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Israël - 24 avril 2020
Par Qassam Muaddi
Après un mois de débat sur l'utilisation controversée de la surveillance de masse par le gouvernement israélien pour traquer les cas d'infection au covid-19, le procureur général israélien devrait donner son feu vert à une surveillance encore plus large, ont rapporté les médias hébreux lundi dernier.
Les soldats israéliens ont démantelé jeudi un mobile home appartenant à une famille palestinienne dans le village d'al-Dyouk al-Tahta, à l'ouest de la ville de Jéricho, et s'en sont emparés, selon des témoins. (source IMEMC.org
Depuis la mi-mars, l'opinion publique israélienne tourne autour de l'utilisation de la technologie de surveillance par le gouvernement israélien pour tenter de contenir la propagation du coronavirus. Des technologies auxquelles les Israéliens sont habitués, mais qui ont été conçues et historiquement mises en œuvre pour réprimer les Palestiniens.
Le fait que ces techniques soient utilisées pour la première fois publiquement pour contrôler les Israéliens eux-mêmes est au centre de la controverse actuelle. Cependant, cette controverse cache en dessous une réalité beaucoup plus structurelle. Une réalité qui est un complexe symptomatique d'un régime colonial plutôt qu'un débat sur les droits individuels et la vie privée.
Obsession sécuritaire
Des intellectuels, des journalistes, des militants et des hommes politiques ont critiqué Netanyahou pour être allé "trop loin" dans les mesures de surveillance. En effet, lorsqu’il a annoncé pour la première fois l'état d'urgence dans l'État sioniste, le 12 mars dernier, il a davantage donné l'impression de déclarer une guerre que d'expliquer les mesures prises par son gouvernement pour contenir la propagation d'une pandémie. En assimilant le virus Covid-19 à la résistance, Netanyahou a déclaré que son État était en "guerre contre un ennemi invisible", car il a rendu public le fait que son gouvernement allait utiliser des "moyens technologiques" pour suivre les patients atteints de Covid-19 et leur entourage.
Ces moyens consistent essentiellement en logarithmes de suivi des téléphones, qui permettent à la police de géolocaliser les téléphones portables et de suivre leurs déplacements. Ces logarithmes permettent également de collecter et de stocker des données sur les individus et leurs interactions sociales, exposant ainsi leur vie à la surveillance des agences gouvernementales. Considérant qu'ils vivent dans une démocratie, les Israéliens considéreraient ces mesures comme une violation du droit à la vie privée. Cependant, comme pour toute violation de ce droit en Israël, il y a toujours une justification. La mère de toutes les justifications : la sécurité.
Généralement, la sécurité a signifié la sécurité des Israéliens, au nom de laquelle les violations vis-à-vis d’autres populations ont toujours été justifiées, principalement les Palestiniens. Khaled Odetallah, écrivain palestinien et professeur en études coloniales, explique que "l'idée de base derrière l'argument de la sécurité est qu'elle "sauve des vies" d'Israéliens. Ces techniques de surveillance de masse sont également destinées à "sauver des vies", ce qui en fait une question de sécurité".
Selon cette logique, la vie privée est une cible essentielle, car la "menace pour les vies" est censée être, comme l'a dit Netanyahou lui-même, "invisible". Selon Khaled Odetallah, "toute la terminologie et la logique sous-jacente proviennent de la doctrine anti-insurrectionnelle, qui remplace le terme "terrorisme" par "coronavirus". Ils sont tous deux contagieux, ils sont tous deux invisibles et surtout, ils se propagent socialement".
Problématique juridique
Cette fois, cependant, le champ d'action ainsi que la menace se situent au sein de la société israélienne. Juridiquement, cela signifie que les mesures de sécurité doivent être mises en œuvre dans un cadre juridique différent. Lorsqu'il s'agit des Palestiniens de Cisjordanie ou de la bande de Gaza, c'est la loi martiale israélienne qui fixe le contexte ; l'armée israélienne légifère par le biais d'ordres militaires, les met en oeuvre en dehors de tout contrôle judiciaire et dirige même les tribunaux militaires devant lesquels les Palestiniens sont poursuivis. Mais dans le cas de la surveillance des Israéliens, les choses sont différentes.
Netanyahou a d'abord dû déclarer l'état d'urgence, accusé par de nombreux critiques d'ignorer la Knesset. Le procureur général israélien a approuvé l'état d'urgence en promettant que les données collectées seraient détruites au bout de 30 jours et qu'elles ne seraient pas utilisées à des fins judiciaires. Le seul problème de ces engagements est qu'ils ne sont assortis d'aucune garantie. Sharon Abraham Weiss, une activiste juridique israélienne, a décrit la mise en œuvre de la surveillance de masse par son gouvernement comme "énorme et sans aucun contrôle". Cela pourrait créer une situation qui serait très difficile à inverser, selon Weiss, qui estime que "le Shin Bet est doté de trop de pouvoir et qu'il sera difficile de renverser la vapeur".
