un check-point.

Des petits jeuneots arrêtaient les bagnoles qui disposaient de plaques vertes (celles des Palestiniens). Les militaires-ados ouvraient les coffres, vérifiaient les identités des passagers. Sur le front, une torche puissante, leurs fusils prêts à dégainer. Le chauffeur a baissé le volume de la sono, j’ai sorti mon passeport BBR. Les soldats ont été rassurés de voir des fromages qui puent, mais comme on traînait avec des frères de Palestine, ils nous ont quand même considérés comme des Bougnoules sans grade et on n’a pas pu prendre le chemin direct vers Ramallah. Le chauffeur est resté silence, l’habitude de l’humiliation, et on a bifurqué vers la droite. La route était bloquée, on avançait plus du tout, plusieurs centaines de voitures nous devançaient. Que des Palestiniens. On a pensé faire demi-tour, le chauffeur a dit, il se peut qu’on arrive à Ramallah dans deux heures, voire plus. J’ai demandé si ça arrivait souvent, il a souri. J’ai dit ensuite : « comment les gens font pour aller bosser alors ? », il a de nouveau souri. Il était 21h30 et on avait quitté Bethléem à 20h. De l’autre côté, sur notre gauche, des Israéliens, les voitures aux plaques jaunes, filaient à toute vitesse.



La prison pour les Palestiniens (9)

Les mamans palestiniennes se blindent le cerveau comme pas possible. Elles savent qu’un jour ou l’autre le bras armé de l’Etat passera leur faire un petit coucou à la maison pour emmener leur fiston au poste de police. Après, si tout se passe comme prévu selon les règles de la only democracy in the middle east, le petit ira faire un séjour dans une Fleury-Mérogis locale. Sur place, selon de nombreux témoignages d’anciens prisonniers palestiniens, sont organisées des séances de torture à la Jean-Marie Le Pen quand il servait sous le drapeau Bleu-Blanc-Rouge, pendant la guerre d’Algérie.

Au moindre soupçon, à la moindre dénonciation, la police israélienne ne prend aucun risque et embarquent manu-militari les « suspects ». Les rejetons croupissent alors dans des prisons, parfois plusieurs mois, aux réputations pas très musulmanes, en attendant leur procès.

Depuis 1967, 700 000 Palestiniens ont goûté aux geôles israéliennes, c’est comme si en France, on avait arrêté en quarante ans, 12 millions de personnes !

Une pensée spéciale à notre compatriote Salah Hamouri, emprisonné depuis quatre ans et pas assez pur-porc pour que Sarko fasse pression pour le libérer. Bref, c’est toujours la même rengaine au pays des doigts de l’Homme. J’avais rencontré un « barbu » en zonzon (barbe bien taillée, rien à voir avec la mienne), un « hadj » (celui qui fait son pèlerinage à la Mecque acquiert le titre de hadj), on fait de belles rencontres parfois en taule, pas toujours, je vous l’accorde, la prison y a rien de mieux pour parfaire son éducation balbutiante de « caillera », bravo les politiques. Je lui avais raconté mon histoire, je lui avais dit qu’on m’avait enfermé dans la cage aux folles à cause du Nikon D80 qui prend des photos plus vite qu’un puceau qui s’apprête à perdre sa virginité.

Il avait eu confiance, une bonne gueule le Nadir, bronzé bien-beau-gosse, et il s’était alors confié. Les keufs s’étaient pointés chez lui à l’aube, lui avaient mis une cagoule sur la tête, avec cette chaleur, le pauvre j’ai pensé. Il avait été dénoncé par une tierce personne et forcément lui avec sa barbe de « frère muz », il faisait un coupable idéal. S’en était suivi un interrogatoire très musclé. Le Palestino pensait que c’était chaud pour son derrière parce qu’on lui reprochait d’entretenir des relations serrées avec le Hamas, élu démocratiquement mais pas considéré comme légitime par Israël et la communauté internationale de la condescendance.

On était arrivé ensemble dans la cellule et il avait été sympa avec moi, il m’appelait son frère de l’Algérie. Le barbu n’était pas serein, il redoutait d’être condamné à une lourde peine d’emprisonnement. Citoyen israélien, il était marié et avait trois enfants en bas âge. Je l’avais quitté, j’avais la chance d’être un franchouillard, d’avoir un avocat, d’avoir le soutien du syndicat de la presse et du consulat de la France.

