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Palestine - 17 mars 2016
Par Mohsen Mohammed Saleh
Beaucoup de gens ne font pas attention aux contenus intellectuel, culturel et civilisationnel que les termes que nous utilisons véhiculent, ainsi que les points de vue politiques et religieux qu'ils expriment... Dans de nombreux cas, certains termes se généralisent et prévalent parce que les médias ou de nombreuses personnalités politiques, culturelles et artistiques les ont épousés... Les gens ordinaires les utilisent de façon innocente, soit parce qu'ils ne saisissent pas leur contexte, soit parce qu'ils sont faciles à utiliser pour exprimer une idée ou faire une remarque, même s'ils comportent des contenus inexacts ou déformés.
Au sujet de la question palestinienne (et d'une position de soutien à celle-ci), au cours des dernières années, certains des termes souvent répétés sont inexacts ou "non innocents", et ont pour objectif de restructurer la prise de conscience palestinienne, arabe et islamique, d'une manière compatible avec la politique du processus de paix... et beaucoup de gens les réutilisent sans se rendre compte de leurs implications.
Un exemple flagrant de ceci est que pendant de nombreuses années, les régimes et les médias arabes ont refusé d'utiliser le terme "Israël" quand ils se référaient à l'"entité" qui a été établie en 1948 sur une grande partie de la terre de Palestine, et ils ont utilisé des termes comme "l'ennemi", "l'entité sioniste", "l'entité israélienne", "l'occupation"... ou au moins le terme "Israël" était placé entre guillemets pour indiquer le manque de reconnaissance. Mais maintenant, le terme "Israël" est utilisé sans gêne, et sans guillemets.
Certains peuvent penser qu'il n'y a "pas de conflit sur la terminologie" sans se rendre compte que la terminologie fait partie du processus éducatif et de la formation culturelle, psychologique et civilisationnelle. En outre, la notion de "pas de conflit sur la terminologie" s'applique lorsque le problème est lié à un cadre culturel et cognitif unique ou convergent. Toutefois, le terme devient partie intégrante de l'identité et du processus d'éducation, d'orientation et de mobilisation lorsque le problème est lié à une querelle avec des ennemis.
Parmi les termes problématiques qui ont circulé pendant des années et sont devenues monnaie courante, il y a l'expression "les deux parties de la patrie". Ses utilisateurs veulent dire la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Si certains l'utilisent avec "innocence", c'est peut-être pour exprimer leur désir d'unité nationale entre les secteurs de l'Autorité palestinienne, ou l'Etat palestinien "promis" par le processus de paix. Mais concernant la Palestine ou la perception du peuple palestinien, limiter le terme de "patrie" à la Cisjordanie et à la Bande de Gaza, qui ne représentent que 23% de la Palestine historique, est une idée fausse, car cela revient à supprimer simplement la Palestine occupée en 1948 du concept de "patrie". Ceci constitue une reconnaissance implicite de "l'Etat sioniste", et donne un sens négatif et d'opposition au principe du droit au retour palestinien à sa "patrie", parce que, dans son essence, le droit au retour est sur les terres occupées en 1948.
Une troisième expression, celle de "territoires palestiniens", est fréquemment utilisée aujourd'hui. A première vue, elle semble ordinaire ; cependant, elle est utilisée par de nombreux hommes politiques et médias pour signifier la Cisjordanie et la Bande de Gaza, ou les territoires gérés par l'Autorité palestinienne. C'est évident quand les informations ou certains hommes politiques parlent de leur visite à une certaine personnalité en Israël, puis leur visite dans les territoires palestiniens, comme si Israël lui-même n'était pas établi sur les territoires palestiniens usurpés. Ce terme induit des connotations erronées, en particulier s'il est utilisé avec le terme "Israël" (la Palestine occupée en 1948).
La quatrième expression est "la Cisjordanie et Jérusalem". Selon toute apparence, elle semble avoir une connotation positive en mettant l'accent sur Jérusalem. Cependant, il faut souligner que Jérusalem-Est fait partie de la Cisjordanie et qu'Israël l'a annexée administrativement en 1967, et officiellement en 1980, et l'a ainsi séparée de la Cisjordanie . L'expression "la Cisjordanie et Jérusalem" sert cet état de séparation désiré par l'occupation israélienne. Par conséquent, quand on veut mettre une emphase positive sur Jérusalem et lui donner de l'importance, disons "la Cisjordanie , Jérusalem comprise".
