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Cisjordanie - 20 février 2010
Par Khaled Amayreh
Fahmi Shabana al-Tamimi, officier de haut rang du renseignement de l’Autorité Palestinienne, avait mis en garde la direction de Ramallah sur la corruption généralisée au sein du régime de l’AP et l’avait enjoint à prendre immédiatement des mesures drastiques pour endiguer la vague. Rares sont ceux qui l’ont pris au sérieux, et le choix d’ignorer les avertissements de Shabana est à relier au fait que le problème, sous ses multiples facettes, est si répandu que l’enrayer constituerait une tâche énorme dont l’exécution pourrait sérieusement déstabiliser l’AP et nuire à son image publique.
La semaine dernière, Shabana, qui était jusqu’à récemment responsable du Service anti-corruption dans le régime de l’AP, a fait des révélations graves susceptibles de faire inculper plusieurs officiels pour conduite criminelle avérée, dont délit sexuel, malversation financière, abus de confiance, népotisme, favoritisme, magouilles, détournement de fonds publics et conduite indigne d’un fonctionnaire.
Dans un entretien accordé au quotidien israélien de droite The Jerusalem Post, et plus tard à la Chaîne 10 de la télévision israélienne, Shabana a dénoncé deux principaux cas de corruption. Il a révélé que deux responsables du Fatah dont il a tu les noms ont détourné une grande partie des 3,2 millions de dollars donnés par les Etats-Unis au Fatah avant les élections législatives de 2006. L’argent était destiné à améliorer l’image du Fatah et donner un coup de pouce à ses chances de les gagner. Une partie de la somme a servi à « inciter » des jeunes gens à voter pour le Fatah. L’essentiel de l’argent s’est toutefois évaporé, selon le terme employé par un officiel du Fatah de la région d’Hébron.
Tout ceci est de notoriété publique dans les territoires occupés depuis plusieurs années. Cependant, à cause des dysfonctionnements du système juridique palestinien, en particulier en 2007, la question est plus au moins passée aux oubliettes. De plus, ni les Etats-Unis ni les autres donateurs internationaux n’ont suivi l’affaire de façon sérieuse, peut-être de peur que cela ne nuise au Fatah, en particulier vis-à-vis du Hamas que les Etats-Unis et leurs alliés internationaux et régionaux voulaient affaiblir et isoler à tout prix.
De plus, il était évident depuis le début que quelques-uns des hauts responsables de l’AP impliqués dans la corruption étaient à la pointe des attaques contre le Hamas, ce qui veut dire qu'un acharnement public contre eux aurait généré des répercussions inopportunes étant donné les objectifs des Etats-Unis dans la région.
« Certains des plus hauts fonctionnaires palestiniens n’avaient même pas 3.000$ en poche lorsqu’ils sont arrivés ici. Aujourd’hui, leurs comptes en banque sont gonflés de dizaines voire de centaines de millions de dollars, » a dit Shabana le 15 février à Al-Jazeera TV (vidéo ci-dessous). « Voilà pourquoi j’ai dû agir et parler publiquement, parce que pas un seul officiel corrompu n’a été traduit en justice pour vol de fonds publics, » a-t-il dit.
Shabana a nommé Azzam Al-Ahmed, dirigeant du Fatah en Cisjordanie , prétendant que lui et son frère étaient impliqués dans le détournement de plus de 1,5 million de dollars. Il a parlé d’énormes acquisitions de terres dans lesquelles plusieurs millions de dollars ont disparu dans les mains de responsables de l’AP.
L’autre importante révélation faite par Shabana fut une vidéo montrant Rafik Husseini, chef du bureau du Président, couché dans un lit, nu, après avoir été attiré dans un appartement de Ramallah par une femme de Jérusalem Est non identifiée. La femme, selon certaines sources, avait postulé pour une poste au bureau présidentiel, l’histoire est donc un exemple classique de monnayage de faveurs.
