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Egypte - 21 février 2011
Par Fadwa Nassar
Nombreuses sont les questions qui se posent aujourd’hui, à propos de la révolution égyptienne en cours. A peine Moubarak renversé, vendredi dernier, que les analystes et commentateurs se sont précipités pour lancer, souvent à la hâte, leurs points de vue, en vue d’expliquer, d’analyser ou de commenter la chute de Moubarak, mais aussi de prévoir les conséquences de cette révolution sur la région. A présent, la coalition qui s’était constituée au cours de la révolution du 25 janvier a désigné un « conseil des garants de la révolution » en vue de représenter la révolution, au cours de la phase transitoire actuelle. Ce dernier est chargé de suivre et d’insister auprès du conseil supérieur des forces armées, qui a pris les choses en main, dès avant même la chute de Moubarak, pour poursuivre l’application des revendications révolutionnaires.
Le « conseil des garants de la révolution » a noté que jusqu’à présent, deux principales revendications populaires n’ont pas encore été appliquées, celle de la levée de l’état d’urgence et la libération de tous les prisonniers politiques, non seulement ceux qui ont été arrêtés au cours de la révolution, mais également tous les prisonniers détenus par le pouvoir du président déchu. Il est vrai que le conseil supérieur des forces armées a commencé par la dissolution des deux assemblées législatives, pensant ainsi satisfaire le peuple, comme première mesure, tout comme il a annulé la constitution et nommé une commission qui devrait y apporter des amendements dans les dix jours prochains.
Cependant, cette dernière mesure est critiquée à plus d’un niveau, et notamment par le conseil des garants, qui regroupe plusieurs personnalités connues et moins connues, mais que la coalition des révolutionnaires du 25 janvier a considéré probes et capables.
Certains pensent qu’il aurait mieux valu lever l’état d’urgence avant de procéder à la modification de la constitution, car cela aurait permis d’assurer un large climat de libertés publiques où les gens pourraient discuter librement des modifications. Pour d’autres, les dix jours restent insuffisants pour modifier la constitution, à moins de s’arrêter juste à quelques articles, que le pouvoir de Moubarak avait auparavant modifiés pour renforcer son propre pouvoir et celui de son équipe.
Dans un pays en ébullition, plusieurs mouvements se déroulent encore au moment où l’administration égyptienne tente de se libérer des figures représentatives de l’ancien régime, sous les prétextes divers, que ce soit la corruption, l’accumulation illégale des richesses, le pouvoir étendu grâce aux liens avec l’équipe de Moubarak, etc… Des protestations se déroulent dans les médias, mettant en cause leur direction et leur inféodation au pouvoir : dans plusieurs journaux, des changements interviennent ou sont sur le point d’aboutir, dans la télévision, outil essentiel du pouvoir de Moubarak, les protestations et les dénonciations de la direction risquent de modifier prochainement le visage des médias égyptiens. Des grèves et protestations agitent plusieurs secteurs industriels en plus d’un lieu en Egypte, où les ouvriers et employés souhaitent obtenir quelques-unes de leurs revendications salariales dans l’immédiat.
De son côté, l’administration égyptienne a commencé à épurer le paysage, en commençant par geler des avoirs de plusieurs personnalités politiques et économiques (les deux vont ensemble, d’ailleurs) mais sans toutefois toucher aux avoirs de la famille Moubarak, d’après les informations publiées. Cependant, plusieurs juristes se sont constitués en commission et travaillent d’arrache-pied, avec des comités arabes situés à l’étranger, en Suisse notamment, pour obtenir le gel des avoirs de la famille Moubarak et de ses proches.
Ce ne sont que quelques exemples des mouvements en profondeur qui se déroulent actuellement en Egypte, après le 25 janvier et le 11 février, date de la chute de Moubarak. Mais il est vrai que sur le terrain, et dans un pays aussi vaste que l’Egypte, les choses ne sont pas toujours claires à cause précisément de ce mouvement populaire déclenché par une nébuleuse de groupes de jeunes, avant d’être rejoint par le peuple en entier.
Qui sont ces jeunes dont le rassemblement du 25 janvier a déclenché la révolution ? Qu’en est-il de la participation des Frères musulmans, devenus la phobie de l’Occident en quelques jours ?
