Envoyer cet article
Egypte - 7 juillet 2013
Par Badia Benjelloun
Pour qu’il y ait contre-révolution, il faudrait qu’il y ait eu une révolution.
Le processus vers le changement qui a abouti au renversement de Moubarak il y a deux ans et à la chute de Morsi ces derniers jours a commencé depuis longtemps. Il a laissé des traces pour qui veut bien les relever sur les pages de l’histoire de la dernière décennie.
Le nombre de grèves et de protestations n’a cessé de s’amplifier depuis 2005. Il a culminé en 2008 lorsque le prix des denrées alimentaires, sous l’effet des opérations spéculatives d’un capital financier qui a fui les produits dérivés adossés aux crédits hypothécaires pour les matières premières et l’agro-alimentaire, ont flambé alors que les salaires minima étaient bloqués depuis 1984 à 25 $ mensuels. En avril 2008, les grèves dans le textile à Mahalla al Koubra avaient créé un précédent inouï, la rue demandait déjà la chute du régime (1). À cette occasion, les travailleurs s’étaient affranchis de la tutelle des syndicats officiels liés au parti de Moubarak.
La place Tahrir, au Caire (Egypte), le 2 juillet 2013. AHMED ASAD/APAIMAGES/SIPA
En résonance avec cet événement qui a servi de matrice au soulèvement de janvier 2011, 23.000 ouvriers se sont mis en grève dans ce même secteur du textile en juillet 2012. Ils exigeaient l’amélioration de leurs conditions de travail, la revalorisation de leurs salaires et le licenciement des cadres corrompus.
Du point de vue social, qu’a donc fait le gouvernement Morsi et surtout quel espoir a-t-il donné à une jeunesse affectée par un taux de chômage estimé à largement plus de 25% ?
La consultation référendaire de décembre 2012 pour l’adoption de la nouvelle Constitution a été précédée par de nombreuses manifestations qui ont donné lieu à des heurts avec la police. Peu d’électeurs se sont déplacées, environ 30% de participation, et moyennant quelques manipulations semble-t-il dans les urnes, elle a été adoptée avec 60% des voix exprimées.
Trente ans d’absolutisme, d’humiliations, d’un État fondé sur une police pléthorique avec 1,5 million de policiers très qualifiés en corruption et en torture, un an d’insurrections, d’émeutes, de rassemblements, de grèves, des milliers de blessés et de morts pour « ça ».
Le texte précise que la source principale de la législation serait la loi coranique sans que ne soit explicitée la liberté de culte pour les minorités religieuses.
Mais surtout il ne garantit pas la liberté d’expression, il confie à la police sans restrictions explicites la tâche de veiller à la moralité publique.
Il prévoit que sera fixé un salaire maximum, lequel pourra souffrir des exceptions que prévoira la loi (article 14), mais en aucun cas la Constitution n’établit le principe d’un salaire minimum. L’article 15 proclame le principe de la justice pour les travailleurs agricoles mais ne se prononce pas sur le plafonnement de l’étendue de la propriété agraire latifundiaire.
L’article 26 relatif à l’impôt est très évasif, il n’établit pas de connexion entre le niveau de revenus et les contributions fiscales.
Les libertés syndicales sont très restreintes, un seul syndicat par catégorie professionnelle est autorisé (article 53).
Nulle part n’apparaît la responsabilité du gouvernement devant la Chambre des Représentants.
Dans nombre d’articles, la Constitution laisse la part belle aux militaires. En particulier, le 197 réserve au Conseil de Défense nationale la discussion du budget militaire. Il est constitué de sept civils et de huit militaires.
Ce type de dispositif annonce clairement qu’il ne prend pas la peine pas de faire des promesses qui ne seront pas tenues, comme c’est le cas des démocraties représentatives à l’occidentale. Les prêches dans les mosquées assimilaient l’acquiescement au texte constituant à un devoir religieux. Pourtant le texte élaboré en trois mois par un conseil dominé numériquement par les Frères, et d’où se sont rapidement retirées les personnalités de gauche et les laïcs, n’a été validé que par 20% des électeurs. Ce piètre score annonçait la poursuite des protestations.
Morsi, son gouvernement et sa Constitution, n’ont de musulman que le nom et rien de démocrate. L’un des principes économiques et donc politiques les plus cités dans les versets coraniques concerne l’interdiction absolue du prêt avec intérêts. L’autre concerne les jeux de hasard et spéculatifs.
La Bourse du Caire n’a pas été menacée dans les activités spéculatives.
Quémander des rallonges de prêt au Qatar, au FMI, à l’UE et aux Usa ne peut que conduire à des réformes qui privatisent des pans résiduels dans le service public pour obéir aux injonctions des prêteurs.
Le gouvernement précédent oeuvrait de même : élargir et approfondir une dette impossible à rembourser vis-à-vis de puissances qui imposent leur politique économique (et dictent les alliances internationales), anémier jusqu’à leur disparition toutes les structures qui organisent une solidarité nationale.