Un problème structurel
De nombreux militants israéliens comme Weiss critiquent l'utilisation de la surveillance de masse par les Israéliens, considérant qu'elle est le résultat d'une hégémonie croissante du pouvoir exécutif. Un manque de supervision institutionnelle. Mais il y a beaucoup plus que cela. En fait, Weiss elle-même explique que "depuis la création de l'État d'Israël en 1948, il vit dans un état d'urgence par défaut. Il est là tout le temps".
En fait, non seulement l'état d'urgence a été le défaut depuis 1948, mais sa nature discriminatoire également. Pendant les 20 premières années de l'histoire de l'État, sa population palestinienne, celle qui n'a pas été expulsée pendant la Nakba, a été soumise à un régime militaire qui coexistait avec le régime civil, réservé à la population juive. Pendant ces premières années, il n'y a pas eu de résistance palestinienne organisée et il n'y a pas eu de guerre avec les voisins arabes, qui connaissaient des bouleversements internes après leur défaite en 1948. L'état d'urgence et la ségrégation des Palestiniens étaient dès le début ancrés dans le caractère colonial d'un État construit autour de son institution militaire, ayant constamment besoin de plus de "sécurité".
Cette militarisation n'a fait que croître depuis lors. Aujourd'hui, elle traverse de part en part le système politique et économique israélien, avec la technologie de la cybersécurité au cœur de celui-ci. En fait, la cybersécurité est l'une des industries les plus influentes dans l'État d'occupation. Non seulement parce que l'État investit en se présentant comme une "cybernation", mais aussi en raison du "pivot" entre cette industrie et les institutions militaires et de renseignement. Comme le souligne l'écrivain et analyste palestinienne Marwa Fatafta, "ceux qui servent dans les cyber-unités des services de renseignement ou de l'armée israélienne vont dans le secteur privé et vendent des solutions technologiques au monde entier, sur la base des expériences qu'ils ont acquises à l'armée, sans aucun cadre juridique".
Blanchiment
Cette économie de la cybersécurité a cependant été dénoncée ces dernières années en raison de l'implication des entreprises israéliennes dans plusieurs affaires de violation des droits de l'homme. L'une d'entre elles est le groupe israélien NSO, producteur du logiciel espion "Pegasus", dont il a été prouvé par la suite qu'il avait été utilisé pour surveiller le citoyen et militant des droits de l'homme des Émirats arabes unis Ahmed Mansour, ainsi que pour traquer le journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi. La NSO a ensuite été poursuivie en justice par WhatsApp, qui a affirmé que la société avait utilisé son application pour collecter des données sur plus de 1400 utilisateurs, dont 100 journalistes et militants de la société civile.
Un autre cas est celui de la société israélienne AnyVision, qui a été dénoncée l'année dernière et avec elle, tout le système de surveillance de masse de l'occupation israélienne. En novembre dernier, Microsoft a décidé de se séparer d'Anyvision après une campagne de pression sur l'utilisation des caméras de reconnaissance faciale de la société dans les postes de contrôle de l'occupation en Cisjordanie occupée. En fait, le régime d'occupation et la réputation de la cyber-industrie israélienne sont étroitement liés, puisque les territoires occupés sont le terrain d'essai de toutes les technologies de cyber-surveillance israéliennes.
Le faux débat
Alors que de plus en plus de gouvernements annoncent leur volonté d'utiliser la surveillance de masse pour contrer le virus Covid-19, l'occasion se présente non seulement de contourner la visibilité des entreprises israéliennes dans les cas de violation des droits de l'homme, mais aussi de blanchir tout le système de sécurité israélien. Le suivi téléphonique peut susciter un débat sur son utilisation sur les Israéliens, mais au nom de la lutte contre la pandémie, l'occupation israélienne a étendu les mesures répressives sur les Palestiniens en Cisjordanie , pour qui la surveillance de masse est une réalité quotidienne. Imposer la fermeture de villes entières, comme Shuafat, à Jérusalem-Est, qui abrite 100.000 Palestiniens, en est un exemple. L'infection par le covid-19 est également devenue, par ordre militaire, une raison de détention arbitraire et indéfinie des Palestiniens et également de renouvellement d'ordres administratifs antérieurs.
"Dans le monde entier, l'État étend son hégémonie, mais avec moins d'opposition" souligne Khaled Odetallah ; "C'est une capitalisation de la crise pour renforcer le pouvoir". Dans le cas d'Israël, cependant, c'est l'occasion de donner une nouvelle image d'une nature répressive profondément enracinée, comme un autre cas de débat sur le choix difficile, entre santé et vie privée.
Source : Quds News Network
Traduction : MR pour ISM
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Qassam Muaddi
24 avril 2020