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Liban -

Le martyrologe libanais (Part2/2)

Par

1- Walid Joumblatt ou la 2ème mort de Kamal Joumblatt
Kamal Joumblatt a été assassiné deux fois, la première fois, physiquement, le 17 mars 1977, la deuxième fois, moralement, par les virevoltes incessants de son fils Walid, au point d’y glaner le qualificatif peu reluisant de «derviche tourneur» de la politique libanaise, ridiculisant le glorieux parti fondé par son père, le Parti Socialiste Progressiste (PSP), pour en faire le «parti du saltimbanque permanent». Kamal, le fondateur du parti socialiste libanais, avait conféré à sa communauté druze une surface politique sans rapport avec son importance numérique.

Le martyrologe libanais (Part2/2)


Photo de la statue érigée sur la Place des Martyrs à Beyrouth, en hommage aux 20 Libanais chrétiens et musulmans pendus par les Turcs alors qu'ils menaient le combat pour l'indépendance, sous un angle de vue qui permet de voir les murs de la ville criblés de balles.

D’une sobriété ascétique, ce Prix Lénine de la Paix vivait au quotidien ses convictions, avec pour interlocuteurs habituels des êtres d’un grand dépouillement, Nehru et Gandhi (Inde), Tito (Yougoslavie) et Nasser (Egypte), des figures de légende du mouvement des non alignés.

Le fils, Walid, dont la jeunesse tumultueuse a, par moments, été fascinée par les pas cadencés des soldats de plomb, sera un habitué de la bonne chair et de la bonne chère, des stupéfiantes soirées arrosées des palaces parisiens, de la dive bouteille et de la Dolce Vita italienne.

Un des rares chefs d’un parti socialiste du monde arabe, Walid, aura été le principal partenaire du milliardaire libano saoudien Rafic Hariri, le principal bénéficiaire de sa manne, la caution affairiste du clientélisme syro haririen. Commensal régulier des dirigeants syriens, leur homme lige au Liban, au-delà des nécessités de la realpolitik, au même titre d’ailleurs que l’ancien premier ministre assassiné, Walid Joumblatt mettra vingt six ans pour se souvenir que son père avait été assassiné dans son fief montagneux du Chouf, à proximité d’un barrage syrien.

L’homme qui avait souhaité publiquement que l’Irak soit le cimetière de ses envahisseurs américains, un nouveau Vietnam, se ravisera brusquement dans ce qui apparaîtra rétrospectivement comme la plus grande bévue stratégique de sa carrière, dont il en pâtira désastreusement en termes de crédit moral. Pariant sur le triomphe des Américains, il se placera d’emblée dans leur sillage, à la pointe du combat anti-syrien, réservant quotidiennement ses philippiques à Damas, son lieu de pèlerinage hebdomadaire pendant près de vingt ans.

Rompant avec ses anciens alliés de la guerre, secondé par des transfuges de la gauche mutante néo conservatrice, -l’ancien trotskiste mondain Samir Frangieh et le mollasson communiste Elias Atallah-, il prendra la tête d’une coalition hétéroclite regroupant ses plus farouches ennemis d’hier, notamment Samir Geagea, le chef des milices chrétiennes, l’ancien compagnon de route d’Israël et l’un des grands saigneurs de la guerre intestine libanaise et leur principal bailleur de fonds, Rafic Hariri pour constituer le «Club Welch», du nom du sous secrétaire d’état américain David Welch qui téléguidait leurs activités.

A l’instigation de leur tuteur américain, le trio avait parié implicitement sur une défaite du Hezbollah durant la guerre de destruction israélienne du Liban, en juillet 2006. Au-delà de toute décence, il se lancera, dès la fin des hostilités, dans le procès de la milice chiite aux cris «Al-Haqiqa» (la vérité), plutôt que de rechercher la condamnation d’Israël pour sa violation des lois de la guerre et la destruction des infrastructures libanaises.

