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Israël - 8 juin 2005
Par Eve Sabbagh
Pendant près de 40 ans, les israéliens n’ont connu que le visage de Haïm Yavin. Maintenant ils connaissent aussi ses idées. Mais que cela fasse mieux comprendre son message sur le fonctionnement des medias israéliens est moins certain.
"Depuis 1967, nous nous conduisons en conquérants brutaux, en occupants qui étouffent un autre peuple".
C’est en ces termes que Yavin exprime son dégoût de l’occupation israélienne dans une série de cinq émissions hebdomadaires, intitulée "Une terre de Colons", que diffuse en ce moment la chaîne israélienne Channel Two.
Désigné par les Israéliens comme "Mr. Télé", Yavin était le présentateur du "Mabat", à partir de 1968, le principal programme d’information de la télévision israélienne, et depuis il accompagnait les Israéliens dans tous les évènements politiques.
Quand ce personnage calme et rassurant "sort de son placard" pour affirmer publiquement ses opinions politiques sur l’occupation cela fait des vagues dans son auditoire.
Yavin n’est ni Gideon Levy ni Amira Hass, journalistes du Ha’aretz, réputés gauchistes depuis longtemps et critiques déclarés de l’occupation.
Dans l’édition du 4 juin du Ha’aretz, Lévy a décrit Yavin comme "Sioniste au plus profond de son âme, un parangon de consensus".
Dans tout l’éventail du spectre politique, les gens étaient habitués à s’identifier, d’une manière ou d’une autre, avec Yavin parce qu’il représentait la neutralité par excellence. Par conséquent, entendre le point de vue qu’exprime Yavin "est beaucoup plus troublant" que s'il venait t de n’importe qui d’autre, dit Lévy.
Ne rien entendre du mal, ne rien voir du mal, ne pas parler du mal
"Où étaient-ils, lui et ses confrères, journalistes de télé. Quand avaient lieux ces exactions – ce cauchemar que Yavin se met à découvrir aujourd’hui ?" a demandé Lévy dans une interview au Palestine Report.
"En critiquant l’occupation, Yavin n'a fait qu'un pas pour préserver sa dignité. En tant qu’ancien directeur de la Télévision Israélienne et directeur du département Information, il appartenait à ce système qui cache au public la vérité sur les territoires (occupés)".
D’après Lévy, il y a en Israël une sorte de connivence non avouée qui fait que les journalistes ne veulent pas écrire, les rédacteurs en chefs ne veulent pas publier et le public ne veut rien lire sur la situation des territoires occupés.
"En Israël les medias s’autocensurent bien plus sévèrement que toute censure du gouvernement ou de l’armée."
"Les journalistes israéliens, dit Levy, jouissent d’une liberté d’expression relativement large mais choisissent consciemment de ne pas couvrir certains problèmes d’importance".
Pour Daniel Dor, professeur au département "Communication" de l’université de Tel Aviv "Choisir de ne pas couvrir un problème reconnu par beaucoup comme un sujet important, c’est en fait attester fortement de notre identité collective. C’est exactement ce que font les medias israéliens quand ils décident de ne pas couvrir le problème du mur, alors que l’attention de tous les medias européens est tournée là-dessus."
Dor suggère que les media, et avec eux le patriotisme et le service militaire, sont une forte composante de l’identité collective israélienne.
Bien que "le bourrage de crâne", dans l’optique de Dor, soit un terme trop fort pour caractériser cette identité, le public israélien n’a pas accès à l'ensemble des choses.
Lévy va plus loin dans son analyse de la désinformation qui prévaut dans la société israélienne, en disant qu’on nourrit constamment les israéliens de "demi vérités et quelques fois mêmes de mensonges. Les citoyens européens savent mieux ce qui se passe dans les territoires palestiniens que la plupart des israéliens qui n’en sont qu’à quelques kilomètres".
L’étude de Dor souligne l’existence d’un système triangulaire de réinterprétation méthodique des évènements par les medias israéliens.
D’abord, la maigre somme d’informations sur les territoires palestiniens à la disposition du public israélien.
Deuxièmement, le discours dominant israélien qui réinteprète cette information en fonction de l’identité collective israélienne communément admise.
Finalement "il y a en Israël, le sentiment profond que le monde entier accuse Israël pour tout ce qui arrive dans une petite partie du monde, dit Dor. Nous, Israéliens, nous pensons que le monde entier nous accuse de choses qui n’ont jamais eu lieu.
Et qui n’ont jamais eu lieu parce que nous n’avons eu aucune information à leur propos.
Et nous n’avons eu aucune information à leur propos parce que si quelque chose semble différer du discours israélien dominant, on le réinterprète immédiatement".
