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Monde Arabe - 6 mars 2011
Par Badia Benjelloun
Le 9-10 Thermidor de l’An II – 27 juillet 1794- Robespierre et ses compagnons du Comité de Salut Public sont saisis et exécutés sans jugement. Très rapidement, la Convention devenue thermidorienne a entrepris le démantèlement des acquis révolutionnaires et une répression sans pareille a éliminé tous les soutiens de la politique jacobine. Gracchus Babeuf, qui fut de ceux à avoir désavoué la dictature gardienne de la Révolution des coups des ennemis de l’extérieur, les monarchies européennes, et de l’intérieur, les bourgeois et les royalistes, mise en place par l’Incorruptible, a alors compris qu’il avait concouru à l’édification d’une construction tout opposée et pas moins funeste au peuple. La Constitution de 1993 sous les coups de la Réaction sera abandonnée.
Babeuf écrira dans le numéro du 18 décembre 1794 de son journal "le Tribun du Peuple" :
« Je vous déclare que mon caractère de Républicain ne me laisse pas quitte de m’escrimer contre vous de la plume, je vous poursuivrai du glaive. Je vous déclare que le titre seul de principes éternels, et la sanction par le Peuple, des maximes de la Déclaration des Droits, me vaut de forme suffisante pour les reconnaître sacrées et inattaquables. Je vous déclare que, ceci posé, je regarde comme d’obligation à tout républicain le précepte de l’article 27 de cette déclaration : Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres. Je déclare donc que le premier mandataire du Peuple qui osera proposer le renversement de la Déclaration des Droits et de l’Acte Constitutionnel, JE LE POIGNARDE… au Sénat, chez lui, dans les rues, partout : il ne m’importe. »
Depuis le début de la récente Intifada arabe initiée par le geste de Mohammed al Bouazizi, le Professeur Youssef Al Qardaoui, Président de l’Union Internationale des savants musulmans s’est adressé aux peuples opprimés arabes, tout d’abord au travers d’invocations divines au verbe très puissant et mobilisateur très émouvantes afin qu’Il leur assure Sa protection et les délivre de leurs pharaons respectifs. Puis, tout au long des semaines écoulées, ses appels se faisaient plus incisifs et revêtaient l’allure de recommandations pour l’action.
Le 21 février 2011, le Docteur Youssef Al Qardaoui expose solennellement aux armées des peuples opprimés leur obligation morale et religieuse de mettre à bas les systèmes et les régimes de domination. Il condamne explicitement la rapine du clan Qadafi et ses crimes, en particulier l’usage de frappes aériennes contre le peuple libyen. Il invite à la désobéissance civile et à la mutinerie les éléments de l’armée libyenne. Enfin, il déclare licite
religieusement de débarrasser le monde du dictateur sanguinaire et encourage qui le peut à l’exécuter au plus vite.
Au cours de son prêche du 4 mars depuis le Maydan Tahrir du Caire, devant plus d’un million d’Égyptiens venus à la prière du vendredi, il énonce le principe de la souveraineté exclusive du Peuple face à ses dirigeants qui ne peuvent se concevoir que comme délégués et mandataires.
Cheikh Qardaoui n’écrit pas ses fatwas (du verbe "fata", émettre des avis en réponse à une question, ici religieuse) sur des feuillets rédigés dans une cave pour une publication restreinte comme Gracchus Babeuf, mais les émet à partir d’une tribune depuis laquelle il est écouté par des centaines de millions de téléspectateurs d’Al Jazeera.
Youssef Qardaoui invoque l’Être Suprême, comme Maximilien Robespierre avant lui, mais au nom d’un Livre ancien qui date du 7ème siècle de l’ère chrétienne. Il y puise la prescription de la nécessaire justice pour les hommes à réaliser ici-bas.
En termes de guerre asymétrique, posons-nous la question de savoir qui dispose de l’arme la plus puissante ici ?
La possession des technologies les plus modernes et les plus meurtrières achetées au prix fort, celui du pétrodollar jamais bénéfique à la région productrice, de la dette et de la corruption qui entache toujours ces transactions, à des nations étrangères marchandes d’armes peut-elle garantir la victoire contre de simples corps humains qui s’exposent avec leurs seules voix et force de leur poumon ?
À l’évidence, non.
Ben Ali a fui sous les huées de son peuple.