Un cri de guerre curieusement popularisé par la nouvelle pasionaria de la scène libanaise, la ministre maronite Nayla Mouawad, une «veuve de président martyr», une de plus, paradoxalement, plus soucieuse de démasquer les assassins de Rafic Hariri que ceux de son propre époux, l’ancien Président René Mouawad, tué dans un attentat le 22 novembre 1990. Nayla Mouawad, l’un des plus assidus visiteurs hebdomadaires de Damas au point de décrocher le cruel sobriquet de «Oum Yaaroub», par référence à ses fréquents huis clos politiques avec l’ancien proconsul syrien au Liban le Général Ghazi Canaan, suicidé depuis, fera assaut du même empressement auprès de Jeffrey Feltmann, le proconsul américain au Liban, dans la foulée de son retournement politique, bel exemple d’esprit civique pour l’édification des générations futures, pitoyable illustration d’une flexibilité morale si parfaitement caricaturale d’une démocratie mercantile si préjudiciable au Liban.

Coqueluche des médias occidentaux et de l’Internationale Socialiste, la courroie diplomatique sur le plan international du parti travailliste israélien, Walid Joumblatt interrompra brutalement sa lévitation à la suite de deux revers qui retentiront comme un camouflet, le faisant douter de la pertinence de sa démarche. Le retour sur terre sera douloureux : la capitulation en rase campagne devant le Hezbollah lors de l’épreuve de force que son adjoint mal avisé, Marwane Hamadé, son âme damné, avait engagée en Mai 2008 contre l’organisation chiite, ainsi que la libération par ce même Hezbollah un mois plus tard du druze pro palestinien Samir Kantar, le doyen des prisonniers arabes en Israël. Ces deux faits résonneront comme une trahison de ses idéaux antérieurs au point d’en faire la risée de l’opinion militante du tiers monde.

Prenant acte de cet état des choses, il amorcera alors un lent processus de rétropédalage. A coups de réajustements successifs et de valses hésitations, il cherchera à se recentrer, c’est à dire à se démarquer de ses nouveaux amis, pour reprendre ses marques auprès de ses anciens amis, en un mot d’opérer une nouvelle trahison en douceur. Sa plus récente saillie constitue, dans sa formulation tortueuse, ses dits et ses non dits, un modèle du genre. Elle se fera, sans surprise, contre ses plus récents alliés, les chrétiens maronites et ce nouveau retournement figurera dans les annales politiques libanaises comme un cas d’école des alliances rotatives propres au système Joumblatt. Elle achèvera néanmoins de désorienter ses plus fidèles thuriféraires occidentaux, notamment la presse française.

Se parant de la qualité de novice qu’il n’est plus depuis belle lurette, celui qui passe pour être l’un des plus coriaces crocodiles du marigot politique libanais a accusé sans crainte du ridicule ses nouveaux alliés maronites, qu’il avait farouchement combattu pendant vingt ans, d’appartenir à «un genre vicié» et d’avoir cherché à l’entraîner dans un conflit avec la communauté chiite, par allusion à «l’affaire du réseau des transmissions autonome» du Hezbollah. Dans la satisfaction de ses objectifs, l’homme, il est vrai, ne s’embarrasse guère de rigueur. L’accusation, lancée au cours d’un meeting électoral tenu dans son fief de la montagne druze du Chouf, a été portée à la connaissance de l’opinion publique, d’une manière oblique, par une fuite opportune, dans une bande vidéo diffusée par une chaîne satellitaire le 20 avril 2009.

Dans le cas d’espèce, M. Joumblatt n’hésitera pas à prendre quelques libertés avec la vérité historique dès lors que son récit sert la cause de son rapprochement avec le Hezbollah et constitue une justification a posteriori de son retournement. La confrontation entre le Hezbollah et Walid Joumblatt avait été, en fait, initiée par son conseiller politique Marwane Hamadé, à l’époque ministre des télécommunications, qui cherchait à neutraliser le réseau codé des transmissions militaires de la milice chiite, engageant l’épreuve de force en s’assurant du soutien préalable de son ami atlantiste, Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères. Elle a débouché sur une humiliante déroute militaire de Walid Joumblatt et donné le coup de grâce à sa flamboyance.