Quelques jours plus tard, je me suis rendu au camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie , (Jénine devenue « célèbre » après l’opération rempart : du 3 au 11 avril 2002, Tsahal avait pénétré à l’intérieur du camp pour rechercher des membres d’organisations terroristes, plusieurs ONG avaient alors parlé de plusieurs centaines de morts, la plupart des civils et parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants, cette attaque faisait suite à l’attentat du 27 mars survenue à l’hôtel Park de Netanya où 29 israéliens avaient été tués). Sur place, j’avais pris un kébab avec un ancien taulard. Il avait séjourné à deux reprises dans une prison israélienne, on le soupçonnait de vouloir se faire sauter comme un feu d’artifice en plein milieu d’une bourgade remplie de Juifs. La première fois, on l’avait gardé huit semaines puis on l’avait libéré, comme ça, sans procès, sans explication. La deuxième fois, il était resté trois mois et il avait été jugé : interdiction de venir en Israël pendant cinq ans.

Bien entendu, durant ces deux périodes d’incarcérations, il avait eu droit à un traitement de faveur : on l’empêchait de dormir en le réveillant toutes les heures, on lui posait les mêmes questions pour qu’il pète un câble et qu’il se mette à table. Il m’a même dit qu’il recevait régulièrement des charges électriques, les vicelards lui avaient installé des électrodes sur ses tétons. Je pourrais vous en délivrer d’autres de témoignages d’anciens prisonniers mais comme c’est l’heure du dîner pour vous, je vais m’arrêter là. En plus, je sais très bien que toutes ces histoires de prison, ça casse un peu le moral et que c’est pas comme ça qu’on arrive à voir la vie en rose.

Comme je suis sympa, je vais finir par une note un peu plus gaie : j’ai assisté à des retrouvailles prisonnier-maman alors que je me trouvais dans le camp de Deisheh, à quelques lieues de Ramallah, et on peut dire ce qu’on veut sur les Bougnoules-Hommes, par exemple que la sensibilité chez eux elle est au chômage ou que leurs sentiments sont enterrés cinquante mètres sous terre, et bien, le type que j’ai vu et qui venait de passer six années en cabane, je vous jure sur les deux choses que j’ai le plus cher au monde, c’est-à-dire ma maman et ma dignité, et bien le gars il chialait comme une madeleine et sa mère, elle avait les yeux comme le Gange.

Ça tirait dans tous les sens avec des Kalachnikov, j’ai même cru à un moment qu’on se battait pour de vrai. Dehors, ça chantait, ça dansait, ça s’embrassait, on aurait dit une fête où deux êtres qui s’aiment viennent de se dire oui. C’est à ce moment que j’ai vraiment compris que ce peuple, il avait trop lu Nietzche (ce qui ne te tue pas, te rend plus fort) et que jamais il ne baissera les bras. Et vous savez, moi, je trouve que les gens courageux, y a rien de meilleur et c’est pour ça que je commence à pleurer tous les soirs parce que mon voyage arrive bientôt à sa fin.


L'eau, nerf de la guerre en Palestine (10)

Il y a des rumeurs qui cavalent d’Est en Ouest et du Nord au Sud : la maman de Salah Hamouri (citoyen français emprisonné depuis quatre ans dans une geôle israélienne sans que le Quai d’Orsay se bouge trop le troufion pour le faire libérer, électoralement parlant délivrer un moitié-Bougnoule, ce n’est pas très intéressant et surtout c’est primordial de ne pas heurter la sensibilité de nos amis et alliés israéliens) se parfumerait avec la meilleure des eaux de Cologne du pays. Il parait également que ce serait le même parfum qu’utilise ma mère. Si c’est vrai, alors prenez rendez-vous le plus vite possible avec Madame Hamouri et serrez-là très fort dans vos bras. C’est d’ailleurs ce que je compte faire en rentrant à Paris.

En attendant, pas très loin de Yabad, au Nord-Ouest de la Cisjordanie , un Palestino d’une cinquantaine d’années avec une moustache années 50, dirige avec le cœur une belle exploitation agricole. Il fait beau ce jour-là quand je rencontre M.