Moubarak a dû céder sous les clameurs du sien.
Dans tous les cas les soulèvements des peuples arabes se font sous un signe et un slogan communs, "Silmyah, Silmyah", soit pacifique.
Qadafi et sa clique disposent certes de l’aide du gouvernement algérien et de sociétés de sécurité dites privées estampillées par l’entité sioniste mais la détermination du peuple qu’il a subjugué de sa rhétorique orwellienne, "la République libyenne est d’essence populaire donc le peuple n’a rien à dire", et de sa répression illimitée. Mais la ferveur révolutionnaire populaire est telle que leurs jours sont de toutes les façons comptés.
Ce sont soixante milliards de dollars US que la famille Séoud a promis au complexe militaro-industriel étasunien pour le sauver d’une débâcle financière certaine plus que pour la menace iranienne alléguée. Cette manne ne va pas la protéger de la colère du peuple qu’elle contrôle depuis 1938, à la faveur d’une conquête meurtrière qui fit 500.000 victimes en moins de trente ans et l’éviction des Hussein par les Britanniques du Hijaz au début du siècle dernier.
Voici que l’octogénaire prince régnant, après une absence de plus de trois mois entre des soins aux US(a) et une longue convalescence au Maroc, le premier camp de vacances des Séoud depuis la guerre civile libanaise, sous la pression populaire, annonce qu’il va entrouvrir les 450 milliards de dollars de réserve et en consacrer un petit dixième pour améliorer les conditions de vie de ses vingt-cinq millions de sujets. Les promesses paternalistes, sans doute vides de contenu réel, largement répétées par les médias officiels, arrivent trop tard et sont de peu d’envergure. Les contestataires du régime autocrate tout entier dévolu au bien-être des sept mille membres de la famille régnante ont anticipé dès ce vendredi 4 mars le mouvement de protestations et de manifestations publiques prévues pour le 11 mars. Juste après la prière du vendredi, des petites manifestations exigeant la fin de la corruption et du gaspillage des biens publics, la libération des prisonniers politiques se sont spontanément organisées à Ryad.
De même à Hofuf dans la région de Qatil à l’est du pays (vidéo ci-dessus), un rassemblement vite dispersé a demandé la libération du réformateur religieux cheikh Taoufiq Amir qui a demandé lors de son prêche du 25 février que le royaume devienne une monarchie constitutionnelle.
Le taux du chômage dans la péninsule arabe est de 20% mais il affecte de façon plus prononcée la population immigrée composée de 8 et 9 millions d’individus beaucoup moins payée que l’indigène et qui subit depuis la "saudification" décidée dans le milieu des années 1990 une discrimination dont rêve l’extrême-droite en Europe vis-à-vis de ses allogènes. La pratique très répandue dans certains pays de l’Orient arabe, y compris dans l’entité sioniste, de maltraitance des travailleurs immigrés, privés de leurs papiers et dépourvus de toute protection juridique, évoque l’esclavagisme qui n’a été officiellement aboli qu’en 1968 ( les US(a) ne sont pas meilleurs en matière des droits puisque les droits civiques n’ont été appliqués aux afro-américains qu’après 1965). Les habituels hâbleurs occidentaux tout défenseurs du droit-de-l-hommisme ont préféré focalisé leurs efforts sur le Darfour, appliquant à la lettre la doctrine d’Oded Yenon de fragmentation des pays arabes plutôt que sur ce problème des travailleurs migrants qu’amplifie la crise économique financière occidentale qui jette sur les routes de plus en plus de monde.
L’annonce faite de l’affectation des 35 milliards comme mesure préventive contre l’Intifada grondante aux portes des palais des Séoud prouve s’il en était besoin que l’immunité conférée par la protection étasunienne est dérisoire. Plus que dérisoire, pitoyable. À ce titre, il reste quelques individus réfractaires à cette réalité de l’effritement de la puissance hégémonique des US(a). Ceux-là sont prêts à croire qu’ils assistent à une mise en scène de la CIA doublée de l’entremise du Mossad. Au Yémen, le roitelet Abdallah Ali Saleh lui-même a dû s’en excuser auprès de ses autorités suzeraines qu’il avait injustement et publiquement soupçonnées.
