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Monde Arabe - 1 mars 2011
Par Badia Benjelloun
Les peuples arabes ont été très patients, ils ont bouillonné de colère depuis des décennies. Depuis leur libération formelle du joug colonial.
Leur mode démographique avec une majorité de moins de vingt cinq ans, présenté comme un handicap et un critère de sous-développement par la science politique occidentale, se révèle leur chance pour initier leurs révolutions. Ils disposent de leur colère, de leur imagination et de leur formidable optimisme juvéniles pour envisager dans la réalité les transformations politiques et sociales que des gouvernements vassaux à l’Empire ne pouvaient et ne veulent accomplir.
La revue The Economist a procédé à une classification du risque révolutionnaire des pays d’Afrique du Nord et de l’Orient arabe en affectant un certain nombre d’items d’un indice aboutissant une fois la sommation de toutes les pondérations faite à une ‘vulnérabilité’ au changement. La jeunesse apparaît très justement deux fois dans l’établissement du score qui par ailleurs est une élucubration sans réelle pertinence prédictible, la première par le pourcentage des moins de 25 ans et la seconde par le nombre en absolu de cette même jeunesse. Un soulèvement populaire de l’ampleur de ce à quoi nous assistons avec reconnaissance actuellement est de l’ordre du basculement d’une situation instable, déséquilibrée vers un ordre autre, indécidable quant à la chronologie.
Le critère de la corruption est en général noté selon la perception que se fait une population donnée de la classe des politiques qui la gouvernent, il est purement subjectif. Il est intolérable de devoir glisser un pourboire pour une simple démarche administrative. Mais il n’est pas mesuré là l’activité de lobbying qui a transformé depuis très longtemps le régime représentatif occidental donné comme démocratique en pur reflet de la puissance des groupes de pression dont l’influence est proportionnelle à la trésorerie consacrée à démarcher les élus. Depuis la levée de la limitation du financement des campagnes électorales fédérales le 21 janvier 2010 par la Cour Suprême des US(a), désormais sans limitation et pouvant être anonyme, le Lobbying est officiellement le lieu du réel pouvoir.
Quand le FMI compare des États ayant des économies avancées, le pire d’entre eux où il ne fait absolument pas bon de vivre est bien celui des US(a), aussi bien pour l’inégalité économique, l’espérance de vie, l’insécurité alimentaire que le risque de se trouver en prison.
Le premier centile le plus riche aux US(a) gagne 50% du revenu national. C’est bien plus impressionnant que ce qu’ont pu réalisé la bande de kleptocrates de Ben Ali et Moubarak réunis où les 20% de la population la plus pauvre gagnent réellement une part bien plus importante du PIB national que les 20% homologues aux US(a).
Pourtant les Arabes vivent plus intensément le sentiment d’injustice.
Une manière élaborée d’évaluer les inégalités dans un pays consiste à calculer le coefficient de Gini qui tient compte de la distribution des revenus et du patrimoine dans une population donnée. Il apparaît que ce ne sont ni l’Égypte, classée au 90ème rang, ni la Tunisie, au 62ème les plus inégalitaires alors que les US(a) qui figurent au 42ème sont bien un des lieux de la répartition la plus contrastée des richesses.
Pour mémoire, le Royaume Uni est à la 92ème place soit à peine un peu moins inégalitaire que l’Égypte.
Pour ce qui concerne la pauvreté, au classement, toujours par les comptables du FMI, des pays selon les revenus par tête d’habitant, ce qui ne reflète en aucun cas le coût de la vie ni le pouvoir d’achat réel des habitants, l’Égypte obtient le 103ème rang avec 5880 $ et est bien mieux classée que le Maroc recalé au 117ème ou que la Mauritanie au 144ème.
Le niveau de pauvreté est loin d’expliquer à lui seul cet élan pour restructurer son propre destin. C’est un appétit immense de justice et de vérité qui mobilise cette énergie jusque là quiescente et toujours vivante dans la culture arabo-musulmane. La dynastie des Mameluks en Égypte n’était-elle pas originaire d’esclaves ? Et les dynasties, surtout illégitimes, cela se renverse.
Toute la machinerie discursive occidentale d’explication, d’interprétation, de rationalisation de ce qui lui échappe, par essence, est avancée. Cette quincaillerie inadaptée y peine.
Les peuples arabes en révolution ont déjà chassé du pouvoir deux autocrates chéris du système occidental mais sont loin d’avoir achevé leur tâche.
En Tunisie, le Premier ministre du gouvernement provisoire, longtemps collaborateur du dictateur expulsé, a été contraint par une pression populaire continue à la démission.
En Égypte, les manifestants qui convergent par millions tous les vendredis à Maydan Tahrir n’ont pas encore obtenu la libération des détenus politiques, ni la dissolution des services de police secrète célèbre pour la surveillance étroite de la population et la brutalité de ses tortures.
Les acteurs du soulèvement dans ces deux cas ont déjà occupé la scène politique des revendications ces dernières années, particulièrement en 2008. Au travers des grèves de mineurs de la région phosphatière en Tunisie et des travailleurs des industries textiles de Mahalla et des micro-entreprises sous-traitantes tenues par des femmes et des jeunes.
La chute du régime de Qadafi est imminente.
L’organisation du peuple libyen en tribus est une véritable chance pour le futur de sa démocratie. À condition qu’elles s’unissent au service d’une entité nationale, ce qui est loin d’être incompatible avec la nature de leur structure, elles continueront le lieu de l’exercice de prise de décisions politiques par consensus. Plutôt que le vote anonyme avec scrutin majoritaire, l’agora tribale impose d’argumenter jusqu’à obtention de l’accord et donc de l’adhésion de tous.
Dans le déroulement de cette réaction en chaîne, le Yémen est le bon candidat pour la prochaine transformation sociale et politique.
Mais ce peut aussi bien être l’Irak, avec un Maliki qui a consenti sous l’approche de l’incendie à replacer le milliard de dollars consenti à l’achat de F16 pour sa défense aérienne (contre quel ennemi, pour un pays encore occupé ?) dans l’attribution d’aide alimentaire à un peuple exsangue en principe riche en pétrole et sans électricité.
Ou bien le Maroc. Pauvre et très inégalitaire mais surtout dont le peuple est lassé d’assister au clientélisme palatal et à la renonciation de toute responsabilité régalienne. L’école, la santé, les télécommunications, tout est passé aux mains du privé, octroyé comme cadeau à l’entourage et vendu à vil prix à des firmes étrangères. Comme dans tous ces pays, le budget de l’armée est hypertrophié au détriment d’investissement dans sa plus grande richesse, sa jeunesse abandonnée à l’illettrisme, et à la plus grande satisfaction des mêmes éternels marchands d’armes et fomenteurs de troubles.
Le brasier est incandescent et les étincelles fusent.
Et pas une manifestation sans que ne soit évoquée la libération de la Palestine.
L’empire continue de crouler sous le poids de son technologisme, de sa totale incapacité à être une force intégratrice et de son hubris.
En Afghanistan, le Pentagone a décidé de retirer ses forces de la vallée Pech dont il a insisté que son occupation était vitale pour le maintien des forces US dans la région pour les dix années à venir. C’est cette même vallée qui commande la frontière avec le Pakistan dans laquelle se sont enlisées les forces soviétiques. Le retrait a commencé le 15 février et devrait s‘achever pour la fin mars.
Pendant que les néo-conservateurs brûlent d’envoyer des troupes en Libye, les responsables de la communication - propagande – étasunienne se gardent bien de nous annoncer la débandade.
Nous devons tant à la Résistance afghane et irakienne.
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Badia Benjelloun
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