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Bethléem - 30 mai 2007
Par Timothy Seidel
Timothy Seidel travaille au Comité Central Mennonite, dans les Territoires palestiniens occupés, où il vit depuis trois ans.
La vue du village palestinien de Nahhalin, dans le secteur ouest de Bethléem, rend perplexe. Ce petit village – comme ceux de Husan, Battir, Wadi Fuqin et Al Walaja – est de plus en plus isolé de Bethléem.
Au fur et à mesure que le bloc de colonies israéliennes Etzion s'étend et que le mur continue d'entailler profondément la Cisjordanie et étrangle les communautés, les villageois palestiniens perdent l'accès au reste de la Cisjordanie sous occupation israélienne.
En ce moment, Israël est en train de creuser un tunnel, sous la route principale des colons qui traverse le bloc Etzion, qui offrira "la contiguïté de transport" à ce petit îlot de terre isolé parmi beaucoup d'autres sur 40 à 50% de la Cisjordanie , que la Ministre des Affaires Etrangères israélienne Tzipi Livni et la Secrétaire d'Etat US Condoleezza Rice veut fourguer au monde comme "l'Etat de Palestine". (1)
Coincés entre la "Ligne Verte" – la Ligne d'Armistice de 1949 qui sépare Israël de la Cisjordanie – et le mur, les Palestiniens de Nahhalin se retrouvent, avec quelques 60.000 autres Palestiniens vivant sur la "zone de couture", cette zone occidentale de séparation entre le mur et la Ligne Verte qui représente 11% de la Cisjordanie et sera finalement annexée à "l'Etat d'Israël" dans le plan unilatéral israélien de définition de ses propres frontières.
La dernière fois que je suis allé à Nahhalin, mes amis de l'Institut de Recherche Appliquée de Jérusalem (Applied Research Institute of Jerusalem – ARIJ) (2) m'ont rejoint.
L'ARIJ a démarré à Nahhalin un projet de traitement des eaux usées qui sera reproduit pour fournir aux zones rurales palestiniennes de Cisjordanie de nouvelles sources d'eau pour l'irrigation.
L'unité de recherche sur l'eau et l'environnement de l'ARIJ installera sur site des systèmes de traitement des eaux usées pour 180 maisons, fournissant une aide directe à environ 1.800 personnes. Le projet a commencé cette année et sera terminé en 2010.
Nader Sh. Hrimat, de l'ARIJ, souligne que "la rareté de la fourniture en eau potable et l'accès restreint aux approvisionnements traditionnels en eau créent des pénuries pour l'agriculture". "Ces nouveaux systèmes ne vont pas seulement élargir l'accès à l'eau, mais ils vont aussi améliorer la gestion des eaux usées", dit Nader, qui explique que "la ré-utilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation est maintenant considérée comme un des moyens les plus économiques et les plus faisables pour utiliser les eaux usées des ménages de manière sanitaire."
On pense que le succès escompté de l'expansion de ce projet à 180 maisons encouragera davantage de villages palestiniens à installer des systèmes de traitement sur site.
En plus de lutter contre la pénurie en eau et les problèmes de pollution, on espère également que ces systèmes augmenteront la productivité agricole et la sécurité alimentaire, résultat capital si l'on considère que plus d'un tiers des Palestiniens des Territoires Occupés sont en "insécurité alimentaire", et 12% sont menacés de le devenir (3).
Les unités de traitement seront construites localement et créeront des emplois dont le besoin se fait cruellement sentir ici, où le chômage endémique a contribué à un taux de pauvreté de plus de 33% (avec un quart de personnes vivant dans la "grande pauvreté") (4).
A première vue, ceci peut sembler simplement être un autre projet de développement, un projet similaire à beaucoup d'autres de par le monde.
Cependant, dans le contexte de la colonisation et de l'occupation israélienne continue de la vie et de la terre palestinienne, des gestes aussi simples que le traitement des eaux usées et le développement durable ne sont pas seulement des initiatives qui construisent la paix, mais elles deviennent aussi des actions de résistance non violente.
Un autre exemple sera la prochaine phase du projet hydrologique dans la partie nord de la Cisjordanie , avec le Groupe Palestinien d'Hydrologie (Palestinian Hydrology Group – PHG) (5). J'ai récemment rejoint Abdul-Latif, du PHG, pour une visite de terrain dans les villages palestiniens de Jayyus et Kafr Jammal, près de Qalqilya, où les fermiers sont coupés de leurs terres agricoles par la barrière de séparation israélienne.