Le ciel a mis son smoking, les nuages sont rentrés au vestiaire. Il y a plusieurs manières d’entuber un peuple. Soit par devant, comme les Boers en Afrique du Sud qui l’avaient joué cash : nous, Hommes Blancs, auront tout et vous les Négros, vous aurez que dalle. Les Israéliens, des vicelards en puissance, préfèrent mettre de la vaseline. Israël c’est comme le Canada Dry, « ça a la couleur de la démocratie, le goût de la démocratie…mais ce n’est pas de la démocratie ». Les enfoirés ont compris que, dans une région archi-aride, priver les Palestiniens d’eau, c’était comme les amputer de leurs deux jambes.

« Moi, si je veux construire un puits, je dois obtenir un permis délivré par les autorités israéliennes (ce qui vous vous en doutez bien est quasi-impossible), commence à me dire M., le patron qui emploie une quinzaine de personnes. Je pourrais avoir cinquante salariés, cultiver des tas d’autres fruits, je pourrais même lancer un élevage de vaches, si j’avais accès à plus d’eau ».

La guerre de 1967 a permis à Israël d’accaparer les ressources hydrauliques de Gaza, de la Cisjordanie et du Golan. De fait, la majeure partie des eaux du Jourdain est détournée par l’Etat raciste avant qu’elle n’atteigne les Territoires occupés. Deux mesures sont également prises à cette période : interdiction de toute nouvelle infrastructure hydraulique, de forages ou de puits sans autorisation et confiscation des ressources en eau, conformément à la loi israélienne de 1959 qui fait de l’eau « une propriété publique ».

Un puits clandestin

Les Palestino n’ont donc pas accès à la totalité de leurs ressources hydrauliques. De nombreux villages palestiniens ne sont toujours pas reliés à un système de distribution d’eau. Comme M. est un battant, il a été obligé de jouer la caillera et de construire un puits illégal, « si ils le découvrent, je suis foutu » me confie-t-il. Comme l’eau récupérée avec son puits n’est pas suffisante (il ne flotte pas énormément), M. doit acheter de l’eau amenée par camion-citerne (l’eau acheminée coûte un peu plus cher), venue tout droit d’Israël et vendue, en principe, au même prix que celle vendue aux Israéliens, sauf que le PIB est vingt fois plus élevé en Israël qu’en Palestine !

« L’eau représente un tiers de mon budget. En plus, avec les check-points, les couvre-feux et autres blocus, on n’est pas toujours approvisionné ». La Palestine est occupée militairement, ça même Sarko, président métèque d’origine hongroise est au courant, mais pour couronner la Reine d’Angleterre, elle est de plus en plus entourée de colonies juives et sauvages. Comme en ce moment c’est l’Aid-El-Kébir tous les jours pour eux, la quantité d’eau que reçoivent ses squatteurs illégitimes, sans cœur et sans foi, est, chaque année, en constante augmentation. De plus, l’eau y est subventionnée, ce qui signifie donc que le Palestino-de-base, beaucoup plus pauvre que l’Israélien-de-base doit débourser davantage pour s’approvisionner. Sympa. M. a mis vingt ans pour mettre sur pied son exploitation agricole. La sienne est de loin la plus prospère. Il a commencé avec wallou et aujourd’hui il peut être fier et il l’est, il n’y a qu’à regarder ses yeux, d’être à la tête d’une entreprise florissante. Ses plantes sont magnifiques et ses fruits ont la patate olympique.

« Je ne vais pas me plaindre, la plupart des agriculteurs de la région n’arrivent pas à joindre les deux bouts, certains se voient même contraints d’abandonner leur propriété. Moi, je vis bien, hamdullah, mais on pourrait faire tellement mieux. » M. me raconte ensuite qu’il doit faire face également à des coupures d’eau, « ça arrive surtout l’été ». Au moment où il en a donc le plus besoin…En 1941, David Ben Gourion, le premier des Premiers ministres d’Israël avait déclaré : « Nous devons nous rappeler que, pour parvenir à enraciner l’Etat juif, il faudra que les eaux du Jourdain et du Litani soient comprises à l’intérieur de nos frontières ». Trop fort. Alors, la démocratie, vous la préférez avec ou sans vaseline ?