Il y a une cinquième expression, dont l'utilisation a diminué au cours des dernières années, mais qui existe encore, c'est celle de "Arabes israéliens" ou "Palestiniens israéliens". Le problème ici est le fait d'associer les habitants de la Palestine occupée en 1948 à l'Etat sioniste qui a été créé sur leurs terres, qui a récemment été créé contre leur gré, alors qu'ils sont les habitants autochtones de cette terre. A la base, ils devraient être appelés les habitants de la Palestine occupée en 1948, ou, en bref, les Palestiniens de 48. Il existe d'autres expressions possibles comme "les Arabes de 48", qui donne une importance nationaliste sans éliminer l'identité nationale palestinienne. La même chose vaut pour l'utilisation de l'expression "Palestiniens au-delà de la Ligne verte", ou en bref "les Palestiniens de la Ligne verte" pour désigner les Palestiniens résidant dans les territoires occupés en 1948, étant donné que la Ligne verte est la ligne de délimitation définie dans l'Accord d'Armistice avec la Cisjordanie et la Bande de Gaza.
Quant à "fondamentaux palestiniens", c'est devenu l'une des expressions qui portent des connotations différentes suivant les parties palestiniennes qui l'utilisent. Les fondamentaux palestiniens approuvés à l'unanimité pendant de nombreuses années par les Palestiniens et leurs dirigeants sont essentiellement basés sur la premisse que toutes les terres de la Palestine historique appartiennent au peuple palestinien qui a le droit de les gouverner en toute souveraineté. Par conséquent, il n'y aura pas de reconnaissance de l'entité sioniste, ni du moindre droit qu'elle aurait sur la terre qu'elle occupe. Traiter du droit au retour des réfugiés dans les foyers, les villages et les villes d'où ils ont été expulsés est considéré comme un droit fondamental national sur lequel il n'y aura jamais de compromis ni de négociation. Le concept de "fondamentaux" a été ébranlé lorsque l'OLP a accepté de reconnaître la résolution n° 181 de 1947 sur la partition de 1947, ainsi que la résolution 242, pendant la 19ème session du Conseil national palestinien à Alger en 1988. Ce concept a également subi un coup sévère lors de la signature des Accords d'Oslo en 1993, qui incluaient la reconnaissance d'"Israël" et l'abandon de la Palestine occupée en 1948. Ce fut confirmé pendant le Conseil national palestinien qui s'est tenu à Gaza en 1996, qui a convenu de modifier par annulation tous les articles de la Charte nationale palestinienne qui sont contraires aux Accords d'Oslo... qui constituent l'essentiel de la Charte.
Néanmoins, la direction de l'OLP et celle de l'Autorité palestinienne (c'est-à-dire la direction du Fatah) continuent de parler de "s'accrocher aux fondamentaux", après avoir perdu le principal, celui qui a trait à la terre. Ajouté à cela il y a le risque de renoncer au droit fondamental lié aux réfugiés, si un accord de paix définitif était conclu avec l'entité israélienne, en particulier à la lumière du Document de Genève signé en 2003 par les dirigeants du Fatah et autres responsables de l'Autorité palestinienne proches du décideur palestinien, et qui inclut le renoncement au droit au retour. Ainsi, l'observateur est en droit de demander : de quels principes fondamentaux parlez-vous ? Et à quelle charte nationale adhérez-vous ?
D'un septième point de vue, il y a certains termes qui ont été utilisés dans le schisme palestinien et le conflit interne entre le Fatah et le Hamas. Ceux-ci sont principalement liés à la question de la "légitimité palestinienne" et de qui la représente. A ce sujet, pendant la période qui commence avec le schisme palestinien à l'été 2007 jusqu'à la formation du gouvernement d'unité nationale en juin 2014, la plupart des médias parlaient de "gouvernement de l'Autorité palestinienne" lorsqu'il s'agissait du gouvernement nommé par le Président Mahmoud Abbas (dirigé par Salam Fayyad à l'époque, puis par Rami Hamdallah) avec Ramallah comme quartier général. Mais lorsqu'on parlait du gouvernement qui continuait d'exercer ses fonctions dans la Bande de Gaza et qui était dirigé par Ismael Hanniyah, il était surnommé "le gouvernement Hamas". Par conséquent, le gouvernement qui dirigeait la Bande de Gaza a été accusé d'être un gouvernement issu d'un "coup d'Etat", on a dit que la Bande de Gaza était "l'otage" du Hamas, et certains ont même parlé de la Bande de Gaza comme d'une région "rebelle".
