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Palestine - 9 janvier 2012
Par Pacbi
Article du 31 octobre 2011
Dans la lutte palestinienne et arabe contre la colonisation, l'occupation et l'apartheid israéliens, la "normalisation" d'Israël est un concept qui a généré des controverses parce qu'il est souvent mal compris, ou parce qu'il y a des désaccords sur ses paramètres, bien qu'un consensus existe, parmi les Palestiniens et les peuples du monde arabe, pour refuser de traiter Israël comme un Etat "normal" avec lequel on peut faire du "business as usual". Nous discuterons ici de la définition de la normalisation que la grande majorité de la société civile palestinienne, représentée par le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) a adopté depuis novembre 2007 et nous préciserons les nuances qu'elle prend dans des contextes différents.
13 décembre 2011 - Des Palestiniens de Jérusalem protestent devant l'Hotel Ambassadeur contre une Conférence de la Confédération israélo-palestinienne, organisée par le directeur de l'Université de Jérusalem, Sari Nusseibeh et l'ancien ministre israélien des Affaires étrangères Shlomo Bena'mi. La conférence devait élire le parlement et le président de la soi-disant Confédération. L'action des militants palestiniens a fait échouer le projet.
Il faut penser à la normalisation comme à une "colonisation de l'esprit", par laquelle le sujet opprimé en vient à croire que la réalité de l'oppresseur est la seule réalité "normale" à laquelle il peut souscrire, et que l'oppression est un fait accompli dont il doit s'accommoder. Ceux qui sont impliqués dans la normalisation soit ignorent cette oppression, soit l'acceptent comme le statu quo avec lequel il faut vivre. Pour essayer de blanchir ses violations du droit international et des droits de l'homme, Israël travaille à améliorer son image de marque (1), ou à se présenter comme un Etat normal - et même "éclairé" - par un réseau complexe de relations et d'activités qui englobent la haute technologie, la culture, le droit, les droits des lesbiens, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) et autres domaines.
Un principe clé qui sous-tend le terme normalisation est qu'il est entièrement fondé sur des considérations politiques plus que raciales et il est donc en parfaite harmonie avec le refus du mouvement BDS de toutes formes de racisme et de discrimination raciale. S'opposer à la normalisation est un moyen de résister à l'oppression, à ses mécanismes et à ses structures. En tant que tel, il est catégoriquement sans lien avec l'identité de l'oppresseur ni conditionné par elle.
Nous classons la normalisation en trois catégories qui correspondent aux différences liées aux contextes variés de l'oppression coloniale et de l'apartheid d'Israël. Il est important de considérer ces définitions minimales comme la base de la solidarité et de l'action.
1) La normalisation dans le contexte du territoire palestinien occupé et du monde arabe
La Campagne palestinienne pour le Boycott académique et culturel d'Israël (PACBI) a défini la normalisation dans un contexte spécifiquement palestinien et arabe comme "la participation à tout projet, initiative ou activité, en Palestine ou internationalement, qui vise (implicitement ou explicitement) à réunir des Palestiniens (et/ou des Arabes) et des Israéliens (individus ou institutions) sans que ce projet, initiative ou activité ait comme objectif la résistance à et la dénonciation de l'occupation israélienne et de toutes les formes de discrimination et d'oppression contre le peuple palestinien." (2) Telle est la définition approuvée par le Comité national BDS (BNC).
Pour les Palestiniens de Cisjordanie occupée (y compris Jérusalem Est) et Gaza, tout projet avec des Israéliens qui n'est pas basé sur un cadre de résistance sert à normaliser les relations. Nous définissons ce cadre de résistance comme étant fondé sur la reconnaissance des droits fondamentaux du peuple palestinien et sur l'engagement à résister, de diverses manières, à toutes les formes d'oppression contre les Palestiniens, comprenant mais n'étant pas limité à la fin de l'occupation, l'établissement de droits pleins et égaux pour les citoyens palestiniens d'Israël, et la promotion et le soutien au droit au retour des réfugiés palestiniens - ceci peut à juste titre être appelé une position de "co-résistance" (3). Toute autre position permet que des relations quotidiennes, ordinaires existent à côté et indépendamment des crimes continus perpétrés par Israël contre le peuple palestinien, alimentant la complaisance et donnant l'impression fausse et nuisible d'une normalité dans une situation manifestement anormale d'oppression coloniale.