Le temps des adieux (11)

Ash, quand elle parle, tout le monde ferme sa gueule. C’est pas qu’elle soit agressive, c’est juste qu’elle impose le respect. Son papa est Palestinien et sa maman Yougoslave, ou vice-versa, je ne sais plus, je pourrais lui demander mais ça ne changera pas ce que je pense d’elle. Je crois juste qu’avec une filiation pareille, on est obligés d’être un battant. Ash est une guerrière. Elle est solide. Enfin, elle reste une femme…C’était l’heure du départ. Les étudiants palestiniens attendaient qu’on boucle les bagages pour venir nous dire au revoir, à bientôt, peut-être en France, si le Consulat de la délivrance des visas leur fait une fleur.

Ash avait une grosse valise noire, elle a demandé au secours-aidez-moi et un Palestino est venu l’aider. Il fallait partir, déjà deux heures de retard. San était déjà prête, enfin, son sac attendait sagement dans le couloir. Il fallait partir vraiment, on nous attendait à Jérusalem-Est, de plus en plus colonisée, de plus en plus juive, de moins en moins muslim, de plus en plus cruelle. Ash a fait semblant qu’elle avait oublié quelque chose dans sa chambre, je savais que c’était du vent cette histoire de l’oubli. Elle ne voulait pas les quitter ces frères de la souffrance. Elle est allée ensuite dans les chiottes. J’avais pas installé de caméras mais je savais qu’elle faisait tout pour pas niquer son mascara. Elle est ressortie et elle a dit allons-y, sa voix était serrée comme un entonnoir. San a baissé les yeux, j’ai pris leurs deux valises pour qu’elles puissent pleurer les mains vides.

Un étudiant nous a accompagné jusqu’à l’arrêt de bus. J’ai essayé les blagues pour faire passer la pilule de la tristesse des au-revoir, qui ressemblait vachement à des adieux. Le soleil jouait de nouveau l’enfant de pute. Je venais de prendre ma douche et je transpirais déjà comme un yack. Ash et San parlait avec silence.

On a dit encore au-revoir-merci-pour tout et on est montés dans le taxi-collectif. Ash la guerrière a fini par craquer et avec San on lui a touché une main chacun pour lui dire qu’on l’aimait et que nous aussi, on ne voulait pas partir mais qu’on n’était pas comme elle, pas assez courageux pour pleurer. Le taxi collectif filait à toute vitesse. On est descendus et on s’est mis à trouver une bagnole. On cherchait un Arabe-Israélien qui rentrait au bercail, un mec avec une bagnole aux plaques jaunes. Un gars, la vingtaine-bien-entamée attendait sagement le coffre ouvert. Il avait une bonne gueule alors on a embarqué avec lui.

On a roulé pas grand-chose et le check-point a montré sa tronche de l’injustice. San n’avait pas de visa d’entrée sur son passeport de la France-des-Droits-de-l’Homme alors le militaire, tête de puceau, nous a dit c’est pas possible, il faut faire demi-tour et retourner chez les Arabes, j’ai failli lui dire « merci, on meurt d’envie de retrouver nos frères ». J’ai expliqué que les douaniers à Tel-Aviv avaient tamponné le droit de voir la misère de la Palestine sur un bout de papier et que comme San vit trop avec son cœur et que c’est pour ça qu’elle a la tête ailleurs. Le policier n’en démordait pas : pas de visa, pas de laissez-passer. San s’est emportée, est sortie de la bagnole, a fouillé dans son sac, a sorti son billet d’avion, la preuve qu’elle était bien arrivée à l’aéroport Ben Gourion, elle a fait tout ça en moins de deux minutes, elle avait peur qu’avec le temps, elle finisse par perdre un boulon. Le militaire a regardé avec une grande attention le papier puis il a regardé son collègue.

J’ai dit demain on rentre en France, à Paris, la capitale de l’Amour, j’ai de nouveau expliqué la raison de l’absence du visa. Ash ne disait rien, elle était assise et elle regardait devant elle. Je crois qu’elle regardait derrière.

