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Monde - 23 décembre 2008
Par Carlos Latuff
Une conversation entre moi et Eddy Portnoy, écrivain et professeur de culture populaire yiddish et juive à l'Université Rutgers, pour le quotidien juif Forward.
J'ai vu ce concours à la fois comme une bonne occasion de dénoncer les souffrances du peuple palestinien aux yeux de l'opinion publique mondiale et pour soulever les questions du deux poids-deux mesures occidental. Je veux dire, vous insultez les Musulmans avec un dessin montrant le Prophète Muhammad comme un poseur de bombe et ensuite vous revendiquez le droit "à la liberté d'expression" ; mais si vous faites des dessins sur l'holocauste, alors ça, c'est "de la haine contre les Juifs".
Eddy Portnoy : Vous vous servez fréquemment de l'Holocauste comme métaphore pour critiquer les politiques israéliennes. C'est vu comme une comparaison inexacte et délibérément blessante vis-à-vis des Juifs. Pouvez-vous en dire plus sur l'usage de cette métaphore ?
Carlos Latuff : En tant que caricaturiste, je me sens suffisamment à l'aise pour faire toutes les comparaisons que je pense nécessaire pour exprimer mon point de vue. Les métaphores sont le point clé de la caricature politique. Bien sûr qu'Israël ne construit pas de chambres à gaz en Cisjordanie , mais vous pouvez trouver des similitudes entre le traitement des Palestiniens par les FID (FIO) et celui des Juifs sous le régime nazi. Que ce soit inexact ou non, il est important de souligner que de telles comparaisons ont été faites dans le monde entier non seulement par les caricaturistes, mais par des gens comme Yosef "Tommy" Lapid, l'ancien ministre de la justice d'Ariel Sharon et survivant de l'holocauste (décédé en juin 2008). Au cours d'un entretien en 2004, il avait dit qu'une photo d'une Palestinienne âgée cherchant dans des gravats lui rappelait sa grand-mère, qui est morte à Auschwitz. Pour moi, c'est plus douloureux que des comparaisons sur comment les Palestiniens vivent sous occupation israélienne.
E.P. : “Caricatures et Extrémisme" prétend que vous utilisez "une grammaire et un vocabulaire antisémites médiévaux et modernes", voulant dire que vous appliquez des motifs antisémites traditionnels à des situations politiques modernes. Quelle est votre réponse à cette affirmation ?
C.L. : Les apologistes d'Israël ont fréquemment comparé mes caricatures à celles qui ont été publiées dans le journal nazi Der Stürmer. Regardez de près le rôle du caricaturiste du Der Stürmer et le mien. Philipp Rupprech, nom de plume Fips, a consacré presque 20 ans de sa vie à dessiner seulement de caricatures de haine des Juifs pour un journal dont la devise était "Les Juifs sont notre honte". Mes caricatures ne visent pas les Juifs ni le Judaïsme. Ma cible, c'est Israël en tant qu'entité politique, en tant que gouvernement, leurs forces armées étant un satellite des intérêts US au Moyen Orient, et en particulier les politiques israéliennes envers les Palestiniens. Il se trouve que les oppresseurs des Palestiniens sont des Juifs israéliens. S'ils étaient chrétiens, musulmans ou bouddhistes, je les critiquerais de la même manière. J'ai fait des caricatures sur George Bush, Condoleezza Rice, Ernesto Zedillo (ancien président du Mexique), Pinochet, et aucun d'entre eux n'est juif.
J'ai produit des caricatures politiques sur différents sujets, à la fois locaux (brésiliens et internationaux), pour des revues syndicales au Brésil et beaucoup de publications alternatives, progressistes et de gauche du monde entier. Mes détracteurs disent que l'utilisation de l'Etoile de David dans mes caricatures sur Israël est une preuve irréfutable d'antisémitisme ; cependant, ce n'est pas ma faute si Israël a choisi des motifs religieux sacrés comme symboles nationaux, comme la ménorah (chandelier à sept branches, ndt.) de la Knesset ou l'Etoile de David sur les machines de guerre comme les avions à réaction F-16. On ne peut pas me reprocher de dessiner un oiseau de guerre israélien lâchant une bombe et orné d'un symbole religieux, parce que c'est comme ça que sont les avions israéliens. Dire que mes caricatures sont une redite de l'imagerie antisémite passée n'est qu'une autre stratégie bien connue visant à discréditer les critiques sur Israël.
E.P. : L'histoire de la caricature antisémite est-elle complètement hors de propos lorsqu'on en vient à critiquer Israël ?
C.L. : Aucun doute au sujet de l'antisémitisme réel. Bien sûr que vous trouverez des gens qui détournent la lutte palestinienne et s'en servent pour taper sur les Juifs, comme les néo-nazis européens qui manifestent contre l'occupation des territoires palestiniens ou la guerre en Irak. Il est important que la gauche les laisse à l'écart de la lutte légitime pour les droits des Palestiniens ; cependant, dire que l'antisionisme est de l'antisémitisme est une tactique bien connue de malhonnêteté intellectuelle.
E.P. : Vous avez participé au Concours International de Caricatures sur l'Holocauste en Iran, qui comprenait aussi beaucoup de caricatures réellement antisémites. Pensez-vous qu'être associé à ces images et à une telle provocation délibérée peut, d'une manière ou d'une autre, compromettre votre travail ?
C.L.: L'illustration avec laquelle j'ai gagné la deuxième place était un dessin d'un vieux Palestinien portant un uniforme de camp de concentration nazi, et quelques personnes ont dit que je "niais l'holocauste" ! C'était complètement stupide, puisque je confirmais l'holocauste avec cette illustration. Croyez-moi, quoi que je dessine et où que je sois publié, il y aura toujours quelqu'un pour me montrer du doigt et dire "c'est antisémite".
J'ai vu ce concours à la fois comme une bonne occasion de dénoncer les souffrances du peuple palestinien aux yeux de l'opinion publique mondiale et pour soulever les questions du deux poids-deux mesures occidental. Je veux dire, vous insultez les Musulmans avec un dessin montrant le Prophète Muhammad comme un poseur de bombe et ensuite vous revendiquez le droit "à la liberté d'expression" ; mais si vous faites des dessins sur l'holocauste, alors ça, c'est "de la haine contre les Juifs".
Source : Desert Peace
Traduction : MR pour ISM
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