En trente ans de carrière politique, Walid Joumblatt a considérablement grossi son capital financier et dilapidé d’autant son crédit moral. L’ancien chef de file de la coalition palestino progressiste de dimension internationale est désormais perçu comme un roitelet druze à l’envergure d’un politicien local, réduit au rôle peu glorieux du chef féodal d’une communauté ultra minoritaire, volant régulateur d’une coalition occidentale à bout de souffle, dans l’attente d’un problématique rôle d’appoint au Hezbollah. Celui qui fut longtemps l’homme central du jeu politique libanais est désormais un homme décentré, un homme excentré, dont les dérives idéologiques et l’opportunisme indécent en ont fait un personnage excentrique. En son for intérieur, l’homme, d’une intelligence certaine, doit certainement regretter, à n’en pas douter, ce parcours curviligne qui pèsera lourd dans le jugement que l’histoire portera sur son bilan.

2- Le Clan Hariri : Perinde ad cadaver. L’obéissance à la mort.

Rafic Hariri n’est pas l’unique martyr du Liban (1) mais tout se passe dans l’imaginaire occidental comme s’il en était le martyr exclusif, au mépris de l’histoire douloureuse du pays, sans rapport avec sa véritable contribution à la précarisation de la vie économique nationale. Unique dirigeant libanais à monopoliser l’attention de la justice pénale internationale, Rafic Hariri est aussi l’unique dirigeant libanais à bénéficier d’une journée spéciale de recueillement du fait de la volonté son ancien factotum, l’actuel premier ministre Fouad Siniora.

Cinq ans après son assassinat, sa voix et son image saturent les ondes via son empire médiatique Future TV et Radio Orient, son nom strie ciel et terre, l’aéroport international de Beyrouth Khaldé, chargé d’histoire et de légende, de même que la grande artère bordant le front de mer de la capitale libanaise. Fleuri quotidiennement de dizaines de roses, son mausolée trône sur la place centrale de Beyrouth, la bien nommée «Place des Martyrs».

Il occulte ainsi symboliquement les autres martyrs de l’indépendance libanaise, comme une insulte à la simplicité du rite funéraire wahhabite dont il se réclame, comme une insulte aux sacrifices de ses autres compatriotes, souvent de qualité, morts pour leur pays, comme une insulte au fardeau de la dette publique de l’ordre de 40 milliards de dollars qu’il a légué à ses compatriotes, une démonstration ostentatoirement indécente envers les familles des cent mille victimes de la guerre civile interlibanaise.

Perinde ad cadaver. L’obéissance à la mort : La servitude monarchique est la marque de fabrique de la famille Hariri, son univers indépassable, son impératif catégorique absolu, la source de son bonheur comme de son malheur. Jamais famille politique libanaise n’a été aussi ombiliquée à une puissance étrangère, aussi redevable de ses heurs et malheurs à la famille royale saoudienne, aussi tributaire de ses foucades et gracieusetés, sans la moindre autonomie, sans la moindre retenue, sans la moindre imagination créatrice, sans la moindre respiration régénératrice, sans la moindre rebuffade salvatrice. Dans sa rigoureuse application de la stricte orthodoxie wahhabite, le clan Hariri en paiera le prix fort avec l’assassinat de l’ancien premier ministre, le 15 février 2005, quinze jours après la chute aux mains d’une coalition kurdo chiite de Bagdad, l’ancienne capitale de l’empire abbasside, un des hauts lieux de l’Islam sunnite.

Saad Hariri : Le fait du prince saoudien a bouleversé sa vie, propulsant cet ancien compagnon festif des princes d’Arabie, ces rois de la nuit réputés pour leurs frasques en Europe, sur le devant de la scène politique, en faisant même le chef de la coalition gouvernementale pro-occidentale, redoutable honneur qu’il tente d’assumer avec plus ou moins de bonheur, tant bien que mal, plutôt mal que bien. La modification des lois de la progéniture en sa faveur afin de lui permettre de contourner son frère aîné Baha’ pour succéder à son père n’a pas pour autant induit une transfiguration de cet héritier d’un naturel béat. Les lois successorales sont sans effet face au poids de l’hérédité. Elles sont de peu de poids face aux lois de l’hérédité.

