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Palestine - 19 février 2007
Par Azmi Bishara
Pour un peuple soit déraciné soit sous occupation, les Palestiniens ont pris plus que leur part d'initiatives diplomatiques. On pourrait estimer que pour un peuple occupé, la norme est de lutter pour sa libération jusqu'à la victoire ou le soutien à la résistance, obligeant la communauté internationale ou le pouvoir d'occupation à proposer des solutions à des situations qui ne sont plus tenables.
La norme, est alors, pour la résistance, soit d'accepter les propositions et de poser les armes, soit de les rejeter et de continuer le combat jusqu'à ce qu'on lui en présente de plus raisonnables.
De plus, on suppose que les actions de résistance sont guidées par un objectif central : la libération et la réalisation de l'auto-détermination.
Dans le cas des Palestiniens, nous voyons l'inverse ; ils ont pris tant d'initiatives et fait tant de propositions qu'ils en ont du mal à se souvenir des buts de leur lutte ; non seulement le but originel, mais également le dernier en date.
Dans cette histoire, nous avons perdu la distinction entre stratégies et tactiques, entre tactiques et auto-déception, et entre buts tactiques et faire plaisir aux autres. Et les tentatives pour plaire aux autres n'ont pas eu beaucoup de succès ; au contraire, elles ont aiguisé leur appétit pour accroître leurs exigences, car ils voient ces tentatives comme un signe de faiblesse.
Israël ne sera jamais d'accord avec les manières de voir palestiniennes sous prétexte qu'il les trouve plaisantes ; il ne sera d'accord que s'il trouve un intérêt dans leur application ou si on l'oblige à les accepter.
Par exemple, lorsque les attentats-suicide étaient au plus fort pendant la Deuxième Intifada, les capitalistes et les grosses entreprises israéliens ont forcé leur gouvernement à choisir entre reprendre le processus de paix jusqu'à parvenir à un règlement ou construire le mur de séparation. Le gouvernement a choisi le mur.
Les Palestiniens et les Arabes ont porté plus qu'assez d'initiatives et de propositions pour des phases de règlements et d'intérim. Israël a constamment refusé de les prendre en compte ; il est clair qu'il attend plus, sans doute avec la conviction que chaque nouvelle proposition abaissera le plafond des exigences.
Il est certainement temps pour les Arabes d'attendre qu'Israël vienne avec des propositions ou des initiatives qu'ils peuvent accepter ou rejeter, au lieu de se laisser mener par le bout du nez par la logique de l'unilatéralisme et la construction de murs de séparation.
En attendant, s'ils ont besoin de quelque inspiration d'unification, ils peuvent toujours se référer au document de consensus national palestinien, qui représente le plus large dénominateur commun, ainsi qu'aux résolutions adoptées par l'OLP au cours des sessions successives du Conseil National. Comme ni Israël ni les Etats-Unis ne sont prêts à présenter une proposition acceptable de règlement dans un avenir proche, les Palestiniens, et en particulier ceux qui soutiennent l'accord entre le Hamas et le Fatah, devraient se mettre dans la tête que ce n'est plus à eux de faire des propositions mais que leur boulot, c'est de se battre contre l'occupation, contre le mur de séparation, contre la judaïsation de Jérusalem et autres objectifs nationaux.
Jérusalem, par exemple, n'existe pas dans un vide. Ses représentants à l'Assemblée Nationale Palestinienne ont été arrêtés et une direction correctement organisée et financée n'a pas émergé pour prendre la place de la Maison d'Orient et les comités des gens avoisinants.
Que s'est-il passé ? Quelque part en aval, les gens ont cessé de penser en terme de droits nationaux de Jérusalem comme ville arabe palestinienne et de ses habitants comme partie du peuple palestinien et du projet national palestinien, et ont commencé à penser en terme de droits civils israéliens.
60% des enfants de Jérusalem vont dans des écoles qui sont gérées par la municipalité israélienne de Jérusalem. La brutalité des situations auxquelles ils font face les force inévitablement à demander leurs droits – ce qui veut dire leurs droits israéliens – au Ministère israélien de l'Education.
Toutefois, aussi nécessaire que soit ce processus, il a été amalgamé au processus d'israélisation et d'annexion de Jérusalem et de ses habitants parce qu'il est placé en dehors du cadre et de l'espace du projet national palestinien.
Je suppose donc que je n'aurais pas dû être surpris de voir récemment un groupe de 12 écoliers de Jérusalem Est visiter la Knesset dans le cadre de leur programme civique, comme s'ils étaient des étudiants arabes venant de l'intérieur de la Ligne Verte.
La Mosquée Al-Aqsa, comme structure architecturale, est en danger, mais la souveraineté palestinienne et arabe islamique est dans un péril bien plus grand, elle est virtuellement sans existence depuis pas mal de temps.
Les gens qui sont supposés exercer leur souveraineté – les Palestiniens faisant partie de la société palestinienne de Jérusalem – sont aussi en péril. Les Arabes de l'intérieur de la Ligne Verte y prient régulièrement et font de leur mieux pour la maintenir comme Mosquée mais ce sont des citoyens israéliens et ne peuvent pas exercer leurs droits de souveraineté.