Les mensonges de Barak
Ce type de désinformation a atteint un sommet il y a maintenant cinq ans. Dor et Lévy accusent tous les deux les "mensonges de Barak" sur Camp David d'avoir été la manette qui a permis à un état des choses de se perpétuer depuis.
Quand l’ancien premier ministre d’Israël est revenu de Camp David sans accord et qu’il en a fait peser toute la responsabilité sur le camp palestinien en disant qu’il "n’y avait pas de partenaire pour la paix", ça a eu un effet terrible sur l’opinion publique israélienne.
La gauche comme la droite se sont ralliées à ce point de vue avec pour résultat que le camp de la paix a pratiquement disparu parce qu’il n’était plus capable de proposer d’autre alternative au point de vue de la droite sur les Palestiniens.
"Depuis cette époque, les Palestiniens n’ont pas cessé de souffrir et leur douleur n’a pas eu d’écho dans les medias israéliens", dit Lévy. "Du côté des Israéliens, les medias ne montrent que les souffrances de leur propre peuple et ignorent les racines du terrorisme, l’occupation israélienne. Pour ça (la situation actuelle) tous les citoyens israéliens sont responsables, car ce qui est fait, l’est en leur nom."
Après bien des années passées dans les medias, Haïm Yavin a décidé d’assumer sa responsabilité et d’aller voir par lui-même ce qui arrivait dans le territoire proche de lui.
Pendant deux ans et demi il a voyagé, camera au poing, dans les villes palestiniennes et les colonies israéliennes.
Bien que n’étant pas un pacifiste de gauche, "Ce qu’il a vu l’a profondément transformé, dit Lévy. Dans sa série de reportages, Yavin explique que le moins qu’il puisse faire pour combattre l’occupation c’est de la décrire. Cette fois, Yavin a rempli sa mission non seulement en disant la vérité, mais en disant toute la vérité. Et il n’a pas hésité à compromettre son statut de quasi homme d’état et l’immense popularité qui était la sienne depuis des années" a écrit Lévy dans le Ha’aretz.
Pour avoir donné son point de vue de l’occupation, Yavin a été férocement critiqué par Benzi Lieberman, chef du "Yesha Council" (Conseil religieux de colons).
Ce dernier a demandé que le présentateur des informations soit viré car, selon le Conseil, Yavin ne peut plus être impartial.
"La crédibilité de Haïm Yavin en tant que présentateur n’est pas du tout en cause dans cette affaire. Les colons continuent leurs habituelles manoeuvres. Ils l’attaquent personnellement pour éviter d’affronter les problèmes qu’il met en lumière", dit Lévy.
"Il est tout à fait douteux que Yavin ait assez de pouvoir pour mettre fin à l’entreprise de colonisation, mais le message qui émerge de sa série a déjà plus fait bouger le débat public que n’importe quel autre programme de télévision dans toute une vie."
Aucun vent de changement
Que le programme de Yavin ait fait bouger le débat dans la société israélienne peut se voir comme un progrès en soi, mais selon Dor, la controverses est loin de faire souffler un vent de réforme sur les medias et la société israélienne.
Si l’on se réfère aux années passées, souligne-t-il, ce n’est pas la première fois qu’une personnalité représentant le consensus israélien général exprime soudainement une critique de l’occupation israélienne.
A titre d’exemple, il évoque le refus de la part de pilotes de combat israéliens hautement renommés, de servir dans les territoires occupés.
"L’élément le plus important est ce que le public fait de ces critiques si fortes de la machine israélienne. Les reportages de Yavin ne changeront pas la perception qu’a le public de ce conflit, mais seulement la perception qu’a le public de la personne de Haim Yavin.
Maintenant ils savent qu’il est un gauchiste et là s’arrête le débat public."
"Une Terre de Colons", dit Dor, même si c’est une série de cinq semaines, ne peut pas décrire les problèmes complexes de l’occupation israélienne ni l’ignorance de la vie des Palestiniens dont témoignent les media.
Dor pense que l’aveuglement des media israéliens ne diminuera que lorsque "les gens d’en haut", comme le premier ministre, décideront de faire la paix avec les Palestiniens et qu’ils adopteront alors une autre forme de discours".
Sur un ton tout aussi pessimiste, Levy dit qu’aussi longtemps que les medias israéliens continueront d’éviter de couvrir ce qu’il dit être la principale cause du terrorisme, à savoir l’occupation israélienne, il y a des chances que le terrorisme redémarre parce que la situation désespérée des Palestiniens n’aura pas changé".
Avant que les medias israéliens ne changent quoique ce soit à leur couverture des territoires (occupés), nous devrons passer par encore plus de sang et encore plus de mensonges".
Source : Palestine Report
Traduction : CS pour ISM
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