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Liban - 24 mai 2007
Par David Edwards et de Muriel Kane
Dans une interview à «Your World Today», émission de CNN International, le vétéran journaliste Seymour Hersh a expliqué que la vague de violence qui secoue actuellement le Liban est la conséquence de la tentative d'une tentative faite par le gouvernement libanais de réprimer le groupe militant sunnite Fatah al-Islam, qu'il avait antérieurement appuyé.
En mars, Hersh avait rapporté que les États-Unis avaient changé de politique au Moyen-Orient et qu'ils combattaient l'Iran, la Syrie et leurs alliés shiites à tout prix, y compris en fournissant de l'appui aux jihadistes sunnites les plus radicaux.
Il y a quelques jours, commentant les événements récents, Seymour Hersh répondait aux questions d'Hala Gorani sur CNN international.
Il explique qu'un élément crucial de ce changement de politique a été l'accord établi entre le vice-président Dick Cheney, le conseiller à la sécurité nationale Elliot Abrams et le prince Bandar bin Sultan, conseiller à la sécurité nationale d'Arabie saoudite, selon lequel l'Arabie saoudite financeraient clandestinement le groupe sunnite Fatah al-Islam au Liban, comme contrepoids au mouvement shiite Hezbollah.
Hersh souligne que la situation actuelle ressemble beaucoup à celle survenue durant le conflit d'Afghanistan des années 1980, qui a donné naissance à l'organisation al Qaeda. L'accord actuel est établi entre des personnes exerçant les mêmes fonctions aux États-Unis et en Arabie saoudite et adopte la "même méthode" : les États-Unis se servent de jihadistes et l'Arabie saoudite les assure qu'elle pourra contrôler ces derniers.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles l'administration Bush a agi de cette façon, qui semble s'opposer aux intérêts des États-Unis, Hersh a dit que depuis que l'armée israélienne a perdu la bataille l'été dernier, «la peur du Hezbollah à Washington, particulièrement à la Maison Blanche, est profonde».
Hersh croit qu'en raison de cela, l'administration Bush n'agit plus rationnellement lorsqu'elle adopte des politiques. «Nous (les États-Unis) nous sommes donnés comme boulot d'appuyer les sunnites contre les shiites en toutes occasions. [...] Notre boulot consiste à susciter [...] de la violence sectaire.»
Et Hersh décrit ainsi le plan de créer le groupe Fatah al-Islam : c'était «un programme clandestin auquel nous avons adhéré avec l'Arabie saoudite dans le contexte d'un programme plus grand et plus vaste qui consiste à faire tout ce que nous pouvons pour empêcher le développement des shiites dans le monde», qui a tout simplement dérapé et nous a atteint dans le dos.
On peut voir la vidéo de l'interview, en anglais, sur Raw Story.
En voici une traduction.
Hala Gorani : Alors, le journaliste d'enquête Seymour Hersh racontait en mars dernier que, dans le but de vaincre le Hezbollah, le gouvernement libanais soutenait un groupe sunnite militant, les mêmes personnes qu'il combat aujourd'hui. Seymour nous rejoint en direct depuis Washington. Merci d'être avec nous. Quelle est, selon votre reportage, la source du financement de ces groupes, tels que Fatah al-Islam dans ces camps de Nahr el Bared, par exemple? D'où obtiennent-ils l'argent et d'où obtiennent-ils leurs armes?
Seymour Hersh : L'acteur principal, ce sont les Saoudiens. Ce que j'écrivais, c'est qu'il y a une sorte d'accord privé qui a été fait entre la Maison Blanche, nous parlons de Richard Dick Cheney et Elliott Abrams, l'un des assistants primordiaux à la Maison blanche, avec Bandar. Et l'idée était d'obtenir le soutien, le soutien occulte des Saoudiens, pour soutenir différents groupes sunnites jihadistes intégristes, en particulier au Liban, groupes qui pourraient être considérés, dans la situation d'une confrontation effective avec le Hezbollah – le groupe chiite dans le Sud du Liban – comme investissements, c'est aussi simple que cela.
Gorani : Le gouvernement Siniora, dans le but de contrer l'influence du Hezbollah au Liban, selon votre reportage, serait en train de secrètement financer des groupes tels que le Fatah al-Islam, avec lequel ils ont des problèmes en ce moment ?
Hersh : Des conséquences imprévues une fois de plus, oui.
Gorani : Et donc si l'Arabie saoudite et le gouvernement Siniora font cela, que ce soit inattendu ou non, de fait les États-Unis doivent avoir quelque chose à dire à ce sujet, ou non ?
Hersh : Eh bien, les États-Unis étaient profondément impliqués. C'était une opération occulte que Bandar a mené avec nous. N'oubliez pas, si vous vous en souvenez, vous savez, nous sommes entrés dans la guerre en Afghanistan en soutenant Osama Ben Laden, qui était le moudjahidin des années 1980 avec Bandar et des gens comme Elliott Abrams dans les parages, l'idée étant que les Saoudiens nous avaient promis qu'ils pourraient contrôler – qu'ils pourraient contrôler les jihadistes, alors nous avons dépensé beaucoup d'argent et de temps, les Etats-Unis à la fin des années 1980 utilisaient et soutenaient les jihadistes pour battre les Russes en Afghanistan et ils se retournés contre nous.