Husseini n’a pas eu de rapports sexuels avec cette femme parce que Shabana et ses hommes ont fait irruption dans la pièce quelques minutes avant que le rendez-vous galant soit censé avoir lieu. Dans une autre partie de la vidéo, on entend Husseini dire : « le président Abbas n’a aucun charisme » et « il ne contrôle rien ». Il fait également référence à Yasser Arafat comme au « plus grand ‘dajjal’ ». ‘Dajjal’ signifie « menteur et escroc ».
Choqués et manifestement embarrassés par les révélations, les responsables de l’AP ont publié une pléthore de réactions nerveuses, traitant Shabana de tous les noms, comme « informateur israélien », « traître », et « menteur ». Al-Tayeb Abdel-Rahim, proche collaborateur d’Abbas, a affirmé que Shabana était « un officier du renseignement minable » dont Israël se servait pour pousser la direction palestinienne à revenir aux négociations. D’autres lui ont reproché de « laver notre linge sale en public » et « de faire qu’Israël se gausse de nous dans cette affaire. »
D’autres encore ont critiqué Shabana pour le choix du moment de ces révélations, arguant que soulever cette affaire à un moment aussi sensible n’était pas une coïncidence. Toutes ces réactions étaient surtout des réflexes défensifs qui ne résisteraient pas à un examen sérieux.
Néanmoins, le 14 février, Abbas – qui était réticent à prendre en main le problème – a « suspendu » Husseini de son poste. Il a aussi ordonné la création d’un comité d’enquête constitué de trois dirigeants du Fatah, dont le secrétaire général du Comité exécutif du Fatah, Abu Maher Ghoneim, Azzam Al-Ahmed, et le président du Tribunal du Fatah, Rafiq Natshe.
Ce Al-Ahmed, qui fait partie de ceux qui ont été accusés de détournement de fons, fait donc partie du comité chargé d’enquêter sur les accusations et cette nomination a fait froncer les sourcils dans les territoires occupés. Certains dirigeants du Fatah, comme Jebril Rajoub, a affirmé que le Fatah se devait d’enquêter sérieusement et consciencieusement sur ce « vrai scandale. »
« Qualifier ces révélation de mensonges n’est pas suffisant, » a dit Rajoub. « Nous, au Fatah, devons mener une enquête sérieuse et publier les résultats, pour que notre peuple connaisse la vérité. Nous devons aussi activer les principes de responsabilité dans tout le mouvement et l’AP, reconstruire un appareil sécuritaire sur une base nationale, et en finir avec la coordination sécuritaire avec Israël. »
Visiblement honteux de ces révélations, Husseini est apparu lors d’une conférence de presse impromptue à Jérusalem Est le 14 février, au cours de laquelle il a dit être victime d’un complot mené par un gang qui avait falsifié la vidéo à des fins de chantage politique et financier. De façon laconique, Husseini a dit que le but du complot était de le pousser à cesser de travailler pour la libération de Jérusalem et l’obliger à quitter le pays pour toujours. « C’est un exemple classique d’union de corruption et de collaboration avec Israël, » a-t-il conclu.
Membre nommé au Conseil révolutionnaire du Fatah, Husseini a refusé de répondre aux questions et est parti. Ses remarques n’ont pas dissipé les doutes sur sa crédibilité et son intégrité morale.
Ce nouveau Fatahgate, comme de nombreux journalistes ont nommé le scandale, affaiblira et délégitimera certainement encore davantage le régime Abbas-Fayyad. Même en acceptant la réponse du Fatah à Shabana, les observateurs se demandent comment l’AP, qui traite Shabana d’agent israélien, a pu permettre à un tel agent de parvenir au plus haut échelon de l’appareil de la sécurité palestinienne et de connaître les secrets les plus intimes de la direction palestinienne, puisque Shabana a aussi affirmé que la famille d’Abbas était directement impliquée dans le scandale.
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Khaled Amayreh
20 février 2010