Tel qu’en lui-même l’éternité le figera, l’homme au verbe sommaire, à la culture rudimentaire, à l’élocution pâteuse traîne pitoyablement, tel un boulet, sa piteuse prestation lors de sa première épreuve de feu, la guerre de destruction israélienne du Liban, en juillet 2006. Chef de la majorité parlementaire pro-occidentale, député d’une capitale libanaise restaurée par son propre père, Saadoune, ainsi que le désignent ses détracteurs, détalera au premier coup de feu vers l’Arabie saoudite, son pays de prédilection, désertant ce haut lieu de la résistance arabe, laissant ses électeurs et ses compatriotes à leur propre sort dans Beyrouth pilonnée par l’aviation israélienne, glanant au passage le sobriquet de «planqué de Beyrouth», un sobriquet dépréciatif qui colle d’une manière indélébile à l’héritier depuis ce fait d’armes peu glorieux.

La mission principale qui lui avait été assignée par ses parrains, --faire élire un pro saoudien à la présidence de la République libanaise, l’ancien député Nassib Lahoud, en l’occurrence le beau frère du Roi Abdallah d’Arabie et la neutralisation du Hezbollah à l’influence grandissante-- tournera court, en dépit de la constitution d’une milice privée sunnite à Beyrouth pour faire pièce à la milice chiite et le financement de groupes islamistes sunnites notamment dans le camp palestinien de Nahr el Bared (Nord Liban). Cet échec lamentable affectera considérablement son crédit et posera la question de son aptitude politique à la direction des affaires et de sa capacité manoeuvrière.

Face aux caciques libanais, le jeune héritier sera dès lors ballotté par les appétits contradictoires de ses alliés. Son unique raison d’être paraît désormais s’être réduite à l’organisation de la grande manifestation annuelle commémorative de l’assassinat de son père, le 15 février. Un hochet dérisoire. Maigre consolation pour un présumé chef que ses parrains américano saoudiens destinaient au rôle de grand conquérant de la primauté sunnite sur la vie politique libanaise. Ses échecs répétitifs projetteront dans l’opinion publique l’image d’un homme dérisoire, et, malgré sa force de frappe financière, l’image d’un homme de dérision. L’histoire est impitoyable avec les perdants.


Fouad Siniora : L’héritage Hariri fait l’objet d’une âpre rivalité feutrée tant avec le premier ministre Fouad Siniora qu’avec la veuve du premier ministre assassiné, la belle-mère de Saad. Fouad Siniora, bien qu’il s’en défende, va savourer avec un délice dissimulé les piètres performances de l’héritier Hariri, dont il tirera habilement profit pour valoriser ses propres compétences. En quatre ans de responsabilités gubernatoriales, le terne directeur financier du groupe éponyme a pris goût au pouvoir, et, à l’ombre des coulisses, il préfère désormais les projecteurs de l’actualité.

Mais le profil bas qu’il affectionne face aux fauves de la vie politique libanaise n’est qu’apparence. L’ancien gestionnaire des comptes de Rafic Hariri est en effet détenteur des lourds secrets sur les circuits de lubrification des rapports politiques du milliardaire. La maîtrise de ce dossier, particulièrement de la liste des émargements, lui a conféré une valeur dissuasive. Il en est conscient. Ses obligés sans doute aussi. L‘excès d’obséquiosité qu’il affecte tant relève de la comédie du pouvoir.

Au choc frontal, il préfère la dissimulation, la manœuvre oblique, un véritable mode de fonctionnement pour cet homme sans relief, au physique ingrat. Il en a été ainsi de la saisine du conseil de sécurité de l’ONU et de la ratification de la convention dessaisissant le pouvoir libanais de ses prérogatives pour la conduite de l’enquête pénale et la mise sur pied du tribunal spécial sur le Liban et le procès Hariri (2).