Les projets, initiatives et activités qui ne partent pas d'une position de principes partagés de résistance à l'oppression d'Israël autorisent invariablement une approche qui consiste à traiter avec Israël comme si ses violations pouvaient être évacuées, et comme si la coexistence (opposée à la co-résistance) pouvait précéder, ou conduire à la fin de l'oppression. Dans ce processus, les Palestiniens, quelles que soient leurs intentions, finissent par servir de "feuille de vigne" (4) aux Israéliens qui bénéficient ainsi d'un environnement de "business as usual", et qui peuvent même avoir bonne conscience pour s'être engagés avec des Palestiniens alors qu'on les accuse habituellement de les opprimer et de les discriminer.
Les peuples du monde arabe, avec leurs origines et leurs identités nationales, religieuses et culturelles diverses, dont l'avenir est lié de façon plus tangible à l'avenir des Palestiniens que la communauté internationale plus large, notamment à cause des menaces israéliennes continues politiques, économiques et militaires sur leurs pays, et la primauté de leur affinité toujours forte avec les Palestiniens, sont confrontés à des problèmes de normalisation similaires. Aussi longtemps que l'oppression d'Israël continuera, tout engagement avec les Israéliens (individus ou institutions) qui n'est pas replacé dans le cadre de la résistance souligné plus haut, sert à souligner la normalité de l'occupation, du colonialisme et de l'apartheid israéliens dans les vies des peuples du monde arabe. Il est donc impératif que les populations du monde arabe rompent toutes relations avec les Israéliens, sauf si elles soient basées sur la co-résistance. Nous n'appelons pas à s'abstenir de comprendre les Israéliens, leur société et leur politique. Nous appelons à conditionner celle connaissance et ces contacts aux principes de résistance jusqu'à ce que les pleins droits des Palestiniens et Arabes soient satisfaits.
Les activistes BDS peuvent toujours aller au-delà de nos exigences minimales s'ils identifient des sous-catégories à l'intérieur de celles que nous avons répertoriées. Au Liban et en Egypte, par exemple, les militants du boycott peuvent aller au-delà de la définition de la normalisation de PACBI/BNC étant donné leur position dans le monde arabe, alors que ceux de Jordanie peuvent avoir, par exemple, des considérations différentes.
2) La normalisation dans le contexte des citoyens palestiniens d'Israël
Les citoyens palestiniens d'Israël - les Palestiniens qui sont restés avec détermination sur leur terre après l'établissement de l'Etat d'Israël en 1948 malgré les efforts répétés de les expulser et de les soumettre à la loi militaire, à la discrimination institutionnalisée ou à l'apartheid (4) - font face à une série de considérations totalement différentes. Ils peuvent être confrontés à deux formes de normalisation.
La première, que nous pouvons qualifier de relations coercitives quotidiennes, sont ces relations auxquelles un peuple colonisé, vivant sous l'apartheid, est obligé de participer s'il veut survivre, mener sa vie de tous les jours et faire sa vie au sein de structures oppressives établies. Pour les citoyens palestiniens d'Israël, en tant que contribuables, ces relations quotidiennes coercitives comprennent l'emploi quotidien dans les lieux de travail israéliens et l'accès aux services publics et aux institutions comme les écoles, les universités et les hôpitaux. Ces relations coercitives ne sont pas uniques en Israël et étaient présentes dans d'autres contextes coloniaux et d'apartheid comme en Inde et en Afrique du Sud. On ne peut pas raisonnablement demander aux citoyens palestiniens d'Israël de rompre ces liens, du moins pas encore.
La seconde forme de normalisation est celle qui ne présente pas, pour les citoyens palestiniens d'Israël, une nécessité pour leur survie. Cette normalisation peut inclure la participation à des forums internationaux en tant que représentants d'Israël (comme le Concours Eurovision de la Chanson) ou dans des événements israéliens ciblant un public international. Pour comprendre cette forme de normalisation, il faut considérer que quand les Palestiniens s'engagent dans ces activités sans se placer dans le cadre de résistance mentionné plus haut, ils contribuent, même involontairement, à une façade mensongère de tolérance, de démocratie et de vie normale en Israël pour un public international qui n'en sait peut-être pas plus. Les Israéliens, et l'establishment israélien, peuvent ensuite retourner l'argument contre les partisans internationaux du BDS et contre ceux qui luttent contre les injustices israéliennes en les accusant d'être "plus palestiniens" que les Palestiniens. Les Palestiniens ont, dans ces cas là, des relations avec les institutions israéliennes au-delà de ce qui constitue leur simple nécessité de survie. L'absence de vigilance en cette matière revient à dire implicitement à la société palestinienne qu'elle peut vivre avec l'apartheid et l'accepter, si elle accepte les conditions israéliennes et renonce à tout acte de résistance. Beaucoup de citoyens palestiniens d'Israël, avec PACBI, en viennent de plus à plus à identifier et à s'opposer à ce type de normalisation.