Quelqu'admirables que soient leurs efforts, ils ne sont pas un Etat, même pas un Etat en devenir. Ils sont citoyens du pouvoir occupant lui-même.
La transformation de la Mosquée Al-Aqsa, par la fermeture et l'absence d'un défi arabe, en mosquée pour Arabes de l'intérieur de la Ligne Verte est à peine un rempart contre le danger.
Le monde sait-il qu'Israël refuse d'autoriser les Musulmans de Cisjordanie et de Gaza à accéder à l'un des principaux lieux saints de l'Islam, violant ainsi leur droit fondamental de culte ?
Pourtant, la libération de Jérusalem et de la Mosquée Al-Aqsa et l'exercice de la souveraineté arabe et musulmane sur le sanctuaire sont curieusement absents de toutes les négociations politiques et diplomatiques liées au "processus de paix".
Comme l'est également la protection de la société arabe de Jérusalem, du caractère sacré de leurs personnes et de l'identité arabe de Jérusalem, la Mosquée Al-Aqsa incluse.
Si nous ajoutons à cela l'érosion du statut de Jérusalem et la réduction des refuges palestiniens, et le glissement d'une composante vitale et primordiale de la cause palestinienne en une série de causes humanitaires de gravité variée dépendant des pays dans lesquels les réfugiés vivent, nous nous rendons compte que la cause palestinienne a été réduite à la négociation d'un Etat palestinien, comme Bush et Olmert l'ont défini. La dépendance au "processus de paix" – avec une emphase sur le mot "processus" – a créé un énorme vide pour Jérusalem, pour la diaspora palestinienne et pour le projet national palestinien dans son ensemble.
Le "processus" est devenu un objectif en soi : certains hommes politiques ont le sentiment que leurs vies et leurs carrières politiques ne valent plus la peine d'être vécues s'ils ne rencontrent pas un responsable américain en tournée dans la région, s'ils ne se font pas photographier avec lui ou elle, s'ils ne commentent pas l'importance de leur rencontre et ne réprimandent pas les Etats-Unis pour leur parti-pris pro-israélien au moins une fois par saison de négociation.
Le processus ressemble à une famille élargie : elle vous laisse comme des enfants abandonnés si elle se décompose et fait les yeux doux aux autres jusqu'à ce que quelque calamité pousse les amoureux à se lamenter sur leur sort misérable dans un café.
Le processus est tout, et ceux qui lui sont liés vous diront sûrement que cette fois, l'Amérique parle sérieusement ; contrairement à l'impression générale, ils ont détecté un nouveau sens des responsabilités chez n'importe lequel des officiels US qu'ils auront rencontrés.
Ils vous mettront également en garde contre ceux qui travaillent à donner à l'Amérique une excuse pour se laver les mains de cette région, et seront prompts à vous rappeler la démagogie des Arabes et leur art à savoir jusqu'où ils peuvent aller trop loin.
Ce sont les Arabes qui ont perdu la Palestine, et pendant qu'ils sont sur le sujet, ils égrèneront le long rappel historique de mauvaises notes contre la Syrie et l'Iran et contre tout ceux qui n'ont pas reconnu Israël, et contre les Arabes en général, ceux qui font pression sur les Palestiniens pour qu'ils sacrifient leurs droits nationaux.
Maintenant que les Palestiniens sont passés du slogan "A bas le sionisme" à "Dites non aux affrontements internes", deux délégations palestiniennes sont allées à La Mecque. Elles ont subi d'énormes pressions pour arriver par tous les moyens à un accord qui éloigne le conflit, que les deux équipes présumaient être une forme de crise de direction.
Toutefois, certaines parties voient ceci comme une opportunité stratégique pour dicter les règles du "jeu des nations" aux Palestiniens vivant sous occupation, sur la base que l'agrément doit être capable de garantir la levée du blocus.
L'unique interprétation de cette attitude sera que les bloqueurs avaient raison et la preuve en est que les parties bloquées "ont recouvré leurs esprits" et changé leur position. Le corollaire inévitable, bien entendu, est que les politiques des puissants marchent, que "la raison du plus fort est toujours la meilleure".
Ceci aura d'importantes implications dans l'avenir du "processus politique".
Certains membres des délégations ont déjà menacé d'appeler à des élections anticipées, ce qui, étant donné l'état de tension actuel, équivaut à un appel à la guerre civile.
Seul un front uni se dressant devant le blocus peut y mettre fin. Le blocus perd son poids si ses architectes ne trouvent personne en Palestine pour capitaliser sur le blocus pour bâtir une base de pouvoir d'opposition et exploiter la misère du peuple pour fomenter la colère contre le gouvernement élu.
Depuis la signature de la Concorde nationale, qui était basée sur le Document des Prisonniers, la bataille pour monter à bord du train des diktats politiques a été la cause de chaque nouvel affrontement qui a suivi la trêve.