Il en a été de même avec la nouvelle bataille électorale de Saïda de juin 2009. Alors que l’Egypte lançait une campagne internationale de criminalisation du Hezbollah libanais, à deux mois des élections libanaises, à la grande satisfaction du président israélien Shimon Pérès qui y voyait les prémisses d’une guerre sunnite chiite, Fouad Siniora, contre toute attente, faisait acte de candidature à Saïda, la ville natale de son patron. Secondé par la propre sœur du premier ministre assassiné, Mme Bahia Hariri, l’homme cherche à croiser le fer avec le légataire politique du nationalisme arabe de filiation nassérienne, M. Oussama Saad, héritier d’une famille emblématique dont deux membres ont été victimes d’attentats, son propre père, Maarouf Saad, tué dans une embuscade en février 1975, à deux mois du déclenchement de la guerre civile interlibanaise, et son frère Moustapha qui y perdra la vue.

L’objectif sous jacent de cette épreuve de force inter sunnite est d’écraser toute opposition sunnite à l’hégémonie saoudienne, à travers son chef mythique, la famille Saad, de maintenir le leadership sunnite libanais sous la coupe wahhabite et, au-delà, de laver l’affront que l’allié objectif de la famille Saad, le chef du Hezbollah chiite lui avait infligé, trois ans plus tôt, en 2006, à lui, et à travers lui, à son grand parrain, l’Arabie saoudite.

Face à un Hassan Nasrallah, impérieux, en dépit de la mort de son fils Hadi au combat, faisant front à Israël qu’il humiliera par sa riposte balistique et sa maîtrise de l’art de la guerre asymétrique, l’homme, avait, il est vrai, fait piètre figure, trois ans plus tôt, en juillet 2006, éclatant en sanglots devant les pertes infligées à son pays par Israël avec la caution de leur mentor commun, les Etats-Unis, révélant du coup sa duplicité et l’inanité de sa politique d’alliance avec le néo-conservatisme américain, se couvrant et couvrant de ridicule ses alliés de la coalition pro occidentale, s’inclinant enfin devant son rival chiite propulsé au firmament de la popularité panarabe.

Sous perfusion permanente occidentale à l’instar du palestinien Mahmoud Abbas, de l’irakien Noury al Malki et de l’Afghan Hamid Kharzaï, l’homme qui module ses discours d’une tonalité nationaliste arabe est en fait un des plus zélés préposés de l’ordre américano saoudien au Liban, et, sur le plan économique, un ferme partisan de la «stratégie du choc» pour la promotion du «capitalisme du désastre» pour le plus grand bénéfice d’un ultralibéralisme débridé, dont le projet immobilier SOLIDERE n’en est que l’illustration la plus outrageusement insolente (3).

A Saïda, trois ans après, dans cette ville sunnite gangrenée par l’intégrisme islamique que le courant wahhabite a nourri notamment à sa périphérie dans les camps de réfugiés palestiniens et Ain el Héloué et Miyeh Miyeh, pour neutraliser le verrou du ravitaillement stratégique du Hezbollah depuis Beyrouth vers le sud Liban, l’issue de la bataille déterminera largement l’avenir politique de l’ancien gestionnaire du prébendes haririennes, qui se vit d’ores et déjà comme un grand vizir passé à la postérité.


Nazek Hariri : La veuve n’a pas vocation à jouer les reines mères, mais se veut la gardienne du temple de la mémoire.

La légitimité chiraquienne lui revient de droit en sa qualité d’hébergeur de fait, via son fils Aymane, de l’ancien président de la République française, Jacques Chirac, et, de par la longue proximité de sa fille, Hind, avec le trône hachémite, elle dispose par ailleurs d’un important levier d’influence en Jordanie, siège de la plus importante banque arabe, l’Arab Bank, dont la famille Hariri détient partiellement la propriété, qui y gèrent d’importants projets immobiliers pour le compte du clan, notamment le quartier huppé d’Abdali dans la zone résidentielle d’Amman.

