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Vallée du Jourdain - 29 mai 2020
Par Qassam Muaddi
26.05.2020 - "Si vous regardez autour de la zone aujourd'hui, cela ressemble à Israël". Mahdi Qadri, 43 ans, résident palestinien du village de Ain Al Hilweh dans le nord de la vallée du Jourdain, décrit comment sa région a changé au cours de la dernière décennie : "Les routes israéliennes, les panneaux d'affichage israéliens, l'armée israélienne et les colons israéliens", explique-t-il, "C'est Israël tout autour de vous, mais vous n'en faites pas partie. Vous êtes pris au piège au milieu".
Le village de Qadri est situé au milieu de la zone que l'État d'occupation a annoncé qu'il allait annexer en juillet prochain. Une annonce qui a commencé comme une promesse électorale de Benyamin Netanyahu et Benny Gantz, maintenant officiellement incluse dans leur accord pour former un gouvernement d'unité.
Au début du mois de mai, onze ambassadeurs européens [en visite] dans l'État d'occupation ont exprimé leur opposition à ce qu'ils ont qualifié de "violation manifeste du droit international". Mais cette violation n'est pas nouvelle. En 1980, l'État d'occupation a illégalement annexé Jérusalem-Est, la séparant officiellement de la Cisjordanie . En Cisjordanie , l'annexion se fait déjà depuis des années, avec une activité de colonisation intense. Les plans d'annexion actuels d'Israël sont en fait la poursuite d'une politique qui, au-delà du débat juridique et politique, a, dans la vie réelle, des implications que les Palestiniens doivent affronter au quotidien.
Des étrangers chez eux
"J'ai 71 ans maintenant. Depuis que je suis enfant et que j'ai commencé à être conscient, je vis ici avec mon père", répond immédiatement Abu Saqer, lorsqu'on lui demande depuis quand sa famille vit dans la région ; "Mon père m'a dit qu'il y était avec son père lui aussi, et tous les autres avant lui. Nous vivions ici avant Israël et même avant le mandat britannique".
Une présence de plusieurs générations qui a commencé à être menacée lorsque Abu Saqer était adolescent ; "Juste après le début de leur occupation, ils ont déclaré toute cette région zone militaire. Ils ont abattu notre bétail, l'ont confisqué et nous ont infligé des amendes allant jusqu'à 1000 dinars, uniquement pour avoir fait paître nos moutons dans les collines". Mahdi Qadri se souvient des premiers effets de la militarisation : "Lorsque l'occupation a déclaré cette région zone militaire, ils nous ont dit que notre séjour ici était illégal. Ils ont commencé à nous traiter comme si nous étions des étrangers, pas eux".
Mais l'occupation s'est vite transformée en colonisation, lorsque les colons israéliens ont commencé à s'installer à la fin des années 80, créant une dualité croissante entre deux systèmes avec deux législations différentes, pour des types de personnes différents. "Les colonies ont occupé les mêmes terres que celles dont l'accès nous était interdit", souligne Qadri, "Ce n'est pas une zone militaire quand ils décident de l'occuper". Les colonies ont commencé à s'étendre, s'emparant de plus de terres. Mais selon Abu Saqer, "leur surface s'est agrandie, même si leur population n'a pas autant augmenté. C'est la terre qui compte, pas les gens".
Une existence paralysée
Cette expansion s'est également faite au détriment des ressources disponibles dans la région. Le nord de la vallée du Jourdain abrite des centaines de communautés indigènes historiquement établies à proximité ou autour de sources d'eau naturelles, ce qui permet l'agriculture et l'élevage. "La vallée, en général, est un énorme réservoir d'eau douce" explique Qadri, dont le nom du village, Ain Al Hilweh, signifie "La source douce". "Les gens avaient coutume d'aller chercher l'eau à la source et de la canaliser vers le village. C'est ainsi qu'ils cultivaient et vivaient". Mais les colonies ont tout changé. Pour les approvisionner en eau, les autorités d'occupation ont creusé des puits profonds à côté des sources, pompant l'eau par des canalisations vers les colonies voisines de Roeh, Hamadat et Beqaot. "Les sources se sont toutes asséchées, en particulier depuis 2006", souligne Qadri, "lorsque les colonies ont commencé à s'étendre plus rapidement. Avant, nous cultivions tous nos champs à partir de la source", ajoute-t-il. "Aujourd'hui, nous n'avons pas assez d'eau, même pour faire boire un oiseau".
