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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

L'état de la reconnaissance

Par

Joseph Massad est professeur associé de politique arabe et d'histoire intellectuelle à l'Université de Columbia.

Quel est l'enjeu du refus véhément de Barack Obama de reconnaître la Palestine comme un mini-État avec une géographie défigurée et sans souveraineté, et son exhortation à la communauté internationale de ne pas le reconnaître, tout en menaçant les Palestiniens de représailles ? Quelle est la relation entre le refus d'Obama de reconnaître la Palestine et son insistance à reconnaître le droit d'Israël d'être un "État juif" et son exigence que les Palestiniens et les pays arabes lui emboîtent le pas ?
Il est important de souligner d'emblée que si l'ONU accorde à l'Autorité palestinienne (AP) le gouvernement d'un État sous occupation et le statut d'observateur, ou si elle refuse de le faire, l'un ou l'autre résultat sera dans l'intérêt d'Israël. Parce que le seul enjeu a toujours été l'intérêt d'Israël, et il est clair que quelle que soit la stratégie qui recueille le soutien international, avec ou sans l'approbation des États-Unis et d'Israël, elle doit garantir a priori les intérêts israéliens. Le vote de l'ONU en est un bon exemple.

L'état de la reconnaissance

Les résultats possibles

Prenons les deux résultats possibles du vote et comment ils feront progresser les intérêts israéliens :

Les soulèvements arabes en cours ont accru les attentes palestiniens sur la nécessité de mettre fin à l'occupation et ont contesté le modus vivendi de l'AP avec Israël. En outre, avec la poussée de l'activisme de la base populaire palestinienne à résister à l'occupation israélienne, l'AP a décidé de déplacer la lutte palestinienne d'une mobilisation populaire qu'elle n'est pas en mesure de contrôler et dont elle craint qu'elle ne la renverse, à l'arène juridique internationale. L'AP espère que ce glissement du populaire au juridique démobilisera les énergies politiques palestiniennes et les déplacera dans une arène moins menaçante pour sa survie même.

L'AP se sent abandonnée par les États-Unis, qui lui ont assigné le rôle de collaborateur avec l'occupation israélienne, et se sent bloquée dans un "processus de paix" qui ne cherche pas de but ultime. Les hommes politiques de l'AP ont opté pour le vote à l'ONU pour forcer la main des Américains et des Israéliens, dans l'espoir qu'un vote positif accorderait à l'AP davantage de pouvoir et de latitude politiques pour optimiser sa domination sur la Cisjordanie (mais pas sur Jérusalem Est et Gaza, que ni Israël ni le Hamas, respectivement, ne veulent céder à l'AP). Que l'ONU réalise le souhait de l'AP et l'admette comme État membre avec statut d'observateur, alors, affirme l'AP, elle pourra obliger Israël, dans les instances internationales, à cesser ses violations de la charte de l'ONU, des conventions de Genève et nombre d'autres accords internationaux. L'AP pourra alors contrer Israël en ayant recours à des instruments juridiques auxquels seuls ont accès les États membres pour l'obliger à lui accorder "l'indépendance". C'est cela qui préoccupe le plus les Israéliens, si la Palestine devient un État membre, elle sera en mesure de contester légalement Israël.

Cette logique est cependant erronée, parce que les Palestiniens n'ont pas manqué, d'un point de vue historique, de recours légaux pour contester Israël. Au contraire, des instruments internationaux ont été déclenchés contre Israël depuis 1948 par les nombreuses résolutions des Nations Unies à l'Assemblée Générales et au Conseil de Sécurité, sans parler du recours plus récent à la Cour internationale de Justice dans le cas du Mur d'Apartheid. Le problème n'a jamais été la capacité ou l'incapacité des Palestiniens à mobiliser le droit international ou les outils légaux de leur côté. Le problème est plutôt que les États-Unis empêchent que la juridiction du droit international soit appliquée à Israël par son droit de veto. Les États-Unis utilisent des menaces et des mesures protectrices pour empêcher que l’État paria récalcitrant ne soit traduit en justice. Ils ont déjà utilisé 41 fois leur droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies en défense d'Israël et contre les droits palestiniens. De quelle façon ceci changerait si l'AP devient un État membre à l'ONU avec statut d'observateur n'est pas clair.