La photo de famille popularisée à la suite du récent mariage ancillaire de Hind avec un membre de sa garde rapprochée au terme d’une romance de la veine de lady Chatterley ne doit pas faire illusion. La rivalité feutrée entre l’héritier politique et la gardienne du temple se révèle subrepticement au détour des gestes symboliques de Nazek sur la scène libanaise notamment sa discrète satisfaction de l’habileté manoeuvrière du Hezbollah, à contre courant des positions de son beau fils sur le mouvement chiite vainqueur d’Israël.

La veuve sera ainsi créditée de la protection aérienne accordée par la France au Hezbollah lors de la première apparition publique de Hassan Nasrallah pour la célébration de la «victoire divine» contre Israël, en novembre en 2006. Voulant faire amende honorable à la suite de son alignement inconditionnel sur Israël et les Etats-Unis, durant la guerre destructrice israélienne du Liban de juillet 2006, redoutant un raid aérien israélien contre le chef chiite, dont les chancelleries occidentales craignaient qu’il n’entraîne, par contrecoup, l’éradication politique et physique de la famille Hariri du Liban, Jacques Chirac avait alors dépêché une escadrille aérienne pour assurer la protection de l’espace libanais durant le déroulement des festivités de la victoire.

L’amateurisme et le dilettantisme de son beau fils et de ses alliés dans l’épreuve de forces contre le Hezbollah, en Mai 2008, lors de l’affaire dite du «réseau autonome des transmissions» de la milice chiite et la monumentale raclée politique et militaire qui s’en est suivie pour la coalition pro occidentale, a provoqué un fort regain de sympathie en sa faveur au sein des «déçus du haririsme». Nazek, à qui l’on prête le projet de retourner à Beyrouth au terme de cinq ans d’un veuvage lointain à Paris en vue de récupérer la résidence de l’ancien premier ministre de Koraytem, paraît avoir intégré dans son raisonnement, contrairement au premier ministre Fouad Siniora, l’importance stratégique que revêt Saïda pour le Hezbollah, dont le chef lieu du sud Liban en constitue la base arrière de la résistance nationale anti-israélienne, le point de jonction des voies de ravitaillement du sud Liban depuis le quartier général du sud de Beyrouth.

Par touches successives, Nazek Audi Hariri accrédite ainsi un profil de «sage» dans le paysage politique libanais, à l’opposé de la turbulente posture de son beau fils, et suggère ainsi qu’en dépit des fastes du pouvoir, elle n’a pas complètement gommé de sa mémoire les souvenirs ténus de ses lointaines racines palestiniennes.

Natif d’Arabie saoudite, le pays de son premier choix qu’il assure avoir quitté à contre cœur pour répondre à l’appel du devoir à Beyrouth, binational libano saoudien, plus saoudien que libanais, Saad Hariri est un cas parfait d’alibi saoudien, la caution sunnite de la stratégie hégémonique occidentale sur le Liban. Son père a payé de sa vie le prix de cette servitude.

Dans la première bataille électorale libanaise de l’ère post Bush, le jeune milliardaire a mis tout son poids financier dans la balance, ainsi que celui de son bailleur de fonds saoudien, n’hésitant pas à affréter des charters entiers pour draguer le vote de la diaspora libanaise d’Europe, d’Australie et d’Amérique, et, sur le plan local, à inonder l’électorat d’une pluie de dollars, n’hésitant pas à mobiliser Hillary Clinton, la secrétaire d’état américain en personne, pour éviter une déroute qui serait préjudiciable à la poursuite de sa carrière (4).

Sur fond de prévarication électorale d’origine pétro monarchique, le démantèlement d’un réseau d’espionnage libanais au profit d’Israël au sud Liban, fief de la milice chiite, témoigne de la férocité de la bataille pour le leadership musulman au Liban, en même temps qu’il constitue une justification a posteriori de la détermination du Hezbollah de préserver son glacis stratégique en préservant l’autonomie de son dispositif de sécurité, un des éléments de son exploit militaire de juillet 2006.