Dans une situation de blocus, tout accord atteint résultant d'un coup tordu ou d'un chantage menace que le blocus persiste et les appels à référendum et à des élections font le lit à davantage d'exigences, déclenchant une autre flambée de violence.
Si les intentions sont bonnes, il n'y a pas de quoi être fier d'organiser de nouvelles élections et toutes les raisons d'avoir honte de refuser les résultats des élections légitimes.
Mais instaurer ces bonnes intentions induit l'abandon de la logique d'imposition de conditions au nom du blocus et l'édification d'un programme politique commun comme la Concorde nationale.
Ce document est tout à fait adéquat comme plateforme d'un gouvernement palestinien. Que le Hamas y ait contribué et ait été d'accord avec lui représente rien moins qu'une révolution dans sa pensée et son horizon politique.
Le Hamas n'a jamais pris part à la rédaction de la Charte Nationale originale, ni dans ses amendements consécutifs.
Les résolutions adoptées par les assemblées successives du Conseil National, et la substance du document lui-même, représentent un énorme compromis sur la propre charte du Hamas et, bien sûr, sur sa plateforme électorale. Cela devrait être suffisant pour atteindre un consensus interne.
Si l'intention de certains est de calmer les pouvoirs étrangers, alors, le chemin de la prochaine manche de conflit intérieur est tout traçé : un accord taillé pour lever le blocus, l'autorisation du président de l'Autorité Palestinienne et de ses conseillers pour commencer les négociations, des accords secrets avec Israël, l'annonce de ces accords accompagnés de la menace que si le Hamas refuse de les accepter, il y aura appel à des élections anticipées ou à un référendum, et ainsi de suite.
Qu'il y ait des pressions dans ce sens est clair, d'après l'annonce d'une rencontre à venir à Jérusalem entre Omert et Abbas, en présence de Rice. Si Abbas en revient avec des propositions qui déçoivent les exigences minimales palestiniennes et menace de les mettre sur un référendum, les Palestiniens vont à nouveau se sauter à la gorge.
Si d'un autre côté, l'accord palestinien d'unification repose sur des appels à lever le blocus et mettre fin aux violations à Jérusalem et autres demandes de même ordre, cela renforcerait la capacité du peuple palestinien à résister à l'occupation.
Produire et adhérer à un tel accord requiert que les dirigeants palestiniens changent de manière de penser et d'agir. Ils doivent complètement "débuguer" leurs plateformes opératoires et éradiquer les virus qui les ont programmés dans des tactiques d'édiction de conditions destinées à apaiser les pouvoirs extérieurs. Pour que l'accord qui a résulté de la rencontre de La Mecque réussisse – et il ne fait pas de doute qu'il le doit – ils ont besoin d'apprendre à travailler ensemble vers l'accomplissement des objectifs palestiniens au lieu de jouer pour un public à l'extérieur.
A ce sujet, il serait nécessaire, et cela ferait indubitablement l'économie de beaucoup d'acrimonie, qu'ils mettent la question de qui reçoit quel portefeuille ministériel en perspective correcte.
Cela fait par exemple peu de différence que le Ministère des Affaires Etrangères soit attribué au Hamas ou au Fatah du moment qu'il est clairement subordonné au président, comme ultime décideur en matière de politique étrangère.
D'un autre côté, si le processus décisionnaire est partagé entre le gouvernement, la présidence et le parlement, alors il serait préférable que le Ministre des Affaires Etrangères appartiennent ni à telle faction ni à telle autre.
Une telle indépendance renforcerait sa crédibilité et son efficacité à appliquer les décisions qui sont le résultat d'un équilibre et cela faciliterait leur réception à l'étranger.
La même chose n'a pas besoin d'être appliquée au Ministère de l'Intérieur. Dans les pays démocratiques, le Ministère de l'Intérieur, ou de la Sécurité, comme c'est le cas du Ministère des Affaires Etrangères, est généralement un membre d'un parti politique ou d'un autre. Quel parti a peu de conséquences.
Accepter les affiliations politiques des ministres fait partie intégrante de la vie démocratique dans laquelle les partis politiques forment l'identité primaire impliquée dans le processus politique. Ce qui est important, c'est que l'appareil sécuritaire lui-même ne soit pas partisan.
Dans la période post-Oslo, les services de sécurité palestiniens étaient affiliés au Fateh, en constitution, allégeance et ligne de commandement. Ces services doivent être unifiés, neutralisés politiquement et réhabilités de manière à empêcher que des considérations partisanes n'affectent les décisions et opérations internes.
Dans ce cas, il n'y aurait aucun problème à ce que le Ministre de l'Intérieur soit du Hamas, en particulier si une telle nomination formait une sorte de contre-poids à un président Fatah en tant que commandant suprême des forces de sécurité.
Inversement, cela ne veut rien dire d'avoir un "indépendant" comme Ministre de l'Intérieur si les forces de sécurité elles-mêmes sont partisanes et à moins qu'une ligne distincte ait été traçée entre les forces de sécurité dont la mission est de sauvegarder la sécurité, et les forces de sécurité comme armée suppléante pour la l'éradication de la résistance.
Source : Wa3ad
Traduction : MR pour ISM
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