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Palestine - 5 novembre 2012
Par As'ad Abu Khalil
As'ad Abu Khalil (أسعد أبو خليل), né à Tyr (Liban), est professeur de science politique à l'université d'Etat de Californie (Stanislaus) et professeur associé à l'université de Californie (Berkeley). Son blog : The Angry Arab News Service
Abu Mazen entrera dans l'histoire palestinienne : on se souviendra de lui comme le pire des Palestiniens. On se souviendra de lui au même titre que les Nashashibis, lesquels étaient, avec la famille royale hashémite, à la solde des sionistes avant 1948. Abu Mazen est un "dirigeant" accidentel - si tant est qu'on puisse le considérer comme un dirigeant. Il a été imposé au peuple palestinien, comme Salam Fayyad. Avant Oslo, l'OLP avait réussi à empêcher Israël ou la Jordanie d'imposer un quelconque Palestinien comme représentant du peuple palestinien. L'OLP avait réussi à se présenter comme "le seul représentant légitime" du peuple palestinien, contre la volonté d'Israël et de la Jordanie. Les Palestiniens qui essayèrent de se présenter pour le compte de l'occupation israélienne et de la monarchie jordanienne furent rejetés ou éliminés par leur peuple. L'OLP avait réussi à déjouer tous les complots qui tentaient d'imposer des représentants palestiniens alternatifs non représentatifs.
Des Palestiniens de Gaza brûlent le portrait d'Abbas pendant une manifestation de protestation contre son intervention à la télévision israélienne, le 3 novembre 2012
L’histoire des tentatives pour contourner la légitimité de l'OLP comme organe représentatif du peuple palestinien prête à rire.
A commencer par le roi jordanien qui était censé parler au nom des Palestiniens, même après avoir massacré des milliers d'entre eux lors de Septembre Noir. Puis les Israéliens ont installé des collaborateurs dans les "ligues de village", mais le peuple palestinien les a rapidement discrédités. Ensuite les États-Unis sont tombés sur le pittoresque maire de Bethléem, Ilyas Furayj, et ont décidé qu'il parlerait pour les Palestiniens. Sans oublier le choix du journaliste jérusalémite Hanna Sanyurah, etc. etc.
La recherche d'une direction de remplacement n'a jamais cessé. Les États-Unis et Israël n'ont jamais abandonné. Ils ne se sont pas contentés du "NON" venant du peuple palestinien.
Puis est arrivé l’épisode Oslo, où Arafat a de fait capitulé devant les occupants israéliens. Arafat a cédé aux négociateurs israéliens et a renoncé aux revendications fondamentales du mouvement national palestinien. Il a dilapidé toutes les forces majeures et mineures de l'OLP, pensant qu'il se montrait plus rusé que les Israéliens en gardant une petite milice armée – non pas dans le but de lancer une lutte armée sérieuse contre l'occupation mais pour peser pendant les négociations et pour renforcer sa position.
Ensuite est arrivé Abu Mazen. L'ancien directeur du Mossad Efraim Halevy a admis, dans son livre Man in the Shadows [traduit en français sous le titre "Mémoires d'un homme de l'ombre", Albin Michel, ndt], qu'il avait inventé le poste de Premier ministre pour affaiblir Arafat et propulser un collaborateur en chef.
Manifestation du 3 novembre à Gaza : "Abbas, tu ne représentes que toi-même" (photo Mahmud Hams/AFP/Getty Images)
Les Israéliens connaissaient Abu Mazen mieux que d'autres personnalités de l'OLP. Ce personnage de second rang était alors inconnu en dehors des petits cercles du Fatah. Il était basé à Damas (ce qui explique son silence sur les meurtres du régime syrien) et se prenait pour un homme de science. En fait c'était un bureaucrate mal informé qui considérait ses dénégations de l'holocauste et sa croyance en un complot maçonnico-sioniste comme un signe de grande érudition.
Abu Mazen a également promu les négociations directes avec les Israéliens, non pas parce qu'il aimait nécessairement Israël - après tout, il détestait (et déteste probablement toujours) le peuple juif - mais parce qu'il soutenait qu'Israël imploserait et que tout ce que les Palestiniens avaient à faire, c'était de s'asseoir et de se réjouir de sa disparition.