On a pu passer de l’autre côté parce qu’on avait réussi à être bon dans la conviction. On est passé devant le tramway pas encore fini (construit par Cocorico Alsthom et Veolia) mais qui à terme entubera encore plus et sans vaseline les Palestiniens. Le gouvernement de l’apartheid a pensé à ce moyen de locomotion moderne pour relier plus rapidement Jérusalem Ouest aux colonies juives des Territoires occupés en passant par Jérusalem Est (la partie arabe de la ville). En clair, une autre manière de renforcer la colonisation de la partie annexée de la ville (toujours pas reconnue comme légitime par le droit international). Mais ça (et le reste) ne fait pas d’Israël un état voyou, non, pour cela il faudrait que l’Etat pas tout à fait hébreu organise une soirée-presse (caméras de télé plus que conviés) où les militaires israéliens allumeraient avec une kalachnikov une centaine de Palestiniens, puis on les verrait les enterrer sans cercueil, avant qu’ils mettent le feu aux corps inanimés. Qu’il y en ait un qui vienne me parler de justice internationale et je lui fous mon poing sur la gueule.

Le chauffeur sans licence homologuée pour transporter des passagers nous a laissé à deux pas de l’hôtel. Ash parlait toujours avec le silence. San est passée devant et moi j’ai suivi en trainant les sandales. C’était pas la joie Simone, vraiment pas la joie. On a posé les valises et on est parti diner. Au resto, Ash a demandé si on pouvait aller là-haut sur la terrasse où il n’y avait personne. A trois, la tristesse n’a pas d’autre choix que de tourner en rond. Ash n’a pas fini son assiette, elle a préféré fumer clope sur clope. Elle s’en allait dans quelques heures rejoindre sa fille et son compagnon resté en Hexagone. Moi, je prenais l’avion le jour d’après. Ash a dit j’ai besoin de faire une sieste pour être prête à l’aéroport. Dormir, pour mieux répondre à l’interrogatoire des douaniers. Je suis venu la réveiller peu après minuit. Un tacot l’attendait en bas. Sa valise noire avait des problèmes de circulation : ses roues étaient déglinguées. Le chauffeur a eu un mal de ouf pour faire entrer le bagage XXL dans le coffre de sa voiture. Ash a souri. San a souri. J’ai souri. On avait partagé tellement de choses ensemble. Ensuite, je l’ai serré très fort comme si je n’allais plus la revoir.


Le temps du retour (12)

Jusqu’au bout. C’est à se demander « s’ils » ne font pas tout pour te couper l’envie de revenir en Israël. J’avais un peu les pétoches en arrivant à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, il était deux heures et demie du matin, la nuit jouait la patronne et mon avion s’arrachait à 5 heures. Ce n’était pas le probable interrogatoire que j’allais devoir me farcir, comme tout Bougnoule qui se respecte quittant le territoire israélien, qui me faisait peur. Non. Je flippais que les Israéliens m’empêchent de partir. Je ne m’étais pas rendu au commissariat le jour qui avait suivi mon incarcération.

Les policiers m’avaient demandé de passer les voir à ma sortie de prison pour qu’ils me photographient de long en large et qu’ils me prennent un maximum d’empreintes digitales. Comme un criminel. Et ce, pour quelques photos prises et plus si affinités. Je suis sorti du taxi-collectif en compagnie de trois jolies nanas, des Françaises engagées du côté de la justice.

Comme j’étais wanted, je leur ai dit de déguerpir, laissez-moi, je ne suis pas le genre de type avec lequel il faut se faire voir. Je les ai laissé partir devant. Je suis arrivé devant la porte d’entrée, à moitié endormi, mais toujours aussi beau-gosse, il y a des gens chez qui la fatigue, le stress, l’ennui, le désespoir, n’ont jamais d’incidence sur leur physique. Un monsieur, plus jeune que moi, m’a dit shalom, j’ai rien répondu, je n’ai rien contre les messages de paix, mais tout de même, ils m’ont fait chier pendant des semaines…

Il a demandé mon passeport. Je lui ai dit, je ne suis même pas entré dans votre aéroport, tu ne peux pas au moins attendre que je sois à l’intérieur ? Il a sourit. Il m’a posé des questions, j’ai été étonné : il ne voulait pas savoir le nom de mon père. Au cas où il me le demande, c’est Mohand, Mohand-Abdallah, un héros de l’Histoire de France. Il a voulu savoir où j’étais allé ces derniers temps. Je lui ai dit Israël, c’est magnifique, le soleil, la plage et les nanas. Je lui ai raconté que dès mon arrivée j’avais rencontré une fille. Cette fille, je lui ai dit, c’était une vraie plaque chauffante. Elle avait des yeux, un regard à tuer tous les chagrins. J’ai continué les explications, je lui ai dis que les vacances avec elle c’était « on mangeait, on buvait et on niquait… ». Le matin, nous allions nous promener sur le port de Jaffa, main dans la main, joue contre jour. La brise nous caressait la nuque, nous trempions nos pieds dans cette mer réchauffée par le soleil… Il a sourit. Il a demandé le nom de cette fille et son adresse. J’ai pensé « petit vicelard, tu aimerais bien te la faire, toi aussi ! ». J’ai voulu répondre, cette fille-là est fidèle, elle n’a pas besoin d’aller voir ailleurs. J’ai dit elle s’appelle Marie, une Française, en vacances-prolongées chez vous, dans votre beau pays, la seule démocratie du Moyen-Orient. Elle habite où Marie il a demandé ? A Jaffa, dans un bel appartement qui donne sur la mer. Elle a du pognon la petite, des parents qui ont hérité de leurs parents.

