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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Gilad Shalit : La Grande Illusion – Une analyse du discours

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Voici de cela quelques jours, Noam Shalit (le « père de ») a fustigé le Hamas, au motif que celui-ci retiendrait son fils prisonnier sans raison. Miraculeusement, il a réussi le tour de force d’oublier que son fils Gilad était bel et bien un soldat combattant, qui servait en tant que gardien de mirador d’un camp de concentration, et qu’il avait été capturé dans un bunker blindé surplombant Gaza…

Gilad Shalit : La Grande Illusion – Une analyse du discours

Le Père Shalit a ainsi enjoint au Hamas d’ « arrêter de nous prendre en otages des symboles de guerres du passé ». Il a également prétendu que le Hamas serait impliqué dans rien moins qu’une « résistance imaginaire ». Apparemment, ce sont là des déclarations vraiment gonflées, de la part d’un père supposé être extrêmement préoccupé par le sort de son fils.

La saga de Gilad Shalit est, à n’en pas douter, un cas d’étude exemplaire de l’identité israélienne. En dépit du fait que Gilad Shalit est un soldat et qu’il a été directement impliqué dans les crimes de l’armée israélienne contre une population civile, les Israéliens et les lobbies juifs, dans le monde entier, persistent à le présenter comme une « victime innocente ». Le slogan massue de la campagne pour Shalit est celui-ci : « Gilad Shalit, un être humain, un JUIF ». Alors, je me demande s’il est vraiment un simple « être humain », comme le suggère ce slogan, ou bien s’il ne s’agirait pas, plutôt, d’un Elu, comme l’implique le prédicat « juif ». Et s’il n’est qu’un simple être humain, alors, pourquoi jugent-ils bon de rajouter ce « juif » ? Que peut-il donc bien y avoir, dans ce titre de « juif », qui puisse être dans l’intérêt de la campagne pour la libération de Shalit ?

Apparemment, le recours aux prédicats « être humain » et « juif », dans une telle proximité, est tout-à-fait informatif et significatif. Dans les discours juifs et « progressiste » post-holocaustiques, « être humain » est un synonyme d’ « innocent » et « juif » est un succédané de « victime ». Par conséquent, le slogan de la campagne pour Shalit doit être compris ainsi : « LIBEREZ Gilad Shalit, la victime innocente » [ !]

A ce stade, il est loisible de se demander comment un soldat combattant, servant de garde d’un camp de concentration, peut devenir ainsi une « victime innocente » ? Apparemment, dès lors qu’il s’agit du discours israélien, peu de chose suffit. En réalité, c’est simplement une question de rhétorique.

Il est notable qu’au sein de la société israélienne, très militarisée, comme on sait, le soldat est exalté, son sang est précieux, en comparaison de celui de citoyens juifs ordinaires. Les Israéliens adorent leurs soldats, et ils pleurent toute perte de leurs forces armées avec de spectaculaires lamentations. Etant donné que ‘Tsahal’ est une armée populaire, l’amour des Israéliens pour leurs soldats peut être perçu simplement comme une autre manifestation de leur amour-propre intrinsèque. Les Israéliens, tout simplement, s’aiment eux-mêmes autant qu’ils haïssent leurs voisins [ce qui n’est pas peu dire, ndt]. En Israël, la mort en opération d’un combattant de ‘Tsahal’ reçoit généralement bien plus d’attention que celle d’un civil ayant été exposé à ce que d’aucuns qualifient de « terrorisme ».

De même, en Israël, un prisonnier de guerre de ‘Tsahal’ aura tendance à focaliser un maximum d’attention médiatique. Ron Arad, Ehud Goldwasser et Gilad Shalit sont des noms qui sont cités dans tous les foyers, en Israël, leurs noms et leurs visages sont familiers, pour tous les Israéliens, ainsi que d’autres, qui sont partis au conflit. Considérant qu’Israël est constamment en état de guerre, l’intérêt collectif outrancier pour ce militaire est plutôt énigmatique, sinon intriguant.

