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Palestine - 23 novembre 2002
Par Samah Jabr
Samah Jabr est palestinienne, médecin et vit dans Jérusalem occupée. Fille d'un professeur d'université et d'une principale de collège. En 1999/2000, Samah fut la chroniqueuse pour The Palestine Report, sa rubrique s'intitulait " Fingerprints ". Depuis le début de l'intifada, elle contribue régulièrement à The Washington Report on Middle East Affairs et à The Palestine Times of London. Elle est une lauréate de The Media Monitor's Network pour sa meilleure contribution sur l'intifada et quelques uns de ses articles ont été publiés dans The International Herald Tribune, The Philadelphia Inquirer, Haaretz, Australian Options, The New Internationalists et d'autres publications internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l'étranger pour essayer de partager un autre son de perspectives du conflit sur sa terre. Elle a parlé à l'Université Fordham et au St. Peter's College à NYC, dans une conférence internationale à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées et églises en Afrique du Sud.
Israel est réputé pour ses prisons politiques - Neve Tirza, Abu Kbeir, Dimona et d'autres. Pendant que son gouvernement garde en détention des jeunes de 14 ans en cellules, peu d'ONG israéliennes des droits de l'homme dénoncent fermement les conditions inhumaines, physiques et psychologiques endurées par les détenus.
Lorsque je rencontre la mère d'un Palestinien tué dans ce conflit, je ne pleure pas avec elle ou je ne lui demande pas de faire preuve d'une fierté et d'une force artificielle. Au contraire je lui dis, "ton bien aimé est dans les mains de Dieu, où la vie est plus juste et plus belle que les nôtres". Plusieurs fois, mes mots ont été efficaces.
Mais lorsque je rencontre la mère d'un prisonnier politique palestinien, je ne sais pas quoi lui dire. Les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
Il y a un mois, je me suis rendu à la prison de Neve Tirza par solidarité avec un groupe de prisonnières politiques qui étaient en grève de la faim. Nous étions seulement une cinquantaine à protester, un rassemblement bien maigre comparé aux foules massives qui suivent habituellement les funérailles d'un martyr ou des centaines qui se plantent à l'extérieur des universités pour faire entendre leur position et annoncer une grève de protestation.
Restant là à regarder la maigre assistance, j'imaginai que quelques uns devant nous rejoindre, avaient été bloqués aux checkpoints. D'autres devaient sûrement profiter d'un jour où les restrictions de trajets s'étaient relâchées pour voir quelle nourriture ils pouvaient trouver.
Peut être quelques uns se dépêchaient à leurs bureaux dans l'espoir d'obtenir un peu de travail à faire avant les heures d'affluence du milieu de l'après midi, puis se pressant pour rentrer chez eux évitant une nouvelle fermeture pouvant les toucher.
Mais en dépit de mes efforts pour me rassurer, la vue de ce petit groupe me faisait penser aux mots désabusés de Mahmoud Abu Al Sukkar, un Palestinien qui a passé 26 ans de sa vie en prison parce qu'il osa exprimer son dissentiment quand des Sionistes vinrent prendre sa terre. "J'avais l'habitude de croire que si tu exhortes des Palestiniens à être solidaires avec leurs prisonniers, les rues seraient pleines par milliers. Mais c'était ma fantaisie et dans mon imagination", se lamentait il dans sa solitude.
Le sentiment d'isolement d'Abu Al Sukkar amène à me souvenir comment nos représentants palestiniens ont négligé et fait la sourde oreille aux milliers de combattants de la liberté qui ont passé et qui passent encore les meilleures années de leur vie derrière les barreaux. Alors quoi, si les meilleurs d'entre nous sont dans ces prisons, attendant et ne se raccrochant qu'à leur chance d'en sortir ? Je me désole du manque de soin que nous semblons exprimer pour eux. A l'exception de leur propre famille qui ont des désirs ardents et des craintes pour la sécurité de l'être aimé, peu parmi nous, répercutent la grandeur de nos prisonniers à l'extérieur des murs qui les enserrent.
Pensez, par exemple, comment Nelson Mandela a fait de sa prison sa plate forme, soutenu par sa communauté à l'extérieur.
Israël est réputé pour ses prisons politiques - Neve Tirza, Abu Kbeir, Dimona et d'autres. Pendant que son gouvernement garde en détention des jeunes de 14 ans en cellules, peu d'ONG israéliennes des droits de l'homme dénoncent fermement les conditions inhumaines, physiques et psychologiques endurées par les détenus. Que personne dans l'Autorité Palestinienne ne bouge pour améliorer les conditions dans ces prisons est la preuve du vide actuel entre les structures du pouvoir palestinien et une population moralement concernée dans et au delà des murs de fer d'Israël.
Des Palestiniens et des pacifistes israéliens se lamentent en cour de la situation. " Où ", écrit un Israélien concerné, " où dans le monde, mettez vous en détention des filles de 14 ans parce qu'elle sont politiquement actives ? seulement en Israël ! " En Afrique du Sud, Nelson Mandela a passé 28 ans en prison. Tenace, il refusait de capituler aux demandes de ses geôliers, refusait des opportunités de liberté et attendait, au contraire, le moment où il pourrait gagner sa liberté, non seulement pour lui même mais aussi pour son peuple. Il possédait la force de caractère pour être un meneur et le peuple était prêt à s'engager dans la direction qu'il proposait. Mandela n'a jamais oublié son peuple et lui, en retour, s'en est souvenu.