3) La normalisation dans le contexte international
Sur la scène internationale, la normalisation n'opère pas de façon tellement différente et suit la même logique. Alors que le mouvement BDS cible les institutions israéliennes complices, dans le cas de la normalisation, il faut prendre en considération d'autres nuances. Généralement, on demande aux supporters internationaux de BDS de s'abstenir de participer à tout événement qui, moralement ou politiquement, met sur un pied d'égalité l'oppresseur et l'opprimé, et présente la relation entre les Palestiniens et les Israéliens comme symétrique (5). Tel événement peut être boycotté parce qu'il normalise la domination coloniale d'Israël sur les Palestiniens et ignore les structures de pouvoir et les relations intégrées à l'oppression.
Dialogue
Dans tous ces contextes, le "dialogue" et l'engagement sont souvent présentés comme des alternatives au boycott. Le dialogue, s'il survient en dehors du cadre de résistance que nous avons souligné, devient un dialogue pour le dialogue, et c'est une forme de normalisation qui entrave la lutte pour mettre fin à l'injustice. Le dialogue, les processus de "guérison" et de "réconciliation" qui ne visent pas à mettre fin à l'oppression, indépendamment des intentions qui les sous-tendent, servent à privilégier la coexistence oppressive au détriment de la co-résistance, car ils présument de la possibilité de coexistence avant l'obtention de la justice. L'exemple de l'Afrique du Sud éclaire parfaitement ce point, où la réconciliation, le dialogue et le pardon sont venus après la fin de l'apartheid, et pas avant, indépendamment des questions légitimes soulevées par la persistance de ce que certains ont appelé "l'apartheid économique".
Deux exemples de normalisation : OneVoice et IPCRI
Alors que beaucoup, sinon la plupart, des projets de normalisation sont parraniés et financés par des organisations et des gouvernements internationaux, beaucoup de ces projets sont gérés par des partenaires palestiniens et israéliens, souvent avec de généreux fonds internationaux. Le cadre politique, souvent israélo-centré, de ce "partenariat" est l'un des aspects les plus problématiques de ces projets et institutions communs. L'analyse de PACBI sur OneVoice (6), une organisation mixte palestino-israélienne axée sur les jeunes, avec des extensions en Amérique du Nord et en Europe, la dénonce comme un projet de plus qui réunit des Palestiniens et des Israéliens, non pas pour une lutte commune contre la politique coloniale et d'apartheid d'Israël, mais pour un programme limité d'actions sous le slogan de la fin de l'occupation et l'établissement d'un Etat palestinien, tout en cimentant l'apartheid israélien et en ignorant les droits des réfugiés palestiniens, qui composent la majorité de la population palestinienne. PACBI a conclu que, par essence, OneVoice et les programmes similaires servent à normaliser l'oppression et l'injustice. Le fait que OneVoice traite les "nationalismes" et les "patriotismes" des deux "bords" comme s'ils étaient à égalité et également valables est un indicateur révélateur. Il est à noter que pratiquement tout le spectre politique des organisations palestiniennes pour la jeunesse et des syndicats d'étudiants dans le territoire palestinien occupé ont condamné sans ambiguïté les projets de normalisation tels que OneVoice (7).
Une organisation similaire, bien qu'avec un public-cible différent, est le Israël-Palestine Center for Research and Information (IPCRI), qui se décrit comme "le seul think-tank public mixte israélo-palestinien au monde dédié à la résolution du conflit israélo-palestinien sur la base de 'deux Etats pour deux peuples'." IPCRI "reconnaît les droits du peuple juif et du peuple palestinien à réaliser leurs intérêts nationaux dans le cadre de leur auto-détermination nationale au sein de leurs propres Etats et en établissant des relations pacifiques entre deux Etats démocratiques vivant côte à côte." (8) Il préconise donc un Etat d'apartheid en Israël qui prive de leurs droits les citoyens palestiniens indigènes et ignore le droit au retour des réfugiés palestiniens ratifié par les Nations Unies.