Il est vrai que l'AP pourrait faire porter davantage de pression et de sanctions juridiques internationales sur Israël. Des instances internationales pourraient se prononcer sur les violations d'Israël des droits de l’État palestinien. L'AP pourrait même rendre plus "périlleux" les déplacements internationaux des hommes politiques israéliens en tant que "criminels de guerre". Cela rendrait les relations internationales d'Israël plus difficiles, mais comment ceci finirait-il par affaiblir un Israël que les États-Unis protègeraient complètement de tels effets, comme ils l'ont toujours fait ?

Les implications du vote de l'ONU

Cette supposée adjonction de pouvoir que les Palestiniens obtiendraient pour traduire Israël en justice aura en fait un coût énorme pour le peuple palestinien. Si l'ONU vote le statut d’État de l'AP, cela aura plusieurs implications immédiates :

(1) L'OLP cessera de représenter le peuple palestinien à l'ONU, et l'AP la remplacera en tant que son État présumé.

(2) L'OLP, qui représente tous les Palestiniens (environ 12 millions de personnes en Palestine historique et dans la diaspora) et qui a été reconnue comme leur "seule" représentation à l'ONU en 1974, sera réduite à l'AP, qui ne représente que les Palestiniens de Cisjordanie (environ 2 millions de personnes). Incidemment, c'était le projet présenté par les tristement célèbres "Accords de Genève" qui n'ont mené nulle part.

(3) Il affaiblira le droit des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs foyers et à être indemnisés, comme stipulé par les résolutions de l'ONU. L'AP ne représente pas les réfugiés, même si elle affirme représenter leurs "espoirs" d'établir un État palestinien à leurs dépens. En effet, certains experts juridiques internationaux craignent que le statut d’État de l'AP abroge même totalement le droit au retour des Palestiniens. Il fera aussi perdre les droits des citoyens palestiniens d'Israël qui subissent un racisme institutionnel et juridique dans l’État israélien, puisqu'il les mettra devant le fait accompli de l'existence d'un État palestinien (en dépit de sa nature fantasmatique). Cela ne fera que donner crédit aux revendications israéliennes que les Juifs ont un État et que les Palestiniens en ont maintenant un, eux aussi, et que si les citoyens palestiniens d'Israël ne sont pas contents, ou même s'ils sont contents, de leur statut de citoyens de troisième classe en Israël, ils peuvent déménager ou être forcés à déménager dans l’État palestinien.

(4) Israël pourrait ostensiblement venir, peu de temps après le vote de l'ONU en faveur d'un État palestinien, informer l'AP que les territoires qu'elle contrôle maintenant (une petite fraction de la Cisjordanie ) sont tout le territoire qu'Israël lui concède et que ce sera la base territoriale de l’État de l'AP. Les Israéliens ne se lassent pas de rappeler à l'AP que les Palestiniens n'auront pas de souveraineté, pas d'armée, pas de contrôle de leurs frontières, pas de contrôle de leurs ressources en eau, pas de contrôle sur le nombre de réfugiés qu'elle accepterait de recevoir, ni même compétence sur les colons juifs. En effet, les Israéliens ont déjà obtenu des assurances des Nations Unies sur leur droit à "se défendre" et à préserver leur sécurité par tous les moyens qu'ils jugent nécessaires pour parvenir à leurs fins. En bref, l'AP aura exactement le même État bantoustan qu'Israël et les États-Unis lui ont promis depuis deux décennies !