Dans le contexte actuel des combats et guerres asymétriques où le plus fort en armes perd les guerres sinon les batailles, il est terrifiant de voir que le Pakistan consacre sept fois plus de ressources pour son armement que pour éduquer ses enfants. Selon un rapport de l’Unesco publié en février 2011, si seulement le quart de l’argent perdu à acquérir un armement qui ne prétend pas défendre le territoire contre la réelle invasion des Us(a) qui commettent dans les zones frontières avec l’Afghanistan une occupation à peine déguisée à l’enseignement, tous les enfants accéderaient à l’école primaire. En 2007, 50% des enfants pauvres entre 7 et 16 ans n’ont jamais fréquenté l’école, soit 7,3 millions de jeunes pakistanais.
Le gouvernement irakien de l’occupation n’estime pas urgent pas de rétablir les infrastructures élémentaires de voirie et de communication endommagées par la première guerre de 1991, plus ou moins bien réparées sous l’embargo de l’Irak et détruites à nouveau en 2003. Mais est très préoccupé d’acheter en gageant les futurs gains pétroliers de la pacotille de guerre étasunienne. Pacotille dont il est sûr qu’elle sera totalement inutile en cas de guerre conventionnelle. De tels marchés de gré à gré servent les intérêts des maîtres étasuniens et sont le meilleur véhicule pour encaisser des commissions. Maliki ne perd rien à attendre, les masses réclament son départ et la fin de la corruption comme mode de gouvernement.
L’une des questions les plus importantes à régler par les peuples arabes qui sont en cours de réfection de leur avenir social est celle du budget défense anormalement hypertrophié dont la maîtrise échappe totalement à leurs responsables politiques qui décident de leur équipement sous la férule des fabricants. Depuis plus de trente ans, combien d’hôpitaux, d’écoles, d’instituts de recherche ont été soustraits des programmes du Maroc et de l’Algérie au profit d’une improbable guerre des sables pour les confins du Sahara Occidental. De la spoliation de leurs peuples, les élites politiques de ces deux pays auront à répondre.
Robert Gates, chef du Pentagone sous deux Présidents, fort des échecs répétés de l’armée US en Afghanistan et en Irak, a refusé publiquement une quelconque implication militaire des US(a) en Libye. Il s’est opposé au vote unanime du Sénat emmené par une Secrétaire d’État qui se paie à peu de frais une posture de ménager "pour cause humanitaire" une zone interdite de survol, tout simplement parce qu’il implique une attaque de sites terrestres qui sera l’occasion de l’ouverture d’un nouveau front. Cette décision, fondée sur une vision pragmatique et non idéologique néoconservatrice et likoudnik, fait réfléchir plus d’un potentat sévissant sur le continent arabe actuellement soumis à de profonds mouvements de glissement tectonique. Comment parer au raz-de-marée incoercible ? Anders Rasmussen, Secrétaire Général de l’OTAN, lui emboîte le pas : pas d’intervention militaire otanesque sur la Libye.
Car pas une entité arabe n’est épargnée, témoignant bien de l’organicité vivante de ce monde arabe proclamé archaïsme à ranger au placard des idées vétustes par l’alerte propagande sioniste (1).
L’opuscule ‘Le système totalitaire’ de Hannah Arendt est bourré d’erreurs théoriques, mais on lit une remarque qui reste juste. L’énergie dépensée par un système qui gouverne grâce à la peur et au mensonge devient de plus en plus importante avec le temps. Perpétuer la tromperie à une telle échelle devient impossible. Le tissu sécrété par l’appareillage de l’État menteur s’étire et se fragilise, à se rompre.
L’Égypte était plus importante que l’Irak dans le jeu de domination d’Israël sur le monde arabe. Elle a été le premier pays à avoir obtempéré aux injonctions de normalisation avec Israël préparées par Hassan II et Shimon Pérès lors des nombreuses visites rendues par ce dernier au cours des chasses du monarque à Ifrane.
Désormais la politique de l’Égypte se décide à ciel ouvert tous les vendredis sur la plus grande agora qui se puisse imaginer. Là se font et se défont les ministres.
Et pour l’entité sioniste, ne serait-ce qu’un peu de démocratie dans un État arabe nuit gravement à ses intérêts et constitue un danger existentiel.
(1) Voir entre autres, les livres suivants :
- Albert MEMMI, "Portrait d'un colonisé", Folio.
- Hamid BERRADA et Guy SITBON, "L'Arabe et le Juif : dialogue de guerre", Plon.
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