Me tenant devant Neve Tirza, je connais les noms de quelques prisonniers. Mais ils sont si nombreux. Qui avons nous oublié ? Lorsque nos prisonniers quitteront leur cellule, des Palestiniens seront ils prêts à adopter les sacrifices qu'ils ont faits et leur laisser le gouvernail du bateau. ? Etant donné que nous somme tous des prisonniers virtuels dans nos propres maisons, sommes nous encore capable de voir le potentiel parmi nous-mêmes pour la conduite du pays ? Ne pouvait il être qu'assoupi, étendu devant nos propres yeux, non reconnu mais prêt, c'est tout comme ?
Etant donné que la moitié de la population est sous la barre des 18 ans, il n'est pas surprenant que beaucoup de détenus soient dans le printemps de leur vie : enthousiaste, volontaire, ayant soif de vivre.
Qu'avons nous à dire aux parents et grands parents de nos jeunes prisonniers, spécialement lorsque certains d'entre eux ont été arrêtés par leur propre police et enfermés, loin des regards et dans l'indifférence ? Nous baissons la tête, décontenancés, comme les animaux du livre de Georges Orwell " la ferme des animaux ". Dans la satire d'Orwell, les chefs des animaux sont des cochons. Triste jour quand les modestes citoyens-animaux ouvrent les portes des quartiers privés de leurs chefs et découvrent que ceux qui avaient leur confiance, mangent du jambon. Tristement, les animaux prennent le jambon et lui donnent une sépulture décente.
Obtiendrons nous enfin notre liberté seulement en ravalant notre ressentiment envers ceux qui utilisent notre jeunesse, non pas pour avancer mais pour s'en nourrir ? Ou saluerons nous ceux, grands ou petits qui se sont sacrifiés pour notre bien être ? Si il y a un endroit sur la planète qui témoigne d'un conflit aussi usant que celui de Palestine, c'est l'Afrique et pourtant regardez les hommes qui se sont relevés des profondeurs du désespoir africain :Nelson Mandela, l'archevêque Desmond Tutu et désormais Kofi Annan , le prix Nobel de la Paix. Pour nous, jeune peuple de Palestine, l'avenir nous appartient. Soit nous succomberons à la compassion, soit nous pourrons enterrer nos morts, tenir nos têtes hautes, abandonner nos murs de prisons et avancer.
Tout en ayant l'impression que notre manifestation devant Neve Tirza soit désespérément petite, j'étais heureuse d'être ici aujourd'hui avec 50 personnes. C'était ma façon de me souvenir et de prendre part à cette initiative. Mère Thérésa écrivait, " n'attends pas les chefs, fais le seul, personne par personne ". Ainsi, moi et les 49 autres ayant manifesté notre présence, avons donné du courage et de la visibilité à toutes ces femmes emprisonnées dont le gouvernement israélien espère qu'elles glisseront dans l'oubli (avec le reste d'entre nous). Nous ne pouvons pas avoir un Nelson Mandela parmi nous mais peut être avons nous mieux. Nous avons des milliers de prisonniers politiques ayant la volonté de sacrifier leur liberté et leur bonheur pour l'indépendance palestinienne. Que nous croupissions dans des prisons israéliennes ou palestiniennes, que nous soyons confinés en résidence surveillée ou dans des bantoustans, aucun de nous ne se soumet. Nous nous sommes pliés sans rompre, troublés mais dignes face à la démonstration de puissance d'Israël.
Mandela demeure comme un leader que la prison ne pouvait pas faire taire. L'autre pourfendeur de l'ordre établi de notre temps, Mahatma Gandhi est mort en 1948, la même année où les Sionistes ont occupé la première partie de la Palestine. Mais ceux ci étaient à différentes périodes de leur quête d'indépendance.
Désormais, les gouvernements du monde "civilisé" fabriquent des conflits qui ressemblent au film "Stars Wars". Ici, dans une Palestine poussiéreuse, nous ne pensons pas à Stars Wars.
Nous avons vu les missiles aller et venir avec fusées éclairantes et projections de lumière. Nous avons senti les matraques sur nos têtes, enduré les coups de pieds donnés par les lourdes bottes des soldats et résisté aux balles du mépris. Nous avons besoin de rester droit, et non de fondre dans les flammes de ce détestable incendie.
Si nous refusons d'honorer nos vivants autant que nos morts, j'ai peur que notre libération nationale ne sera pas celle que nous attendons. Je suis troublée que nous puissions succomber à l'humiliation de notre propre silence et demeurer prisonniers, incapables de prendre le contrôle de nos propres destinées. J'honore nos prisonniers de guerre et prie qu'ils ne soient pas oubliés à la table des négociations. J'attends le jour où nous, le jeune peuple de Palestine , pourrons montrer au monde ce que mener un pays signifie.
Source : www.palestinechronicle.com
Traduction : Eric Colonna
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