Il avait fallu des semaines de protestation après la chute de Moubarak pour que soient tenues les élections législatives. Jusqu’au bout, le Conseil Suprême des Forces Armées menaçait implicitement de ne pas valider l’élection présidentielle.
On a cru un instant que le premier Président élu de l’Égypte s’était affranchi de la tutelle de l’armée quand il avait remercié le Maréchal Tantaoui, ministre de la Défense pendant 20 ans et chef du CSFA en août 2012. Mais les plaintes déposées auprès de la justice militaire contre l’armée pour ses exactions dans la très lourde répression des manifestations n’aboutissent pas. La Constitution lui assure un pouvoir législatif et une grande autonomie financière et politique.
On a également espéré une ouverture permanente du terminal de Rafah qui permettrait aux emprisonnés de Gaza de se sentir des humains comme les autres. Le passage par le poste frontière a été aléatoire et le gouvernement craignant des actes ‘terroristes’ a noyé de nombreux tunnels qui demeurent la seule voie à peu près assurée pour les marchandises et les humains.
Il était attendu que le traité de paix avec Israël soit dénoncé.
Il n’en a rien été. Dès le 1,3 milliard de dollars accordés par les Usa à l’armée, véritable arbitre du pouvoir et détentrice d’une part considérable de l’économie nationale, on apprenait que le gouvernement Morsi rompait les relations diplomatiques de l’Égypte avec la Syrie.
6 millions d’Égyptiens, selon une estimation basse, sont sortis dans la rue le dimanche 30 juin, jour travaillé.
Après deux années de lutte, ils n’ont obtenu ni dignité, ni liberté, ni pain.
Les raisons de la colère se sont même amplifiées car la révolution tant espérée n’a pas abouti.
Le travail d’accouchement de l’histoire se poursuit.
Il est urgent de ne pas y voir la main invisible ou apparente d’un Deus ex machina qui manipulerait 22 millions de Tamarridoune (2) pleins de fureur et bouillonnant d’impatience pour une vie plus digne.
D’abord et avant tout, la solution à venir devra éviter de réemprunter le chemin du capitalisme libéral qui ne profite qu’à ceux qui captent pour leur compte la dette contractée à l’extérieur. Pour l’extrême majorité, elle signifie absence de services publics, pauvreté et chômage.
L’Égypte devrait développer une économie productive intégrée régionalement et renoncer à vivre exclusivement de la rente pétrolière indirecte. Les revenus du canal de Suez, par lequel transitent 40% du pétrole aux mains des Séoud et 20% de l’or noir iranien, restent très inférieurs aux flux financiers générés par les travailleurs égyptiens émigrés dans les pays arabes gros producteurs.
Quand ce qui est à parcourir est si difficile, un chef charismatique explique le projet qu’il formule pour son peuple, il le soulève d’enthousiasme et obtient son adhésion.
Les Frères n’ont pas élaboré une vision d’avenir pour l’Égypte, et Morsi n’a pas la compétence ni le talent d’un rassembleur.
Désormais, les peuples ne se contentent pas de ce TINA (3) qui leur a été servi ces dernières décennies, au Brésil comme en Turquie comme en Grèce et au Portugal.
La fin de ce Système englobant la moindre activité humaine et l’incorporant dans le circuit marchand mondial est sifflée.
(1) http://www.tlaxcala.es/pp.asp?lg=fr&reference=4700
(2) Le substantif tamarroud veut dire rébellion, tamarridoune, les rebelles.
(3) There Is No Alternative, de Margaret Thatcher (Il n'y a pas d'alternative).
Badia Benjelloun
5 juillet 2013
Afin d'assurer sa mission d'information, ISM-France fait appel à votre soutien.
L'ISM a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient. Les auteurs du site travaillent à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui leur seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas l'ISM ne saurait être tenu responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont il n'a pas la gestion, l'ISM n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
9 novembre 2021
Le fait d'être désigné comme "terroristes" par Israël illustre le bon travail des ONG en Palestine9 novembre 2021
L’Art de la guerre - Les nouvelles armes financières de l’Occident5 novembre 2021
Israa Jaabis : De victime à criminelle, du jour au lendemain3 novembre 2021
La normalisation est le dernier projet pour éradiquer la cause palestinienne1 novembre 2021
Kafr Qasem reste une plaie béante tandis que les Palestiniens continuent de résister à l'occupation30 octobre 2021
Voler et tuer en toute impunité ne suffit plus, il faut aussi le silence14 octobre 2021
Tsunami géopolitique à venir : fin de la colonie d’apartheid nommée ’’Israël’’12 octobre 2021
La présentation high-tech d'Israël à l'exposition de Dubaï cache la brutalité de l'occupation9 octobre 2021
Pourquoi le discours d'Abbas fait pâle figure en comparaison du fusil d'Arafat à l'ONU6 octobre 2021
Comment la propagande israélienne s'insinue dans votre divertissement quotidien sur Netflix : La déshumanisation et la désinformation de FaudaEgypte
Histoire
Badia Benjelloun
7 juillet 2013