La Libération, le 29 avril, trois jours après la visite Hillary Clinton à Beyrouth, de quatre généraux libanais hâtivement impliqués et arbitrairement incarcérés pour leur rôle présumé dans l’attentat anti-Hariri a retenti comme un coup de semonce contre le comportement abusif de la majorité pro occidentale dans l‘instrumentalisation de l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais, dans une enquête exclusivement à charge, au terme de quatre ans d’une instruction bâclée (5).

La désignation à la vindicte publique des quatre officiers supérieurs répondait au souci des dirigeants pro occidentaux de neutraliser des «témoins gênants» notamment le chef du service des renseignements le Général Jamil as-Sayyed, particulièrement avertis des dossiers de l’affairisme syro-haririen au Liban. L’instrumentalisation de magistrats libanais pour une besogne contraire à la souveraineté de la justice libanaise en vue de valider la piste syrienne dans l’assassinat de Rafic Hariri, une thèse soutenue par les puissances occidentales, notamment les Etats-Unis et la France, a desservi la cause de la justice internationale et de la magistrature libanaise, dont l’épilogue a fait l’effet d’un coup de massue, sur le plan psychologique, sur la coalition pro occidentale à un mois des élections législatives libanaises, couvrant de ridicule ces principaux chefs de file, notamment Saad Hariri et Walid Joumblatt.

Chef du clan américano saoudien au Liban, Rafic Hariri a été un exécutant majeur de la pantomime du Moyen-Orient, et, à ce titre, une victime majeure du discours disjonctif occidental, discours prônant la promotion des valeurs universelles pour la protection d’intérêts matériels, discours en apparence universel mais à tonalité morale variable, adaptable en fonction des intérêts particuliers des Etats et des dirigeants. Alors que la nouvelle administration démocrate du président américain Barack Obama tente de renouer le fil du dialogue avec l’Iran et la Syrie, il est à craindre que son rejeton, que les oracles prédestinent en cas de succès aux plus hautes charges gouvernementales libanaises, en dépit de son inexpérience, -du fait de son inexpérience ?- ne soit le guignol de la farce dont les dindons en seraient la cohorte des ses subventionnés… les veuves éplorées, les orphelins revanchards, tous ces mercenaires cupides et avides, les vampires des guerres picrocholines, toute la parentèle clientéliste du martyrologue parasitaire libanais.

L’histoire du Monde arabe abonde de ces exemples de «fusibles» magnifiés dans le «martyr», victimes sacrificielles d’une politique de puissance dont ils auront été, les partenaires jamais, les exécutants fidèles, toujours. Dans les périodes de bouleversement géostratégique, les dépassements de seuil ne sauraient se franchir dans le monde arabe sans déclencher des répliques punitives.

Le Roi Abdallah 1er de Jordanie, assassiné en 1948, le premier ministre irakien Noury Said, lynché par la population 10 ans après à Bagdad, en 1958, ainsi que son compère jordanien Wasfi Tall, tué en 1971, le président égyptien Sadate en 1981, le président libanais Bachir Gemayel, dynamité à la veille de sa prise du pouvoir en 1982, l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005, et l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto en 2007, enfin, constituent à cet égard les plus illustres témoins posthumes de cette règle non écrite des lois de la polémologie si particulière du Moyen-Orient. Il en est de même des journalistes Gébrane Tuéni, directeur du quotidien An-Nahar et de son complice, Samir Kassir, dont la libération des quatre officiers supérieurs libanais par le tribunal spécial international sur le Liban, porte a posteriori condamnation de leur désinvolture.

Tel devrait être l’un des enseignements que les dirigeants libanais devraient tirer de ce panorama morbide du martyrologe libanais, dont ils ont si bien et si longuement abusé, en toute impunité, au mépris des intérêts de leur propre pays.

