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Monde - 21 décembre 2011
Par Badia Benjelloun
Les États ont interprété diversement les modalités de traitement de leur dette publique. Son règlement a pu emprunter la voie de guerre de conquêtes. Il est des cas où le débiteur a liquidé sa dette en détruisant l’entité créancière.
Les difficultés financières de l’Empire romain s’étaient accumulées sous Titus et Domitien. L’éruption du Vésuve en 79 avait détruit trois villes dont Pompéi, une épidémie de peste avait décimé Rome en 80, l’augmentation substantielle de la solde pour l’armée avait pesé sur le budget, de même une politique clientéliste en faveur des propriétaires agraires ont fini par assécher le Trésor. Trajan a résolu le problème en annexant la Dacie, ses fantastiques ressources agricoles et minières aurifères. Rome accusait de plus un déficit commercial avec le très riche royaume dace de Décébale qui préféra le suicide à sa capture. L’histoire écrite par les vainqueurs prit soin d’effacer toutes traces de la grandeur de la civilisation dace.
La France de Charles X en 1830 avait hérité de la Révolution et des guerres napoléoniennes du legs d’un Trésor aux caisses désespérément vides. Le Directoire aux prises avec une disette liée à la crise des assignats http://fr.wikipedia.org/wiki/Assignat
et une spéculation sur le grain avait emprunté en 1795 au Dey d’Alger 950.000 francs or par l’entremise de deux courtiers de Livourne, Bacri et Buchnach pour se fournir en blé. Près de 25 ans plus tard, la dette alourdie de ses intérêts n’était toujours pas apurée. L’inventivité du banquier lorrain Seillière et de son collaborateur Adolphe Schneider sollicités par le Général de Bourmont a permis de financer la conquête de l’Algérie et donc l’effacement de la dette française. Lors du sac d’Alger, des sommes colossales furent dérobées. D’abord au profit des militaires et aventuriers présents, de la caisse personnelle du roi, des banquiers qui jouèrent le rôle d’investisseurs puis de blanchisseurs investisseurs et secondairement de l’État français. S’en suivirent 130 ans de colonisation et l’écriture non achevée de son histoire.
Les chiffres délivrés par la CIA World Factbook concernant le volume des dettes extérieures des différents pays du monde indiquent la prééminence écrasante de celle des Us(a) et du Royaume Uni.
Un tableau établi depuis les données de l’institution de la Réserve Fédérale montre le niveau d’endettement par secteur aux US(a). En 2008 à la veille du krach boursier, l’expression étant faite en pourcentage du Produit Intérieur Brut :
Ménages : 100
Sociétés non financières : 75
Sociétés financières : 119
État : 55
Total : 339
Banques et institutions financières ont le privilège du plus fort taux d’endettement. Les ménages et l’État, engagements fédéraux et locaux ainsi que celles des entreprises garanties par lui, participent à cette économie factice. Factice et dupant celles qui ont la charge de l’économie réelle de la production des biens.
Les besoins en investissements des industries pétrolières avaient été estimés en 1973 par le représentant à la fois du plus important actionnaire du groupe dominant Exxon et des six plus grandes banques étasuniennes, David Rockefeller, à 3000 milliards de dollars.
Cette nécessité de levée de fonds pour accroître et moderniser (déjà l’obsolescence) les infrastructures d’extraction et de raffinage a grandement facilité une réponse positive aux exigences de l’OPEP dans le début de ces années soixante-dix. Le prix de l’or noir s’était multiplié par 3 ou 4. La part de 55% prise dans le prix du brut par les pays producteurs de l’OPEP depuis l’accord signé à Téhéran en février 1971 leur a permis d’engranger des pétrodollars. Ils constituèrent un flux alimentant la première place financière du monde, la City londonienne. Des décisions politiques en avaient fait le lieu d’un marché déréglementé off-shore qui accueillait les échanges commerciaux de l’URSS.
Ce fut l’amorce de la transformation des établissements bancaires en holdings financiers avec efflorescence de filiales qui feront de la vitesse de circulation de l’argent un facteur créateur de profit.
Les dettes de la plupart des pays en voie de développement ont trouvé leur origine dans cette manne surtout moyen-orientale et arabe disponible. La masse de pétrodollars fut confiée à Londres ou même prise à la source comme au Koweït. Cette province fut artificiellement détachée de l’Irak, ses sheikhs régnants développant un illettrisme et une dyscalculie légendaires et méprisant le niveau de production pétrolière et son cours, ils laissent les clés de leur coffre aux Britanniques.
Les industries occidentales réduisaient leurs investissements et leurs masses salariales pour satisfaire les investisseurs financiers, hedges funds et fonds mutuels en plein essor. La destruction définitive des barrières douanières et l’instauration du libre-échange furent obtenues lors de l’accord de l’OMC en 1994.
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Il a accéléré la désindustrialisation à l’Ouest avec son cortège de chômage et la métamorphose de l’Asie en usine du monde.
Les conditions étaient favorables pour remplacer les salaires par le crédit à la consommation et maintenir en survie un capitalisme de moins en moins industriel. La manière de résoudre la contradiction entre la destruction des emplois et la baisse de la rémunération des travailleurs résiduels et la nécessité d’éponger les biens de consommation produits, fondée sur la sur-valeur à venir, s’est généralisée. L’architecture sophistiquée du crédit en étages avec relations interbancaires et la titrisation a disséminé ses risques à l’ensemble de l’économie mondialisée. Une défaillance sur une chaîne complexe du crédit, comme celle des subprimes, a abouti à actuel l’effondrement financier et économique.