Dans le roman national israélien, le soldat est campé comme un être innocent, « pris » dans une guerre qu’il est condamné à mener, à son corps défendant. Le combattant israélien est un combattant qui « tire dans le tas, puis sanglote ». Dans le narratif historique et dans la mentalité bernée israéliens, les Israéliens « aspirent à la paix » et c’est, d’une certaine manière, toujours « les autres » qui apportent l’hostilité et la violence. Cette auto-intoxication sans détours est tellement imbue dans l’image que les Israéliens ont d’eux-mêmes que cela leur permet de déclencher et d’initier une guerre après l’autre, sans cesser un seul instant d'être totalement convaincus que c’est toujours les « Arabes » qui tenteraient de rejeter les Israéliens à la mer.

En ce sens, il faut voir dans la « guerre contre le terrorisme » israélienne une bataille contre la terreur, à l’intérieur des Israéliens. La bataille, constante, contre « les Arabes » est un biais qui permet de résoudre l’anxiété hébraïque auto-infligée que les Israéliens sont incapables de gérer, voire même de regarder en face. C’est précisément en ce sens que le fait de balancer des bombes au phosphore contre des femmes, des vieillards et des enfants, agit à l’instar d’une pilule collective de Valium : cela calme le mental israélien, cela apaise sa terreur intrinsèque. Tuer en masse, cela soigne l’état de terreur collective insulaire israélienne. Cela explique comment il se fait que 94 % de la population juive israélienne a soutenu le dernier génocide en date, à Gaza. Les conséquences sont dévastatrices : non seulement la majorité absolue des juifs israéliens disent NON au commandement « Tu aimeras ton voisin », mais ils disent, en réalité, OUI au crime, en plein jour.

Dans leur mentalité manipulée, les Israéliens sont poussés à des guerres « où ils n’ont pas le choix » [héb. ‘ein breira’, ndt], « à l’insu de leur plein gré », en dépit du fait qu’ils ne sont que de simples « victimes innocentes ». En réalité, cette aliénation, ou plutôt, cette dissonance cognitive, est au noyau même de l’existence israélienne anti-éthique. L’Israélien est immergé dans une notion auto-inculquée de totale innocence ; c’est en quelque sorte toujours l’Autre qui endosse la culpabilité et la faute [1]. Cette contradiction totale entre l’auto-perception israélienne, à savoir l’« innocence » et la pratique israélienne manifestée, à savoir une barbarie inouïe, peut être perçue comme une forme grave de détachement du réel, prêt à verser dans la psychose collective.

Le cas Shalit incarne très bien cette inadéquation. Sans cesse, les officiels israéliens et les lobbies juifs nous demandent de faire preuve de notre compassion à l’égard d’un soldat combattant qui servait de gardien de la plus grande prison de toute l’Histoire. Un Américain de droite, par exemple, aurait la décence de ne pas requérir notre empathie compassionnelle envers un marine US qui aurait été blessé durant son service en tant que tortionnaire à Guantanamo Bay. De même, rares sont ceux qui oseraient requérir notre empathie compatissante envers un fantassin allemand qui aurait joué un rôle similaire à celui de Gilad Shalit dans un camp de concentration, en Europe orientale, au début des années 1940. De plus, quelqu’un peut-il imaginer le genre de protestation juive que soulèverait une campagne imaginaire utilisant un slogan suprématiste du type : « Libérez Wolfgang Heim, un Etre humain, un Aryen ! » ??

