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Palestine - 4 avril 2007
Par Samah Jabr
Samah Jabr est psychiatre, elle vit et travaille en Palestine occupée
Lorsque je suivais mes études de spécialisation en psychiatrie à Paris, j'ai eu connaissance du travail de l'ex-actrice française Brigitte Bardot et de sa fondation, qui travaille pour les droits des animaux à travers le monde. Bardot est en particulier connue et tristement célèbre pour sa dénonciation annuelle du rite islamique du sacrifice du mouton pendant la fête musulmane d'Eid Al-Adha.
Mais mon histoire ne porte ni sur Bardot et ses droits des animaux, ni sur la grippe aviaire. Elle parle de ce qui me tient à coeur : le bien-être des enfants, et surtout en Palestine.
L'autre jour, un homme jeune est arrivé à ma clinique, le front soucieux : "Docteur, il a recommencé ; il a à nouveau tué un poulet, toujours de la même manière cruelle. Fais quelque chose pour lui, s'il te plaît, docteur, nous voulons qu'il retrouve un comportement normal", dit l'oncle en montrant le gamin, dont je compris plus tard qu'il était son neveu.
L'oncle m'a rapporté que pour la sixième fois en trois ans, ils avaient trouvé dans la cour un poulet étranglé, mutilé.
Tout d'abord, ils ne savaient pas qui avait tué les poulets d'une manière aussi terrible et cruelle, jusqu'au jour où Khaled a été aperçu dans l'oliveraie, loin de la vue, avec un poulet dans les mains.
Le poulet et Khaled criaient ; mais Khaled criait de plus en plus fort en même temps qu'il tenait la tête du poulet et la tournait rapidement, en un mouvement circulaire, comme s'il essayait de la séparer du corps et que les cris du poulet s'arrêtaient graduellement.
Ensuite, Khaled a attrapé le poulet silencieux par le cou et s'est mis à frapper les arbres, les pierres et le sol avec le corps. Puis il s'est arrêté, laissant les plumes, le sang et l'animal mutilé dans l'oliveraie.
Khaled a aujourd'hui 12 ans. En mai 2003, il vivait à Hébron, à la limite de la colonie de Kiryat Arbaa, et c'est là qu'il a vécu un événement horrible qui a affecté sa vie à partir de ce moment, et qui a changé l'enfant amical, joueur, au développement normal, en un garçon replié sur lui-même, rigide, inflexible, impatient, dépendant, impulsif et agressif.
Selon son oncle, Khaled jouait dans les arbres avec trois de ses copains lorsqu'un véhicule militaire transportant une énorme quantité de fils de fer barbelé est passé près d'eux.
Les fils de fer se balançaient de gauche à droite selon les mouvements du véhicule et accidentellement, accrochèrent les quatre enfants. Le véhicule a continué sa route jusqu'à ce que le morceau de fil de fer finisse par se détacher ; on a trouvé les enfants à 500 mètres du lieu où ils jouaient.
L'oncle m'a montré les photos, les rapports médicaux et les comptes rendus des journaux sur cette histoire.
Les quatre enfants ont été grièvement blessés et hospitalisés à l'hôpital gouvernemental d'Hébron. Khaled a eu un grave traumatisme crânien et de multiples coupures et écorchures au dos, aux bras et aux jambes.
Selon sa famille, pendant cette période, personne n'a parlé avec Khaled de ce qui lui était arrivé parce qu'ils étaient tous très inquiets de sa santé physique et accablés par l'accident.
Quand Khaled a finalement quitté l'hôpital et est rentré chez lui, il fut évident que ses souffrances continuaient. Le garçon semblait socialement en retrait de sa famille et de ses amis ; il a commencé à mouiller son lit toutes les nuits et son sommeil était perturbé. Il faisait des cauchemars et se réveillait agité, pleurant et se griffant le visage avec les ongles.
Selon sa famille, ses cris étaient incompréhensibles, ses paroles incohérentes : "A part ça, il ne parlait presque plus ; s'il parlait, c'était pour se plaindre de maux de tête", ajoute son oncle.