Si l’effondrement n’affecte pas un aspect explosif et très rapidement dépressionnaire comme en 1930, il faut l’attribuer à la capacité de la résorption de la dette américaine par l’hégémonie de son dollar. Grâce à son statut très particulier de monnaie de réserve et d’échange, la banque centrale étasunienne peut en imprimer quasiment à volonté et renflouer les institutions financières.
Ces dernières décennies, a été institué un cycle sous forme d’un flux de marchandises de l’Asie vers l’Ouest, d’un paiement de celles-ci aussitôt remis en un flux inverse de dollars investis en bons du Trésor américain. Ce mouvement a rencontré ses limites en 2007-2008 car les possibilités de consommation des ménages étasuniens se sont épuisées avec le retournement de leurs collatéraux pour l’emprunt, la baisse des prix de l’immobilier et la chute de leur portefeuille en actifs boursiers.
La confrontation réelle entre créanciers chinois et japonais et leurs débiteurs étasuniens est pour l’instant éludée au profit d’une menace sur une province annexe des US(a) qu’est devenue une Europe élargie sans capacité ni volonté de réponse adéquate aux attaques émises à ses pays les plus faibles. Un refinancement solidaire de 50 milliards pour l’État grec aurait arrêté net toute spéculation sur la faiblesse de l’euro. Les gouvernements européens impotents ont préféré jouer le rôle de protecteurs des banques européennes qui ont encouragé et bénéficié l’endettement des PIIGS.
La désignation de banquiers comme agents des exécutifs européens, Ponti en Italie et Papadémos en Grèce, n’est que la suite d’une histoire entamée depuis la nomination d’un banquier comme Premier ministre de la France en avril 1962. Georges Pompidou devenu Président a permis que la dette publique soit assujettie à un financement par des institutions privées.
La Libye, la Syrie, l’Iran et l’Algérie sont des pays ‘dépourvus’ de dette. Les trois premiers en vertu d’embargos qui ont duré ou qui durent plusieurs décennies. Cette mise hors des circuits financiers internationaux les a protégés de l’usure.
L'Algérie pays pétrolier a une balance excédentaire au point que la Banque Nationale Algérienne a placé 80% de ses $157 milliards d’excédents pour moitié à la Banque Centrale Européenne et pour l’autre à la Fed. L’Algérie a donc financé les récentes guerres coloniales étasuniennes et la guerre en Libye de Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa. Comme tout État pétrolier et gazier, il n’échappe pas à la règle de la corruption et du shadow banking. L’ancien ministre de l’Énergie (1999-2010), Chakib Khelil a été incapable de justifier la disparition d’un montant de 2 milliards de dollars sur un total de trois qui, pour arriver sur le fonds d’investissement étasunien Russel, a dû transiter par une société intermédiaire, Rayan Asset Management. RAM basée à Dubai est dirigée par le fils d’un ancien ministre algérien.
Le sort de la Libye semble réglé. Sa destruction permettra un endettement. La BNP, championne du préfinancement de sociétés pétrolières africaines, aidera à l’évaporation de la rente et sa disparition dans des paradis fiscaux.
Pour la Syrie et l’Iran, beaucoup d’efforts sont en cours de réalisation pour les arraisonner.
Des doutes cependant s’insinuent qui risquent de déconstruire la linéarité de la stratégie de prédation.
L’allié sans lequel rien n’aurait pu se faire dans l’Orient arabe, la pétromonarchie des Séoud, elle-même endettée depuis la guerre contre l’Irak en 1991, est prise dans un tourment existentiel et donc financier. Elle se pose la question de l’infaillibilité du parapluie militaire étasunien. Ses performances en Afghanistan et en Irak ne sont guère convaincantes, même si elles ont mis hors d’état de nuire Saddam Hussein. Les placements séoudiens dans les holdings anglo-saxons risquent de connaître le passage de l’état liquide à l’état évaporé.
La production de biocarburants (40% du maïs étasunien devient de l’éthanol) et l’exploitation même coûteuse de schistes bitumeux est rendue plausible par le cours actuel du pétrole. Elle peut shunter le pétrole de l’Orient moyen dont il faudra peut-être avouer un jour qu’il est plus rare. Le successeur au trône pourrait s'inspirer d’une politique teintée de nationalisme à la Fayçal, le prince assassiné en 1975.
Le foyer de culture et de puissance égyptien a longtemps eu tendance à dominer tous ses voisins ou à assurer leur protection, y compris au 19ème siècle. Le temps est venu pour l’Arabie de prendre un contrôle direct de l’Égypte. C’est le sens de l’alliance des salafistes, aux ordres de leurs maîtres wahabbites, et de l’armée égyptienne. Les US(a) ne seront plus le passage de l’attribution des subsides annuels à l’Égypte en récompense de sa vassalité, les Séoud vont fournir directement.
Une meilleure allocation des ressources, sans transiter par Wall Street, pourrait en résulter.
L’avenir de la Tunisie passe par une équation qui devra éviter le façonnage par un FMI lui-même exsangue car les caisses de l’État tunisien sont vides elles aussi.
Fausse croissance, argent fictif, le dégagement du face à face de l’Occident et sa richesse virtuelle basée sur un dollar que soutient une suprématie militaire de plus en plus contestable et d’une Chine forte de son existence plusieurs fois millénaire et de son milliard d’hommes se réalise-t-il sur le champ intermédiaire de l’Europe à la fois génitrice des US(a) et presqu’île asiatique ?
Cela se ressent dans les craquements de l’euro et l’orientation actuelle contre-révolutionnaire du printemps arabe.
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