Il a compris que je me foutais ouvertement de sa gueule mais il a gardé son calme. Il m’a dit, ouvre-ton-sac. Il a sorti toutes mes affaires et un de ses collègues est venu le soutenir. Ils ont fouillé partout, ils ont trouvé les slips avec les traces de dérapage, les chaussettes qui puent, la paire de basket remplie de terre, le savon de Marseille, la corde à sauter, l’eau de Cologne de maman, les préservatifs. Ils m’ont dit vas-y, tu as passé la première étape avec succès. Je suis allé faire la queue devant la zone d’embarquement. Il y avait du monde, beaucoup d’Occidentaux, enfin, je voulais dire des Non-Bougnoules. Ma barbe avait poussé et j’avais décidé de la laisser. Qu’ils aillent se faire voir, j’en ai plus que marre d’essayer de ressembler à un autre. Une nana très moche, c’est pas de sa faute, m’a demandé mon passeport, ensuite elle a voulu savoir ce que j’avais fait ces dernières semaines. J’ai eu envie de crier, merde, c’est ma vie privée, je fais ce que je veux, en plus je rentre chez moi, alors on s’en fout de ce que j’ai fait en Israël, c’est du passé tout ça.

J’ai répondu la même chose, les vacances de rêves, le coup de foudre, l’amour qui te prend et qui t’emmène loin, les caresses, les baisers, les regards, le cœur qui accélère, la vie qui semble s’arrêter…J’avais la tête qui commençait à tourner. J’ai trainé mon sac à roulettes comme on traine sa tristesse, j’avais les épaules rentrées au maximum, les yeux tournés vers le bas. J’ai attendu mon tour. Un monsieur, cheveux en brosse, la trentaine sportive, m’a salué avec politesse. Il a pris mon sac et a collé un 6 derrière. J’ai failli lui dire, je préfère le 8, c’est mon numéro cache-malheur. Le 6, ça voulait dire : lui faut pas le louper. On m’a demandé d’attendre sur une chaise, j’avais le temps, ici ou ailleurs, où est la différence ? Du moment qu’ils me laissent monter dans l’avion. Peu importe, fouillez-moi, mettez-moi nu, astiquez vous l’asperge, ça m’est égal. Je ne vous aime pas, je ne vous aimerai jamais.

J’ai regardé autour de moi : les Occidentaux pure-souche passaient sans encombre les points de passage. Un couple de retraités m’a regardé de travers, j’avais l’habitude, ici ou là-bas, c’est la même rengaine. On m’a dit suis-nous, on a besoin de te fouiller meilleur. En profondeur…Dans une pièce, le rideau a été fermé. En toute intimité. Déshabille-toi mon loulou, on kiffe ton corps. J’ai retiré un par un mes vêtements, j’étais ailleurs, il valait mieux. Je ne les aime pas, je ne les aimerais jamais. Le policier me parlait pour me faire croire qu’il était gentil tout de même, qu’il ne faisait que son boulot après tout, il n’était que l’exécutant. Je ne répondais pas. Fouille-moi dix fois, pose-moi toutes les questions que tu veux. Je suis retourné sur la chaise que j’avais quittée.