Dans ces différentes phases, ce projet hydrologique cherche a aider les fermiers à maintenir une présence sur leurs terres de l'autre côté du mur, dans la "zone de couture", en entretenant les pompes à eau et les systèmes d'irrigation.
"De tels projets donnent au peuple palestinienne un contrôle plus important sur leurs ressources naturelles", explique Nader. Il note que les ressources en eau sont particulièrement vulnérables parce qu'Israël contrôle plus de 80% des nappes phréatiques palestiniennes en Cisjordanie et limite l'accès à l'eau pour l'irrigation ou autres besoins (6).
Abdul-Latif lui aussi souligne ce fait. Avec le contrôle israélien sur l'eau et les Palestiniens obligés de s'adresser aux compagnies israéliennes de l'eau, il demande : "Où est l'infrastructure pour cet "Etat palestinien ?". Il me montre un citron pourri, par terre, un autre signe de l'étranglement économique de ces communautés.
Ces fruits ne sont pas ramassés parce que les fermiers ont un accès très limité à n'importe quel marché où ils pourraient vendre leurs produits ; Israël a inondé le marché avec des fruits très bon marché venant d'Israël (et de Jordanie) et ces fermiers ne peuvent tout simplement pas les concurrencer.
Ces indicateurs pointent ce que beaucoup voient comme la fin imminente de la solution "à deux Etats" à ce terrible conflit et la solidification – par sa structure d'occupation, de colonisation et d'apartheid – de la domination israélienne sur les Territoires Occupés.
Et en l'absence de toute infrastructure économique viable, ceux qui appellent à l'investissement dans la société palestinienne comme une réponse "positive" à l'appel "critiqué" de boycott, désinvestissement et sanctions doivent comprendre le contexte de cette structure qui retient les Palestiniens captifs dans des "bantoustans" comme travailleurs à bon marché et consommateurs – une structure dont ni les Palestiniens ni les Israéliens ne tireront profit, à long terme.
Une initiative hydrologique comme celle-ci est la forme qu'une résistance non violente pertinente a pris dans les Territoires Occupés. Et elle passe inaperçu pour beaucoup en Amérique du Nord parce qu'elle n'est pas aussi visible que des démonstrations ou des sit-ins.
Mais dans un contexte où les communautés palestiniennes subissent tant de pressions économiques, sociales ou politiques pour les faire quitter leurs maisons, et autres formes plus "douces" pour ce qui est essentiellement un nettoyage ethnique, l'aide de la communauté internationale pour aider ces communautés à simplement être, à simplement exister, est la forme la plus frappante de résistance non violente que les Palestiniens vivent dans leur vie quotidienne.
C'est la raison pour laquelle, lorsque j'entends des gens demander : "Où est le Gandhi palestinien, ou le Martin Luther King palestinien, ou le Mandela palestinien ?" (une fois de plus blâmant la victime pour son état de victime et absolvant l'oppresseur en mettant la responsabilité et l'initiative sur les épaules de l'oppressé, ce qui vous donne envie de répondre par : "Où sont les Mandela ou De Klerk israéliens ?",
je pense à tous les Nader et à tous les Abdul-Latif de Palestine, à leur courage, leur ténacité et leur constance en face de toutes les pressions de dépossession, colonisation, occupation et, plus récemment, le boycott international, qui, par des actes apparemment si banals de travailler la terre, de la mettre en valeur et les initiatives de fourniture d'eau et de nourriture résistent vraiment à l'injustice et cherchent vraiment à atteindre un paix durable née de la justice sur cette terre brisée.
Notes :
1. Voir les commentaires récents de Jeff Halper sur ce sujet dans : “The Livni-Rice Plan: Towards a Just Peace or Apartheid ?” ICAHD.org, 2 May 2007
2. Voir http://www.arij.org/.
3. Voir le rapport IRIN report, “One-third of Palestinians ‘food insecure’,” The Electronic Intifada, 22 March 2007,
“Growing poverty, unemployment threaten Palestinians’ ability to feed their families,” UN News, 22 February 2007,
“Poor Palestinians unable to purchase enough food,” WFP Press Release, 2 February 2007,
4. Voir “Financial boycott sends Palestinian poverty numbers soaring, finds UN report,” UN News, 24 November 2006,
Rory McCarthy, “UN plea for millions in Palestinian aid amid fears of economic collapse,”
The Guardian, 8 December 2006,
5. Voir http://www.phg.org/.
6. Voir le rapport sur l'eau du "PLO’s Negotiations Affairs Department summary on water"
Source : IMEMC
Traduction : MR pour ISM
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