La nature même de ces groupes de jeunes qui ont constitué, plusieurs jours après le début du mouvement, avec d’autres forces, la « coalition de la révolution du 25 janvier » reste difficile à cerner, parce que précisément ils n’appartiennent pas à des formations connues et aux contours précis.
D’après le chercheur Ahmad Tahami Abdel Hayy, plusieurs groupes de jeunes furent à l’initiative du rassemblement du 25 janvier. A cause de la nature policière et répressive du régime, ces jeunes avaient constitué des groupes de discussion et de mobilisation sur Facebook, notamment, à partir de faits sociaux graves qui se passaient dans le pays, notamment après les dernières élections législatives, où Moubarak avait encore plus réduit la vie politique à sa propre personne. Ces groupes, ouverts à toute discussion, ont la particularité de n’avoir aucun fondement idéologique. De plus, les jeunes qui y participent se déplacent d’un groupe à l’autre, en fonction de la nature de la mobilisation et des revendications mises en avant. C’est pourquoi des jeunes, appartenant à des mouvements politiques, se sont retrouvés, aux côtés d’autres, qui ne l’étaient pas, dans des mouvements de protestation ayant précédé le 25 janvier, unis autour des revendications immédiates : soutien aux ouvriers du textile en lutte à Mahalla, par exemple, ou dénonçant l’assassinat de Khaled Sa’ïd, jeune d’Alexandrie assassiné par la police parce qu’il avait dévoilé les accointances de la police avec les revendeurs de drogue.
En 2005 – 2006, par exemple, ces jeunes avaient gonflé les rangs de Kifaya et du Ghad, avant d’être attirés par des mouvements, comme celui du 6 avril ou par la campagne populaire de soutien à Mohammad Baradei.
Donc, la facilité avec laquelle les jeunes passent d’un groupe à l’autre et l’absence d’une idéologie marquée des groupes les ont rendus insaisissables et confus à la fois. Ce fut aussi leur point de force pour échapper au système policier de Moubarak.
Les groupes constitués sur Facebook sont : « Nous sommes tous Khaled Sa’id », auquel appartient Wael Ghnaym, le jeune ayant été enlevé par la police au troisième jour des manifestations, celui de la jeunesse du mouvement des Frères musulmans, les jeunes de « Ensemble, nous changerons » (groupe de soutien au dr. Mohammad Baradei, ancien chef de l’agence internationale pour l’énergie), les jeunes en faveur de la justice et de la liberté, les jeunes des partis du front démocratique et de « al-Ghad (demain) » (parti fondé par l’opposant Ayman Nour).
Au cours du rassemblement sur la place Tahrir, ces groupes furent rejoints par des jeunes appartenant à des partis de l’opposition, dont les membres avaient souvent participé à des actions menées par de nouvelles formations (Kifaya, par exemple) : l’union des jeunes du Tajammu’ (rassemblement), les jeunes nassériens, le mouvement populaire démocratique pour le changement (Hashd), les jeunes des partis 'Amal (l’action, islamiste), Wafd (le plus ancien parti contemporain) et le front des jeunes coptes.
Les contours des mouvements nés dans les années 2000 n’étant pas clairement définis, il nous suffit de donner une brève description de certains, pour comprendre qu’il s’agit surtout d’une nébuleuse de formations ayant accumulé, tout au long de ces années, une expérience de lutte à partir de revendications qui semblent très hétérogènes.
Le mouvement du 6 avril se décrit comme « un groupe de jeunes Egyptiens qui n’appartiennent à aucun courant politique, mais qui visent à provoquer des changements politiques ». Il est né en 2008, sur les pages du Facebook, en rassemblant plus de 75.000 jeunes. Il avait appelé à organiser une grève, le 6 avril 2008, lorsque les ouvriers d’al-Mahalla avaient manifesté, avec leurs familles, et que des affrontements les ont opposés aux forces de la police. Ce mouvement avait rassemblé des jeunes appartenant à des organisations, comme Kifaya, ou l’union des jeunes de Ghad, ou des nassériens ou des jeunes du parti ‘Amal.
Kifaya, formé en 2005, est une coalition de plusieurs groupes de l’opposition, un réseau lâche qui regroupe nassériens, islamistes et gauchistes. Mais les jeunes qui s’y sont rassemblés ont pensé former un cadre les représentant à l’intérieur du mouvement: les jeunes pour le changement. Kifaya fait partie des mouvements qui ont appelé à participer au mouvement déclenché le 25 janvier, affirmant son engagement envers les revendications populaires.