Et nous assistons au même déroulement, comme si aucune leçon n'avait été apprise. C'est le même déroulement, utiliser à nouveau les Saoudiens pour soutenir des jihadistes, les Saoudiens assurant qu'ils peuvent contrôler différents groupes, des groupes comme celui qui est en contact en ce moment avec le gouvernement à Tripoli.
Gorani : Certainement, mais les moudjahidin des années 80, c'était une autre époque. Comment cela pourrait être dans l'intérêt des États-Unis d'Amérique, exactement maintenant, de soutenir indirectement – même indirectement – ces mouvements jidahistes qui sont des extrémistes qui se battent jusqu'à la mort dans les camps palestiniens ? Est-ce que cela ne va pas à l'encontre des intérêts non seulement du gouvernement Siniora mais aussi de l'Amérique et du Liban ?
Hersh : Les ennemis de nos ennemis sont nos amis, c'est dans cette logique que les groupes jihadistes au Liban sont là pour s'opposer à Nasrallah. Le Hezbollah, si vous vous souvenez, a battu Israël l'année dernière, même si les Israéliens ne veulent pas le reconnaître, ainsi vous avez le Hezbollah, qui est une menace importante pour l'Amérique – bon, le rôle américain est très simple. Condoleeza Rice, la Secrétaire d'État, l'a dit très clairement. Nous sommes en train de soutenir les sunnites partout où nous le pouvons contre les chiites, contre les chiites en Iran, contre les chiites au Liban, c'est-à-dire Nasrallah. La guerre civile. Nous sommes en train de créer à certains endroits, au Liban en particulier, la violence confessionnelle.
Gorani : L'administration Bush, bien sûr, des officiels seraient en désaccord avec cela, ainsi que le serait le gouvernement Siniora, qui dénonce ouvertement la Syrie, affirmant que le Fatah al-Islam est une émanation d'un groupe Syrien, où pourrait-il se procurer ses armes si ce n'est en Syrie.
Hersh : Vous devez répondre à cette question. Si cela est vrai, la Syrie qui est proche – et est largement critiquée par l'administration Bush pour être si proche – du Hezbollah serait aussi en train de soutenir des groupes, des groupes salafistes, extrêmement opposés au Hezbollah – la logique s'effondre. Il s'agit simplement d'un programme occulte que nous avons mis en place avec les Saoudiens, dans le cadre d'un programme plus large destiné à contenir partout l'influence grandissante des chiites, du monde chiite, et cela nous a pris à revers, comme cela est arrivé dans le passé.
Gorani : Bien sûr, si cela n'a aucun sens pour les Syriens de les soutenir, pourquoi est-ce que cela aurait un sens pour les États-Unis de les soutenir, indirectement évidemment, selon votre reportage, en donnant une aide d'un milliard de dollars, en partie en matériel militaire, au gouvernement Siniora – et que cela est dépensé d'une façon telle que ni le gouvernement ni les États-Unis ne contrôleraient des groupes extrémistes, mais indirectement les États-Unis, selon l'article que vous avez écrit, seraient en train de les soutenir. Alors en quoi cela serait dans leur intérêt, et que devraient-ils faire, selon les gens auxquels vous avez parlé ?
Hersh : Vous adoptez la logique du gouvernement États-unien. C'est OK. Nous oublierons cela pour l'instant. Fondamentalement c'est très simple. Ces groupes sont considérés – quand j'étais à Beyrouth en train de réaliser des interviews, j'ai parlé à des officiels qui ont reconnu que la raison pour laquelle les groupes jihadistes radicaux étaient tolérés, c'était parce qu'ils étaient considérés comme une protection contre le Hezbollah. La peur du Hezbollah à Washington, en particulier à la Maison Blanche, est profonde. Ils croient tout simplement que Hassan Nasrallah a prévu de porter la guerre en Amérique.
Que cela soit vrai ou non est une autre question. Il y a cette immense et accablante peur du Hezbollah et nous nous voulons pas que le Hezbollah joue un rôle actif dans le gouvernement libanais et cela a été notre politique, fondamentalement, qui est de soutenir le gouvernement Siniora, malgré ses faiblesses face à la coalition. Pas seulement Siniora, mais Monsieur Aoun, un ancien dirigeant militaire au Liban. Il y a une coalition que nous détestons absolument.
Gorani : Très bien, Seymour Hersh, du magazine The New Yorker, merci de nous avoir rejoints et j'espère que nous pourrons à nouveau parler ensemble dans quelques mois lorsque les événements qui ont lieu au Liban auront pris forme et que nous en saurons plus. Merci beaucoup.
Hersh : Heureux de vous avoir parlé.
(traduction de l'interview de Seymour Hersh par Nidal, site "Loubnan ya Loubnan" :
Source : The Raw Story
Traduction : Collectif de traduction de Montréal
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