A la maison, Khaled est destructeur. Il casse tous les jouets et est souvent agressif envers ses frères et sœurs plus jeunes. Il est particulièrement hostile lorsqu'on lui pose des questions ou qu'on parle de l'accident qu'il a subi il y a plusieurs années.
A l'école, ils se plaignent qu'il manque de discipline et de concentration. Il est très lent et ses capacités d'apprentissage sont lentes. La famille rapporte aussi que son niveau de propreté personnelle s'est réduit.
Selon la famille, il y a eu plusieurs périodes de légères améliorations du fonctionnement général de Khaled, mais, chaque fois, ces améliorations ont été interrompues par d'autres incidents violents avec les soldats, auquel cas les symptômes sont revenus avec plus d'intensité qu'auparavant.
En juillet 2004, un des copains de classe de Khaled a été tué par les soldats.
En février 2005, la maison de Khaled a été envahie et fouillée par des soldats, et il y a plusieurs mois, il s'est retrouvé dans une confrontation entre les colons et les soldats d'un côté, et les habitants de la Vieille Ville d'Hébron de l'autre.
Khaled vit dans une maison modeste avec sa famille. Il est le troisième de huit enfants. Son père a 44 ans, il est instituteur ; sa mère a 34 ans et travaille à la maison.
Comme beaucoup d'autres enfants palestiniens, c'est sa famille élargie qui s'occupe de lui : les grands-parents, les oncles et tantes, en plus de ses parents. L'oncle raconte que depuis l'accident, sa mère est devenue très protectrice, en même temps que très permissive.
La relation de l'enfant avec son père a changé elle aussi. Le père était sévère, par le passé, maintenant il est ambivalent ; il hésite entre montrer à Khaled un intérêt importun et l'ignorer complètement.
Pendant l'entretien, le garçon s'accrochait à son oncle, refusant de parler ou de jouer. Il a refusé de rester seul avec moi. Je lui ai expliqué pourquoi j'étais là. Il n'a pratiquement pas dit un mot pendant l'entretien, à part, occasionnellement, un signe d'approbation de la tête à ce que je lui disais ; il n'a pas non plus établi de contact direct avec moi par un regard spontané.
Il cachait son visage dans ses mains, en particulier lorsque son oncle parlait de son énurésie. Je lui ai proposé de dessiner. Il a commencé à tirer des traits sur le papier puis l'a déchiré. Il semblait triste et fatigué.
Je lui ai dit qu'il semblait avoir un problème mais que je ne pouvais pas l'aider s'il ne souhaitait pas que je le fasse. Il a approuvé de la tête lorsque je l'ai invité à revenir, et il a pressé ma main lorsque j'ai tendu la mienne.
A l'examen physique de l'enfant, j'ai pu voir de grandes cicatrices sur son corps, ainsi que les traces d'auto-mutilation sur son visage, mais je n'ai pu mesurer les dimensions des cicatrices cachées à l'intérieur de lui. L'oncle m'a dit que Khaled était pervers, qu'il n'était en empathie avec rien ni personne.
Je ne suis pas de cet avis, et je ne sais pas ce que ce jeune garçon a dans la tête.
Traiter la racine de la pathologie de Khaled et de beaucoup d'autres comme lui n'est pas de mon ressort. Mais j'espère pouvoir lui donner le soutien et le traitement qui atténueront ses symptômes et lui permettront de parler, de dessiner, de s'exprimer pour communiquer ses sentiments intérieurs d'une manière plus saine que la mutilation de poulets.
Tant que ceux qui sont responsables de la guerre contre notre peuple n'arrêteront pas leurs machines militaires, je ne peux m'empêcher de penser à Khaled et autres enfants comme lui en Irak, au Liban, etc. où qu'ils soient, en Palestine ou à l'extérieur.
Entre temps, je vous demande, à vous qui avez sur les étagères de vos supermarchés plus de nourritures pour animaux que pour bébés, de prêter quelque attention aux poulets de Palestine, sinon aux enfants.
Source : The Palestine Times
Traduction : MR pour ISM
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Samah Jabr
4 avril 2007