Contrairement à ce que pensent beaucoup d’analystes, le mouvement des Frères musulmans a participé, dès le début, au mouvement du 25 janvier, par le biais de son organisation de jeunesse, tout comme ces jeunes étaient présents dans les groupes Facebook et les groupes d’étudiants ayant appelé au rassemblement du 25 janvier.
Dans les universités, les jeunes avaient commencé, il y a quelques années, à se regrouper hors des unions inféodées au pouvoir, sous diverses appelations « apolitiques ». Y participent les étudiants des Frères musulmans aux côtés des autres étudiants rattachés à des mouvements contestataires, nés au cours de la dernière décennie. L’Union libre des étudiants a été un cadre de collaboration avec les autres groupes qui existent sur le Facebook ou le mouvement du 6 avril. Les groupes parallèles se multiplient, créant un réseau qui rassemble des étudiants de toutes tendances, notamment les socialistes révolutionnaires, la gauche, le mouvement Kifaya et Ghad. En 2005, il existe plusieurs unions libres d’étudiants dans 7 universités, et en 2006, elle parvient à s’installer dans toutes les universités publiques égyptiennes.
Dans les analyses faites sur la révolution égyptienne, certains, et surtout en occident, insistent soit sur l’absence, soit sur la présence des Frères musulmans, afin de transmettre un message précis. Pour les laïcistes forcenés, il s’agit de démontrer le caractère démocratique de mouvements dépourvus d’islamistes, mais populaires, que ce soit en Tunisie ou en Egypte, alors que pour les milieux ouvertement sionistes, il s’agit d’insister sur le danger représenté par ces révolutions, dirigées en sous-main par les islamistes, dont les Frères musulmans qui refuseraient la présence de l’Etat sioniste et qui constitueraient une menace pour la « paix » mondiale.
Comme il est devenu important, pour d’autres, d’insister sur les revendications sociales, en insistant sur la misère du peuple qui réclame « du pain », ou sur les revendications mises en avant par les médias américains, la corruption des élites dirigeantes, ou encore sur les libertés démocratiques qui furent bafouées tout au long de ces décennies.
Pour Mounir Shafiq, théoricien engagé dans le combat pour la Palestine et le monde arabo-islamique, il est important d’ordonner les priorités des causes de la révolution égyptienne en cours. Il refuse les différentes explications qui mettent sur le même plan toutes les revendications, justes toutefois, qui sont à la fois sociales, démocratiques et contre la corruption. Il ajoute cependant une dimension essentielle, qui fonde à la fois la corruption, la suppression des libertés et l’inégalité sociale criante, celle de la soumission aux puissances étrangères et la signature d’accords humiliants avec les Etats-Unis et l’ennemi sioniste. C’est pour maintenir cette soumission que le régime de Moubarak, devenu le dictateur par excellence, a progressivement supprimé toutes les libertés et qu’il a concentré tous les pouvoirs autour de lui, et qu’il s’est entouré de corrompus et corrupteurs, ayant de solides liens avec les grandes firmes internationales, qui ont dilapidé les ressources du pays, le gaz en premier lieu, vendu aux sionistes. La dilapidation des ressources naturelles, livrées aux puissances étrangères à des prix dérisoires et la destruction du patrimoine national industriel et agricole, au bénéfice d’un secteur favorisé par l’étranger, le tourisme et les services, ont privé le peuple égyptien, dans son ensemble, des bienfaits d’un soi-disant développement à l’occidentale.
C’est d’ailleurs à cause de cette mainmise étrangère, occidentale et américaine surtout, sur la politique et la vie du pays, que les interventions étrangères se font de plus en plus pressantes et que des graves menaces se profilent contre le peuple égyptien, qui cherche à se libérer de toute ingérence. Avec ses forces vives, et notamment ses jeunes, le peuple égyptien tente d’avancer avec prudence, en évitant de tenter le diable. Mais ce qui est certain, c’est que la démocratisation de la société, à tous les niveaux, et la généralisation de la liberté d’expression ne peuvent qu’entraîner la remise en cause de cette soumission humiliante, car c’est le peuple d’Egypte, un peuple qui, malgré les 35 ans des accords de Camp David, n’a pas normalisé ses relations avec l’Etat sioniste.
Source : French Moqawama
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