Autant je comprends la grave préoccupation de Noam Shalit pour le sort de son fils, autant je ne peux que lui donner ce conseil, en espérant qu’il le prendra en considération : son fils Gilad n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un ange innocent. Au minimum, à l’instar de tous les Israéliens, il fait partie intégrante du perpétuel péché israélien. Il était soldat dans une armée criminelle qui sert une cause criminelle et qui lance des guerres criminelles. Je suggère donc sincèrement à M. Noam Shalit d’envisager de modifier son discours. Il devrait laisser tomber son ton de prédicateur bien-pensant, et adopter, en lieu et place, soit la dignité, soit un appel désespéré à la merci du Hamas. Soit vous reconnaissez les exactions de votre fils et vous êtes fier de lui, en militant nationaliste juif que vous êtes, soit (mais pas les deux à la fois) vous sollicitez la clémence du Hamas. Si j’étais à sa place, je choisirais probablement la seconde option. Noam Shalit ferait bien mieux d’éliminer le mot « otage » de son dictionnaire. Ni lui ni son fils ne sont des otages du Hamas. S’ils sont otages de quelque chose, c’est d’un projet nationaliste juif qui est ne va pas tarder à attirer la pire des catastrophes sur le peuple juif. Ils sont tous deux prisonniers d’une guerre criminelle contre « ton prochain », à savoir la population civile palestinienne.

Etant donné les crimes contre l’humanité qu’Israël perpètre de manière réitérée, tout ce qui reste à faire à l’Etat juif, c’est produire un bourrage de crânes purement rhétorique qui, en effet, devient de plus en plus fallacieux et inopérant. Aussi n’ai-je pas été autrement surpris de découvrir que Noam Shalit n’est pas simplement un père en souci, c’est aussi un polémiste postmoderniste pénétré. « La résistance : contre quoi ? Contre qui ? », feint de s’interroger le père Shalit, tentant de passer par pertes et profits, sans autre forme de procès, la cause palestinienne. Vous, les gens du Hamas, vous êtes en train de nous prendre « en otages de symboles qui appartiennent, dans le meilleur des cas, aux guerres d’hier, au monde d’hier, qui a depuis lors changé au point d’en être méconnaissable ! »

M. Shalit, j’aimerais que vous nous disiez qu’est-ce qui, au juste, a « changé au point d’être méconnaissable » (si ce n’est le paysage de Gaza ?). S’il vous plaît : éclairez notre lanterne, car, tout ce que nous sommes en mesure de voir, c’est que vous-même, vous continuez à vivre sur une terre palestinienne volée, et que vous faites de l’appel biblique au pillage une réalité contemporaine dévastatrice. Ce que nous voyons, c’est que vos fils et vos filles continuent à être impliqués dans des pratiques génocidaires assassines, comme ils n’ont jamais cessé de l’être depuis soixante ans.

M. Shalit, permettez-moi de vous donner un conseil : réveillez vous, le plus tôt sera le mieux ! Il n’y a strictement rien de changé, en réalité, tout au moins, du côté israélien. Le seul changement que je sois en mesure d’apercevoir, c’est le fait roboratif que vous et votre peuple, vous ne remportez plus de victoire militaire. Certes, vous vous arrangez toujours pour tuer des enfants, des femmes et des vieillards ; certes, vous avez trouvé le moyen de lâcher des armes non-conventionnelles sur des civils habitant la région la plus densément habitée de notre planète, néanmoins, vous n’avez pas remporté la guerre. Vos campagnes militaires n’apportent strictement rien, si ce n’est la mort et le carnage. Vos agissements génocidaires meurtriers n’ont abouti à rien, si ce n’est à démasquer, d’une part, ce qu’a toujours été le projet national juif et, d’autre part, ce dont l’Israélien est capable.

Votre puissance de dissuasion imaginaire fond comme neige au soleil tandis que j’écris ces mots, et les roquettes du Hamas continuent à pilonner le sud d’Israël. Reste que l’Etat juif s’est assuré d’une position éminente d’incarnation du mal.

Si un « changement au-delà du reconnaissable » peut être décelé, c’est bien le fait qu’après Gaza, nous savons tous qui vous êtes. Et dans quel camp vous vous situez !


Note :

[1] : Les Amalécites, l’Inquisition espagnole, les nazis, les Polonais, les communistes, les Arabes, le Hamas, le Venezuela, l’Iran et, depuis peu, la Turquie.

Source : Palestine Think Tank

Traduction : Marcel Charbonnier

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