D’autres Bougnoules de tous les autres pays du monde subissaient peu ou prou le même sort. On a sorti de nouveau les affaires de mon sac pour les scanner dans un autre endroit. Ils faisaient ça machinalement, comme des robots. Une nana, taille de Sarko, a voulu savoir ce que j’avais fait en Israël. J’ai éclaté de rire. Les nerfs. J’ai voulu lui dire je suis allé baiser ta mère. La fille était jolie. Mon avion décollait dans 45 minutes alors j’ai pensé que ma patience devait avoir une ligne d’arrivée. Mes affaires étaient éparpillées, l’eau de Cologne de maman galérait toute seule sur une table en fer dégueulasse. J’ai vu rouge et j’ai gueulé. Merde, faites-moi surtout pas rater mon avion, je rentre chez moi, vous m’avez fouillé trois fois, laissez-moi maintenant, je ne reviendrai plus dans votre pays de merde. J’ai gueulé, je voulais me battre avec eux. Un type est venu me calmer et m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’on en avait bientôt fini…

J’avais le numéro 6 collé sur mon sac. J’ai pu ranger mes affaires, ils ont gardé mon chargeur d’ordinateur, mon outil de travail, pour le mettre dans une boite à part, parce qu’ils voulaient s’assurer que ce machin n’était pas en vérité une bombe. Une autre fille est arrivée, elle a essayé de jouer la nana charmante, je l’ai regardé droit dans les yeux avec un mépris. Elle perdait son temps. Elle pouvait ressembler à Sharon Stone qu’elle ne m’aurait pas attendri. Mon vol s’en allait dans une demi-heure. Je me suis assis de nouveau sur la chaise et je les ai regardés tous ces douaniers. Ils étaient tellement jeunes. Ils me rappelaient les militaires croisés ces dernières semaines. J’ai alors pensé, et c’était la première fois que ça m’arrivait, j’ai pensé que ces gamins-là, on leur avait bourré le crâne. Depuis toujours, on leur avait dit les Palestiniens sont vos ennemis, à la guerre comme à la guerre, les Musulmans sont suspects, ne leur faites pas confiance, ils vous poignarderont par derrière.

Je me suis demandé s’ils savaient que leurs ancêtres avaient débarqué il y a soixante ans en Palestine, qu’ils avaient chouré une Terre peuplée d’habitants ? Etaient-ils au courant que des Palestiniens (des Chrétiens et des Juifs aussi, mais en majorité des Palestiniens) vivaient ici depuis des siècles ? Avaient-ils entendu parler de la naqba (Catastrophe pour les Palestiniens) ? C’est-à-dire la destruction de la société palestinienne suivie de l’exil de la grande majorité d’entre eux. Savaient-ils que 60 ans après, des millions de Palestiniens étaient toujours réfugiés, dispersés dans de nombreux camps du Proche-Orient, voire exilés plus loin ?

La nana jolie est venue me voir et m’a montré toutes ses dents. J’ai tourné la tête. Je ne pouvais pas lui sourire. Je voulais lui dire désolé mais maintenant j’ai vu. J’ai entendu et j’ai compris. Rien à foutre de ta soi-disant démocratie, de tes élections libres, de ton égalité hommes-femmes…Tout ça, c’est du vent, de la vaseline. Je ne laisserai plus personne me raconter des salades. Mais tu es malin : tu connais le niveau de la culpabilité occidentale : il y a soixante ans, ces enflures ont tourné la tête et t’ont laissé crever, aujourd’hui ils ont toujours la tête de l’autre côté et te laissent toi, qui a tant souffert, en crever d’autres.

Un jour, crois-moi, oui, un jour, tu le regretteras. Ma mère m’a toujours dit que tout se paie. J’ai filé à la porte d’embarquement. J’avais le cœur serré, l’eau qui n’en finissait plus de couler de mes rétines, la gorge ligotée. Je partais. Vu mon pedigree, je partais peut-être pour de bon. Je ne sais pas si on me laisserait revenir. J’ai regardé une derrière fois derrière moi. Une hôtesse m’a demandé de me dépêcher. Je l’ai regardé, je me suis avancé vers elle et j’ai fait-demi-tour. J’étais au milieu de la salle. Le temps semblait s’être arrêté. Je me suis mis à pleurer comme une madeleine. Je tremblais de partout. J’ai serré les poings. J’ai essuyé mes larmes avec la manche de ma veste. Et j’ai crié en français, la langue du pays des Droits de l’Homme : « Merci à toi la Palestine, je suis désolé mais je ne peux pas t’aider plus que ça, je dois partir. Je suis désolé mais je ne pourrais jamais te rendre ce que tu m’as donné ».

Source : L'Humanité

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