(5) Les États-Unis et Israël pourraient aussi, grâce à leurs nombreux alliés, injecter un langage de "compromis" dans la reconnaissance envisagée de l’État de l'AP par l'ONU, stipulant qu'un tel État doit exister en paix, à côté de l'"État juif" d'Israël. Ce qui entraînerait en retour une précieuse reconnaissance onusienne du "droit" d'Israël à être un État juif, ce que les Nations Unies et la communauté internationale, les États-Unis exceptés, ont refusé de reconnaître jusqu'à maintenant. Ceci lierait directement la reconnaissance par l'ONU d'un État palestinien fantasmatique et inexistant à la reconnaissance par l'ONU d'un État d'Israël existant réellement qui discrimine légalement et institutionnellement les non-Juifs en tant qu'"État juif".

(6) Les États-Unis et Israël insisteront, après un vote positif, sur le fait que, si l'AP a raison d'avoir certaines exigences politiques en tant qu’État membre, elle devra abroger son récent accord de réconciliation avec le Hamas. De plus, des sanctions pourraient s'abattre sur l’État de l'AP lui-même pour s'être associé avec le Hamas, que les États-Unis et Israël considèrent comme un groupe terroriste. Le Congrès des États-Unis a déjà menacé de punir l'AP et n'hésitera pas à exhorter l'administration Obama à ajouter la Palestine à sa liste des "États qui soutiennent le terrorisme", avec Cuba, l'Iran, le Soudan et la Syrie.

Toutes ces six implications feront incommensurablement progresser les intérêts israéliens, alors que le seul inconvénient pour Israël sera la capacité de l'AP à exiger que le droit international et la compétence juridique soient appliqués de manière à exiger davantage de concessions de ce pays. Cependant, chaque fois, les États-Unis bloqueront et protègeront Israël de leurs effets. En bref, les intérêts israéliens seront optimisés au prix de quelques inconvénients graves, mais pas préjudiciables.


Le second résultat possible, un véto des États-Unis et/ou leur capacité à faire pression et à tordre le bras de dizaines de pays au monde pour qu'ils refusent la candidature de l'AP à l'Assemblée générale et qui aboutirait à l'échec de la reconnaissance de l’État de l'AP, sera aussi au bénéfice d'Israël. L'interminable "processus de paix" continuera avec des conditions plus drastiques et des États-Unis en colère, contrariés par le défi de l'AP, et reviendra exactement là où en est l'AP aujourd'hui, si non à une position plus faible. Le Président Obama et les futures administrations US continueront à faire pression pour une reconnaissance de l'AP et arabe d'Israël en tant qu'"État juif" qui a le droit de légaliser la discrimination contre les non-Juifs en échange d'une reconnaissance toujours différée d'un bantoustan palestinien en tant qu’État palestinien "économiquement viable" - un endroit où les hommes d'affaires palestiniens néolibéraux peuvent faire des profits à partir de l'aide et de l'investissement internationaux.

L'un ou l'autre résultat maintiendront le peuple palestinien colonisé, discriminé, opprimé et exilé. L'objet de tout ce brouhaha sur le vote à l'ONU est finalement de savoir lequel des deux scenarii est le meilleur pour les intérêts israéliens. Le peuple palestinien et ses intérêts ne font même pas partie de cette équation.

La question posée à l'ONU n'est alors pas de savoir si les Nations Unies doivent reconnaître le droit du peuple palestinien à avoir un État conforme au Plan de Partage des Nations Unies de 1947, qui lui aurait garanti 45% de la Palestine historique, ni un Etat palestinien dans les frontières du 5 juin 1967 le long de la Ligne verte, qui lui aurait garanti 22% de la Palestine historique. Une reconnaissance à l'ONU, finalement, signifie la négation des droits de la majorité du peuple palestinien en Israël, dans la diaspora, à Jérusalem et même à Gaza, et la reconnaissance des droits de quelques Palestiniens cisjordaniens à un bantoustan sur une fraction du territoire de Cisjordanie , équivalant à moins de 10% de la Palestine historique.

Israël célèbrera l'un ou l'autre des deux résultats.

Source : Al Jazeera

Traduction : MR pour ISM

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