Il ne s'agit pas ici d'entrer dans des polémiques juridiques et politiques, car nous voulons simplement souligner que la terminologie a été utilisée pour exprimer des positions politiques, pour donner une légitimité à une partie et la nier à une autre. Selon la Loi fondamentale palestinienne (la constitution), le gouvernement est formé par le parti qui remporte les élections, ce qui dans ce cas est le mouvement Hamas. Aucun gouvernement ne devient "légitime" tant qu'il n'a pas l'approbation du Conseil législatif palestinien (CLP), dont une majorité écrasante est également constituée par des membres du Hamas. Le président palestinien a le droit de désigner et de nommer le Premier ministre, mais il ne peut pas donner sa "légitimité" au gouvernement. La Loi fondamentale prévoit que le gouvernement déchu devient un gouvernement intérimaire en attendant la formation d'un nouveau gouvernement, et c'est sur cette règlementation que le gouvernement Hanniyeh dans la Bande de Gaza s'est appuyé.
Lorsque le Président Abbas a formé un gouvernement d'urgence dirigé par Salam Fayyad, il a négligé la question du "gouvernement intérimaire". Il a également transformé ce gouvernement d'urgence en un gouvernement ordinaire, sans même aller devant le CP pour le confirmer et lui donner une "légitimité". Le gouvernement de Ramallah a continué d'exercer son pouvoir pendant 7 ans consécutives, sans approbation, ni obligation de rendre des comptes, ni contrôle du CPL, car Abbas a refusé de convoquer sa réunion parce qu'il savait d'avance que le CPL renverserait son gouvernement dès sa première session et que ce Conseil donnerait légitimité au gouvernement conduit par le Hamas ou au moins approuvé par le Hamas. Si on s'oppose au gouvernement intérimaire qui a duré 7 années, il faut également s'opposer à un gouvernement d'urgence qui dure autant, ou à tout gouvernement qui bafoue la législature dans le système de l'Autorité palestinienne. Là-dessus, si l'on veut appeler le gouvernement de la Bande de Gaza "le gouvernenement Hamas", il faut appeler le gouvernement qui dirige à Ramallah pendant la même période "le gouvernement Fatah" ou le "gouvernement Abbas"...
La direction du Fatah a certainement profité de sa direction de l'OLP, de sa présidence de l'AP, de sa ratification des Accords d'Oslo et de sa poursuite du processus de paix pour gagner le soutien de la communauté arabe et internationale à ses côtés ; et d'avoir la plupart des médias scandant la terminologie qui convient à la "légitimité" qu'il adopte.
Malgré l'insistance de la présidence sur son droit à nommer le Premier ministre, et l'insistance du Hamas que le gouvernement, sa formation et sa responsabilité sont de la responsabilité du CLP que le Hamas dirige, le terme de "légitimité" a été utilisé dans la gestion des différends politiques.
Une dernière remarque, même si les Palestiniens en général, avec toutes leurs factions, sont d'accord que l'OLP est un organe qui les rassemble et les représente, il y a des désaccords considérables quant à la poursuite et à la fin de la validité des principales institutions et des membres qui occupent des sièges au sein du Conseil national, du Conseil central et du Comité exécutif. Car ces dirigeants et ces membres ont été choisis il y a plus de vingt ans, et leurs mandats ont expiré depuis longtemps (1). Et bien que l'Accord du Caire de mars 2005 les prévoit, la restructuration et l'activation de l'OLP n'ont pas encore été réalisées et des factions comme le Hamas ou le Jihad islamique, qui représentent environ la moitié du peuple palestinien, ne sont pas représentées dans l'organisation. C'est ainsi que nous nous trouvons en face d'une situation problématique, dans laquelle certains partis monopolisent la "légitimité", adoptent le processus de paix, rejoignent les négociations au nom du peuple palestinien et sont prêts à faire des concessions historiques... avant même d'avoir remis de l'ordre dans les affaires palestiniennes intérieures de manière à incarner la volonté réelle du peuple palestinien.
* * * *
Cet article ne cherche pas à faire la liste de tous les termes/expressions ayant des connotations problématiques, mais plutôt à faire la lumière sur un certain nombre de termes/expressions qui méritent l'attention des hommes politiques, des journalistes et des chercheurs, de sorte que les sujets liés à la question palestinienne soient exprimés avec plus de précision et d'objectivité.
(1) Le mandat présidentel de Mahmoud Abbas a par exemple expiré le 9 janvier 2009 puisqu'il avait remporté l'élection présidentielle du 9 janvier 2005 et que le mandat présidentiel est de 4 ans. (ndt)
Source : Al Zaytouna
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