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Algérie -

Le Cheikh Abderrahmane Chibane tel que je l’ai connu

Par

« Il est parmi les croyants des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement vis-à-vis de Dieu. Certains d’entre eux ont déjà accompli leur destin ; d’autres attendent leur tour. Mais ils n’ont jamais rien changé à leur comportement. » Sourate El Ahzab, verset 23

Le Cheikh Abderrahmane Chibane s’est éteint ce vendredi 12 août 2011 à l’âge de 93 ans dès suite d’une longue maladie. Le Cheikh emporte avec lui tout un pan de l’histoire algérienne, et sa disparition sonne le glas de l’Association des Oulémas dont il était l’un des derniers représentants. Il aura été jusqu’au bout fidèle à l’enseignement de son maître Ibn Badis qu’il a aujourd’hui rejoint. Dans ses locaux de l’Association des Oulémas situé à Hussein Dey, le Cheikh Chibane demeurait l’un des derniers témoins d’une histoire qui avait débuté en 1931 au Cercle du Progrès à Alger. Lorsque nous entrions dans les pièces principales du siège de son association, plusieurs portraits ornaient les murs, ceux du Cheikh ibn Badis et El Ibrahimi, ainsi que ceux de ses compagnons disparus ; le Cheikh Chibane nous donnait cette impression d’être le fidèle gardien d’une mémoire qu’il voulait absolument garder vivante.

Le Cheikh Abderrahmane Chibane tel que je l’ai connu

Chaque semaine et ce depuis plusieurs années, il tenait son éditorial dans l’hebdomadaire El Bassaïr qu’il avait contribué à relancer, et ce malgré la vieillesse, la maladie et les moyens dérisoires dont il disposait. Le Cheikh Abderrahmane Chibane voulait maintenir flamboyante la flamme de l’islah qui avait permis en son temps, la renaissance civilisationnelle du peuple algérien et l’avait sauvé des funestes projets du colonialisme français. La doctrine du combat pour la résurrection que mena le Cheikh Chibane et le Cheikh Ibn Badis avant lui, était simple « ce qui constitue une nation, c’est la foi, la culture, la fierté du passé. Tant qu’un peuple ne les a pas perdues, il est libre même s’il est enchaîné » (1). Car pour lui, le combat d’Ibn Badis était toujours d’actualité et devait être poursuivi dans une Algérie en proie aux tourments, aux doutes et menacée de nouveau par un néo-colonialisme des plus arrogants.

Si son parcours dans l’Algérie indépendante est connu, en raison des fonctions qu’il fut amené à exercer à la tête du Ministère des Affaires Religieuses dans les années 80, son passé et ses activités qui furent les siennes au sein de l’Association des Oulémas, du temps de l’Algérie coloniale le sont moins.

Le Cheikh Chibane appartenait à cette génération d’étudiants formée par les pionniers de l’Association des Oulémas et qui devait constituer par la suite sa jeune garde, permettant par la même occasion au mouvement réformiste de survivre à la terrible épreuve du décès du Cheikh Ibn Badis, ainsi qu’à l’internement du Cheikh Bachir El Ibrahimi. Les figures de proue de cette seconde génération de cadres Oulémas officièrent pour la plupart au sein de l’Institut Ibn Badis à Constantine, à l’instar du Cheikh Ahmed Hamani, Cheikh Abellatif Soltani, Cheikh Ahmed Reda Houhou et bien sur du Cheikh Abderrahmane Chibane.

Le Cheikh Abderrahmne Chibane anima de sa plume et de son verbe toute cette seconde vie de l’Association des Oulémas qui fut interrompue par la Révolution et la répression que menèrent les forces colonialistes. Il ne fut pas simplement l’érudit religieux, dispensant des cours théologiques, il fut aussi un des protagonistes de cette vie culturelle de langue arabe à laquelle le Cheikh Bachir El Ibrahimi entendait rendre toute sa noblesse. Abderrahmane Chibane participa régulièrement aux débats qui agitaient la presse nationaliste de langue arabe et qui avaient pour thématique essentielle, la production littéraire. Ses cours à l’Institut Ibn Badis étaient particulièrement prisés par les étudiants qui aimaient écouter le Cheikh Chibane, accompagné de Réda Houhou, discourir sur la littérature égyptienne ou leur conter les nouvelles d’un Machreq alors en pleine effervescence. Il lui arrivait également, de commenter à ses élèves, les journaux arabes qu’il se procurait dans un kiosque jouxtant l’Intitut Ibn Badis, et qui était tenu par un militant PPA originaire d’Oued Zenati répondant au nom de Mohamed Salah Rahab.

Le Cheikh Abderrahmane Chibane mena pendant plus de 70 ans durant le combat qui fut la raison d’être de l’Association des Oulémas, celui pour un Islam purifié, et la renaissance de la langue arabe. Lorsque je vis pour la dernière fois, le Cheikh Chibane au printemps 2008 en compagnie d’un de ses anciens étudiants de l’Institut Ibn Badis, le journaliste Saadi Beziane, il nous rappela et commenta le poème du Cheikh Ibn Badis « Cha3b El Djeza’iri » et insista particulièrement sur l’un de ses vers, où il est dit que celui qui affirme que le peuple algérien est mort ou a dévié de son origine n’est qu’un menteur. La magistrale leçon de l’histoire algérienne, affirma t-il, est de croire que ce peuple est inexistant, mort, mais celui-ci vit et vivra tant qu’il restera attaché à sa foi et sa personnalité.
Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons.

(1) Bennabi Malek « Ben Badis le mystique » Révolution Africaine n°219 du 30 avril 1967) in Bennabi Malek, Mondialisme, Dar el-Hadhara, Alger, page 120-124.

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