Il est des blessures qui s’ulcèrent avec le temps au lieu de cicatriser. L’histoire est comptable des comportements désinvoltes lourds de servitudes futures.


Références

1- Rafic Hariri n’est pas l’unique «martyr» du Liban, qui compte une quarantaine de personnalités de premier plan assassinée, dont deux présidents de la République assassinés (Bachir Gemayel et René Mouawad), trois anciens premiers ministres (Riad el-Solh, Rachid Karamé et Hariri), un chef d’état major (le Général François el-Hajj), le chef spirituel de la communauté chiite l’Imam Moussa Sadr et le Mufti sunnite de la république Cheikh Hassan Khaled, deux dirigeants du parti communiste libanais Rizckallah Hélou et Georges Hawi, le chef du Parti socialiste progressiste, le druze Kamal Joumblatt, les députés Maarouf Saad, Tony Frangieh et Pierre Gemayel, l’ancien chef milicien chrétien Elie Hobeika, ainsi que des journalistes Nassib Metni, Kamel Mroueh, Riad Taha, Salim Laouzi, Samir Kassir et Gibrane Tuéni.

2- Lire au sujet de la problématique du procès Hariri, ici.

3- "La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre" par Naomi Klein Leméac-Actes Sud, particulièrement pages 556 et 557 à propos du rôle de Fouad Siniora dans la conférence de reconstruction de Paris II (25 janvier 2007) suivant la guerre de juillet 2006.

4- Le quotidien américain New York Times a accusé l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis, dans un article intitulé «Elections libanaises : les plus chères au monde», d’ingérence dans le processus électoral des prochaines élections législatives de juin 2009 en révélant que des sources proches du gouvernement saoudien ont admis le financement de candidats opposés au mouvement chiite du Hezbollah ainsi qu’à l’achat de leurs adversaires politiques pour les convaincre de retirer leur candidature et au financement du voyage d’expatriés libanais voir de l’achat du vote collectif de communautés entières en faveur de leurs alliés locaux. Selon le New York Times, plusieurs centaines de millions de dollars auraient été ainsi transférés au Liban non seulement pour participer à la campagne électorale mais également pour corrompre leur vote. Le quotidien ajoute qu’il s’agirait pour l’Arabie Saoudite de limiter l’influence iranienne au Liban et de soutenir ses alliés pour faire pression sur Téhéran.

Côté américain, toujours selon le même quotidien, l’International Republican Institute, réputé pour être un lobby proche du parti républicain, aurait ouvert des bureaux à Beyrouth pour aider les dirigeants de la majorité actuelle ainsi que leurs médias affiliés dans la campagne électorale. Ce lobby aurait ainsi ouvert des bureaux auprès des différents partis appartenant à la coalition pro occidentale du 14 mars, dont les forces libanaises de Samir Geagea, le courant du futur du député Saad Hariri, le parti phalangiste d’Amine Gemayel et du député druze Walid Joumblatt (New York Times 24 avril 2009, «élections libanaises : les plus chères au monde»). Deux jours après ses révélations Hillary Clinton, secrétaire d’état, effectuait une visite surprise à Beyrouth pour fleurir la tombe de Rafic Hariri, l’ancien premier ministre assassiné, et préconisé, sans craindre le ridicule, des élections libres de toute ingérence… à l’exception sans doute de l‘argent saoudien.

5- Le juge du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a ordonné mercredi 29 avril la remise en liberté immédiate des quatre généraux libanais prosyriens détenus depuis 2005 dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. L'attentat à la bombe avait fait un total de 23 morts le 14 février 2005 à Beyrouth. Les généraux Jamil Sayyed, Ali Hajj, Raymond Azar et Mustafa Hamdan, seuls suspects, étaient détenus le 30 août 2005.Ils n'avaient pas été officiellement inculpés. Le juge Daniel Fransen a suivi les procureurs qui trouvaient le dossier trop léger pour maintenir ces hommes en détention. Des feux d'artifice ont salué l'annonce de leur libération à Beyrouth.

Retrouver la première partie de l'article ici.

Source : Blog René Naba

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