Comme OneVoice, IPCRI adopte le "paradigme de conflit" omniprésent tout en ignorant la domination et l'oppression qui caractérisent la relation de l'Etat israélien avec le peuple palestinien. IPCRI néglige commodément une discussion sur les racines de ce "conflit", de quoi il s'agit, et quel "côté" en paie le prix. Comme OneVoice, il glisse sur le passé historique et l'établissement d'un régime colonialiste de peuplement en Palestine suite à l'expulsion de la majorité du peuple indigène de la terre. Le moment déterminant dans l'histoire du "conflit" n'est donc pas reconnu. L'histoire de l'expansion coloniale israélienne continue, la dépossession et le déplacement forcé des Palestiniens sont également commodément ignorés. Au travers de ses omissions, IPCRI nie le cadre de la résistance que nous avons souligné plus haut et place les Palestiniens et les Israéliens dans une relation qui privilégie la coexistence sur la co-résistance. On demande aux Palestiniens d'adopter la vision israélienne d'une résolution pacifique, et non pas une vision qui reconnaît leurs droits fondamentaux, tels que définis par les Nations Unies.
Un autre aspect inquiétant du travail de IPCRI, mais là encore tout-à-fait prévisible, est la participation active dans ses projets de personnalités israéliennes impliquées dans les violations israéliennes des droits du peuple palestinien et de graves violations du droit international. L'équipe de réflexion et d'analyse stratégique d'IPCRI comprend, en plus d'officiels palestiniens, d'anciens diplomates israéliens, d'anciens généraux de brigade de l'armée israélienne, des personnels du Mossad et de hauts fonctionnaires du Conseil israélien de Sécurité nationale, dont on peut raisonnablement soupçonné que beaucoup d'entre eux ont commis des crimes de guerre (9).
Il n'est donc pas surprenant que le désir de mettre fin au "conflit" et le désir de parvenir à "une paix durable", deux slogans de ces efforts de normalisation et d'autres similaires, n'ont rien à voir avec l'obtention de la justice pour les Palestiniens. En fait, le terme "justice" n'a pas de place dans le programme de la plupart de ces organisations, pas plus qu'on ne trouve de référence au droit international comme arbitre ultime, laissant les Palestiniens à la merci d'un Etat israélien bien plus puissant.
La description par un auteur israélien du prétendu Centre Peres pour la Paix, une institution coloniale de pointe en matière de normalisation, peut aussi bien décrire le programme sous-jacent de l'IPCRI et de pratiquement toutes les organisations de normalisation :
"Dans les activités du Centre Peres pour la Paix, il n'y a aucun travail visible visant à sortir du statu quo politique et socio-économique dans les territoires occupés, mais exactement le contraire : des efforts sont faits pour former la population palestinienne à accepter son infériorité et à se préparer à survivre sous les contraintes arbitraires imposées par Israël de manière à s'assurer de la supériorité ethnique des Juifs. Avec un paternalisme colonial, le centre présente un producteur d'olive qui découvre les avantages de la commercialisation coopérative ; un pédiatre qui reçoit une formation professionnelle dans des hôpitaux israéliens ; et un importateur palestinien qui apprend les secrets du transport de marchandises via les ports israéliens, célèbres pour leur efficacité ; et bien sûr des compétitions de football et des orchestres mixtes réunissant des Israéliens et des Palestiniens, qui dépeignent une image fausse de coexistence." (10)
La normalisation d'Israël, - normaliser l'anormal - est un processus nuisible et subversif qui s'acharne à camoufler l'injustice et à coloniser la partie la plus intime de l'opprimé : son esprit. S'impliquer dans ou avec des organismes qui servent cet objectif est donc une des premières cibles du boycott, et une action que les partisans de BDS doivent combattre ensemble.
[1] http://www.forward.com/articles/2070/
[2] Traduit de l'arabe : http://www.pacbi.org/atemplate.php?id=100
[3] http://www.pacbi.org/etemplate.php?id=1673
[4] http://www.pacbi.org/etemplate.php?id=1645
[5] http://www.pacbi.org/etemplate.php?id=1108
[6] http://www.pacbi.org/etemplate.php?id=1436
[7] http://pacbi.org/atemplate.php?id=163 (Arabe)
[8] http://www.ipcri.org/IPCRI/About_Us.html
[9] http://www.ipcri.org/IPCRI/R-Projects.html
[10] Meron Benvenisti, A monument to a lost time and lost hopes, Haaretz, 30 October 2008.
Source : Pacbi
Traduction : MR pour ISM
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