Ce qui faisait défaut à Abu Mazen en termes d'érudition, de popularité et de charisme, il l'a compensé par une étrange capacité à donner à l'ennemi tout ce qu'il demandait.
L'entretien qu'Abu Mazen vient d'avoir avec une télévision israélienne (1) est une insulte à la lutte palestinienne centenaire. Abu Mazen a décidé de parler au nom de tous les Palestiniens. Finalement, après qu'Arafat ait tué l'OLP, après qu'il ait signé un accord qui établissait un régime collaborationniste à Ramallah, et après que le processus d'Oslo ait assigné au Fatah le rôle de tuer les autres Palestiniens pour le compte d'Israël - Israël a réussi à installer un dirigeant palestinien qui partage ses objectifs sécuritaires et politiques.
Manifestation du 3 novembre à Gaza : "Je suis Palestinien, Abbas ne me représente pas" "Mahmud Abbas, le Balfour du 20ème siècle" (photo Said Khatib/AFP/Getty Images)
La manœuvre était simple : les États-Unis et Israël ont décidé d'affamer le peuple palestinien en coupant toutes les sources d'aide financière des organisations palestiniennes, et de remettre tous les financements entre les mains des outils de l'AP dignes de confiance, principalement Abu Mazen et Salam Fayyad (Muhammad Dahlan et Jibril Rajjub ont joué des rôles similaires par le passé).
Si la révolution était supposée sortir du canon du fusil, la contre-révolution passait par le flux d'argent. Abu Mazen a contrôlé non seulement l'énorme secteur public de l'AP, mais il a incorporé les combattants retraités à une mini-police de non-Etat. La main mise d’Abu Mazen ne s’est pas limitée au Fatah, il a réussi à museler les oppositions laïques et nationalistes en les transformant en salariés de l’AP.
De son temps, Arafat octroyait des fonds aux organisations-membres de l'OLP, même lorsqu'elles désapprouvaient ouvertement sa politique.
Abu Mazen est moins sûr de lui : à la moindre critique, les financements sont coupés. Même le FPLP (en particulier sa branche en Cisjordanie ) est devenu un groupe d'opposition loyal et servile.
On peut trouver à redire que le peuple palestinien tolère la gouvernance d'Abu Mazen depuis trop longtemps. Abu Mazen n'a plus aucune concession à faire, alors il décide de parler au nom des réfugiés. Il juge bon de faire don de son lieu de naissance, Safad, à Israël, et dit qu'il n'a que le droit de "le voir".
Abu Mazen a oublié que "voir la Palestine" n'était pas spécialement le but du mouvement national palestinien, ni celui des nombreux Palestiniens qui ont combattu et qui sont morts sur les terres palestiniennes. Ils ont combattu pour les libérer, pas pour les visiter comme des touristes.
Abu Mazen a dit qu'il voulait seulement visiter Safad. Les officiels israéliens lui ont infligé l'insulte qu'il mérite : ils ont dit qu'ils pouvaient lui organiser une visite des villes "israéliennes". Peut-être Abu Mazen peut-il y aller et se prosterner devant les occupants.
D'un point de vue historique, le leadership palestinien n’a pas été à la hauteur de la lutte du peuple palestinienne. De Hadj Amin Husseini à Yasser Arafat, les dirigeants palestiniens se sont montrés incompétents, fuyants, malhonnêtes, trompeurs et dissimulateurs.
Mais Abu Mazen n'est même pas un dirigeant.
Le chef accidentel, qui est assis à son poste (d'où sa famille corrompue tire de grosses sommes d'argent) par la seule volonté US-israélienne, ne fait même pas partie de la liste des dirigeants palestiniens du 20ème siècle. Il sera célébré comme l'un des clients de l'occupation israélienne, aux côtés de gens comme Bashir Gemayel et Antoine Lahd.
(1) Vidéo et transcription de l'entretien (en anglais et en français) ici.
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM
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