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Palestine - 4 mai 2007
Par Azmi Bishara
Je suis un Palestinien, né à Nazarath, je suis citoyen israélien et jusqu’à il y a un mois, j’étais député au parlement israélien.
Mais désormais, par un de ces ironies de l’histoire qui ne manque pas d’évoquer l’affaire Dreyfus, en France, qui vit un juif français se faire accuser de déloyauté envers l’Etat, le gouvernement israélien m’accuse de collaboration avec l’ennemi durant la guerre calamiteuse livrée par Israël contre le Liban, en juillet dernier.
Apparemment, la police israélienne me soupçonne d’avoir transmis des informations à un agent étranger, et d’avoir été payé pour ce faire.
D’après la loi israélienne, quiconque, qu’il s’agisse d’un journaliste ou d’un de vos amis personnels, peut être qualifié d’"agent étranger" par l’appareil de l’exécutif israélien.
Ce genre d’accusation peut conduire à l’emprisonnement à vie, voire à la peine capitale.
Ces allégations sont ridicules. Inutile de préciser que le Hezbollah, l’ennemi d’Israël au Liban, a réuni, tout seul, comme un grand, bien plus d’informations concernant Israël qu’un quelconque député arabe à la Knesset n’aurait pu lui en fournir.
De plus, contrairement à ces gens, au parlement israélien, qui ont été impliqués dans des violences, je n’ai jamais recouru à la violence, ni participé à une quelconque guerre. Mes instruments de persuasion, en revanche, sont simplement les mots, dans mes livres, mes articles et mes discours.
Ces accusations répandues avec tambour et trompettes, que je rejette et que je dénie catégoriquement, ne sont que le dernier avatar d’une série de tentatives de me réduire au silence, moi et d’autres impliqués comme moi dans la lutte des citoyens arabes d’Israël en vue de vivre dans un Etat de tous ses citoyens, et non dans un Etat [comme actuellement, Israël, ndt] qui accorde aux juifs des droits et des privilèges qu’il dénie aux non-juifs.
Quand Israël fut créé, en 1948, plus de 700 000 Palestiniens en furent chassés, ou s’enfuirent, terrorisés. Ma famille se trouvait parmi la minorité qui échappa à ce sort funeste et demeura dans le pays où nous vivions depuis très longtemps.
L’Etat israélien, créé exclusivement pour des juifs, s’ingénia immédiatement à faire de nous des étrangers dans notre propre pays.
Durant les dix-huit premières années de l’existence d’Israël, bien qu’étant citoyens israéliens, nous avons été soumis à un régime militaire, et nous avons été contraints d’exhiber nos papiers d’identité spéciaux lors de nos moindres déplacements.
Nous avons vu des villes juives israéliennes pousser comme des champignons sur les ruines de villages palestiniens détruits.
Aujourd’hui, nous représentons un cinquième de la population totale d’Israël. Oh, certes, nous ne nous abreuvons pas à des fontaines séparées, ni nous ne sommes contraints de nous asseoir au fond des autobus.
Nous votons, et nous pouvons être élus au Parlement. Mais nous sommes en butte à une discrimination légale, institutionnelle et informelle, dans tous les domaines de notre existence.
Plus de vingt textes de loi israéliens privilégient de manière explicite les juifs par rapport aux non-juifs. Ainsi, la loi dite "du retour" reconnaît automatiquement la citoyenneté israélienne aux juifs venus d’où que ce soit dans le monde entier.
Pourtant, les réfugiés palestiniens se voient encore dénier leur droit à revenir dans le pays qu’ils furent contraints à fuir en 1948.
La loi fondamentale sur la Dignité humaine et les Libertés, ainsi que la "Déclaration des droits" d’Israël donnent de l’Etat la définition d’un Etat "juif", et non d’un Etat de tous ses citoyens. Ainsi, Israël est plus fait pour des juifs habitant Los Angeles ou Paris que pour ses habitants indigènes palestiniens.
Israël reconnaît lui-même être un Etat d’un groupe religieux particulier. Quiconque est attaché à la démocratie reconnaîtra immédiatement qu’une citoyenneté égale ne peut exister, dans ces conditions.
La plupart de nos enfants fréquentent des écoles qui sont non seulement séparées, mais de statut inférieur aux écoles israéliennes.
D’après des sondages d’opinion récents, les deux tiers des Israéliens juifs refuseraient d’avoir pour voisin un Arabe, et près de la moitié d’entre eux n’admettraient de Palestinien chez eux.
J’ai vraisemblablement pris des gens à rebrousse-poil, en Israël. Non content de m’exprimer sur les sujets évoqués plus haut, j’ai affirmé les droits du peuple libanais et ceux des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza à résister à l’occupation militaire illégale d’Israël. En effet, je suis incapable de voir dans ceux qui se battent pour la liberté des ennemis.
Cela peut déranger certains Israéliens juifs, mais ils ne peuvent pas plus dénier notre histoire et notre identité que nous ne saurions nier les attaches qui les lient aux juifs dans le monde entier.
Après tout, ce n’est pas nous ; ce sont bien les juifs qui ont immigré dans ce pays. A des immigrants, on peut demander de renoncer à leur ancienne identité, en échange d’une citoyenneté égale. Mais nous ne sommes en aucun cas des immigrés.
Durant mes années de mandat à la Knesset, l’avocat général m’a mis en examen pour avoir exprimé mes opinions politiques (sans mention d’aucune charge), il a exercé des pressions pour que mon immunité parlementaire soit révoquée, et il a cherché (en vain) à invalider la participation de mon parti politique aux élections.
Tout ça, parce que je pense qu’Israël devrait être un Etat de tous ses citoyens, et parce que j’ai pris la parole afin de dénoncer l’occupation militaire israélienne.
L’an dernier, le ministre Avigdor Lieberman, un immigré de Moldavie, a déclaré que les citoyens palestiniens d’Israël "n’avaient pas leur place ici", que nous devons "faire notre baluchon et dégager".
Après ma rencontre avec un dirigeant du Hamas palestinien, Lieberman en appela à ma condamnation à mort et à mon exécution.
Les autorités israéliennes essaient de m’intimider. Et pas seulement moi, mais tous les citoyens palestiniens d’Israël. Mais nous ne nous laisserons pas intimider. Nous ne baisserons pas la tête devant un esclavage définitif sur la terre de nos ancêtres, ni nous n’accepterons d’être coupés de nos voisins du monde arabe.
Les dirigeants de notre communauté se sont réunis, récemment, afin de publier un projet d’un Etat exempt de toute discrimination ethnique et religieuse dans tous les domaines. Si nous nous détournions aujourd’hui de notre marche vers la liberté, nous livrerions les générations futures à la discrimination dont nous souffrons depuis plus de soixante ans.
Les Américains connaissent, de par leur propre histoire de discrimination institutionnalisée, les diverses tactiques qui ont été utilisées contre les dirigeants des droits civiques.
Cela va des mises sur écoute téléphonique, en passant par la surveillance policière, la diffamation politique et la criminalisation du dissentiment au moyen d’accusations fallacieuses. Israël persiste à recourir à ces tactiques, en des temps où le monde ne tolère plus de telles pratiques, qu’il considère incompatibles avec la démocratie.
Pourquoi, dès lors, le gouvernement américain continue-t-il à soutenir mordicus un pays dont l’identité et les instituions mêmes sont fondées sur une discrimination ethnique et religieuse qui fait de certains de ses propres citoyens des victimes ?
Source : http://www.latimes.com/
Traduction : Marcel Charbonnier
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