Mais le manque d'accès à l'eau n'est qu'une partie du schéma plus large d'une existence paralysée. Les communautés palestiniennes n'ont pas non plus le droit de construire dans les zones sous contrôle militaire israélien, appelées "zone (c)" dans les accords d'Oslo, y compris la vallée du Jourdain. "L'excuse est que nos communautés n'ont pas de plans d'urbanisme", dit Abu Saqer. "Même lorsque nous avons engagé un ingénieur civil pour rédiger un plan d'urbanisme et que nous l'avons présenté aux autorités d'occupation, elles l'ont refusé".
Interdits de construire, les Palestiniens sont limités aux structures déjà existantes, dont beaucoup sont des baraques et des tentes. Toute nouvelle structure est démolie. "A Ain Al Hilweh, nous avons tous des ordres de démolition et toute nouvelle structure est démolie immédiatement" dit Mahdi Qadri, ajoutant que "la police d'occupation fait des patrouilles de surveillance hebdomadaires pour vérifier si nous construisons quelque chose de nouveau". La communauté d'Abu Saqer, Al Hadidiyah, par exemple, a subi des démolitions à sept occasions différentes, "la dernière fois en 2013, l'occupation a procédé à 32 démolitions dans notre communauté en 16 jours seulement", dit Abu Saqer.
Dans le même temps, les colonies israéliennes de Roeh, Hamadat et Beqaot continuent de s'étendre juste à côté. Lorsqu'on l'interroge sur leurs plans d'urbanisme, Abu Saqer rit spontanément avant de répondre : "Les colonies sont une politique d'État, elles n'ont pas besoin de plans d'urbanisme !".
En première ligne d'une bataille pour l'existence
Alors que la colonisation israélienne sape la capacité des Palestiniens de la vallée du Jourdain à continuer à dépendre de l'agriculture, elle rend encore plus difficile pour les jeunes Palestiniens d'acquérir une éducation dans leurs communautés. "Ma fille est en 7e année", dit Abu Saqer, "elle parcourt tous les jours 3 kilomètres à pied jusqu'à la route pour prendre le bus scolaire vers la ville de Toubas".
Incapables de construire ou de créer des écoles sur place, et ne bénéficiant pas d'un soutien éducatif, même de la part de l'Autorité palestinienne, de nombreux enfants de la vallée du Jourdain sont privés d'éducation. Selon Mahdi Qadri, "sur les 250 enfants de notre communauté, seuls 170 vont à l'école. Pour les jeunes qui ont des difficultés à vivre de l'élevage ou qui veulent étudier, le seul choix est de partir".
Malgré ces conditions, et malgré le manque de soutien, les Palestiniens de la vallée du Jourdain continuent de résister à l'annexion par leur seule présence. "C'est une confrontation quotidienne entre eux et nous", dit Abu Saqer, "quand les colons essaient de prendre un endroit, nous allons avec nos tracteurs et commençons à labourer la terre juste devant eux, pour leur montrer que c'est toujours la Palestine".
Une confrontation qui, sous la surface de la rhétorique juridique et politique, constitue les véritables chair et os de ce à quoi ressemble l'annexion dans la vie réelle. "C’est vrai que nous nous sentons piégés à l'intérieur d'Israël", insiste Mahdi Qadri, "mais ce n'est pas encore fait tant que les colons peuvent nous voir. Nous sommes le seul obstacle devant eux".
Source : Quds News Network
Traduction : MR pour ISM
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Qassam Muaddi