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Palestine 48 - 12 mai 2008
Par Rabha Attaf
L’auteur est journaliste indépendant, spécialiste du monde arabo-musulman
Chaque folie se nourrit par définition de sa propre logique. Mais la réalité reprend toujours ses droits. L’entreprise sioniste a, malgré un siècle d’obstination, bel et bien échoué ! L’Etat d’Israël, où ne se sont finalement installés qu’une minorité de Juifs, est en effet l’endroit de la planète où ils sont le moins en sécurité. Et, comme en leur temps les Afrikaners d’Afrique du Sud, les sionistes israéliens (mais aussi américains et européens), malgré leur irrédentisme, seront amenés, tôt ou tard, à se rendre à la raison. Au risque d’embraser, par leur aveuglement meurtrier, tout le Moyen-Orient et le reste du monde.
Le concept d’apartheid définit la politique de « développement séparé » mise en place par les Afrikaners (les colons blancs) en Afrique du Sud jusqu’aux premières élections non discriminatoires en 1994. Ce système reposait sur un racisme institutionnalisé.
Des lois instauraient une ségrégation raciale par la classification des populations en trois principaux groupes : les Blancs, les Bantous ou Noirs et les Métis ou personnes de sang mêlé. Les Asiatiques, les Indiens et les Pakistanais, dernièrement arrivés, furent placés dans une quatrième catégorie. Ces lois déterminaient un lieu de résidence pour chaque groupe (bantoustan pour les Noirs), la profession qu’il pouvait exercer et le type d’enseignement dont il pouvait bénéficier.
La législation interdit, en outre, presque tous les contacts sociaux entre groupes ethniques ainsi définis, prohibe les mariages mixtes, autorise la ségrégations dans les institutions et les lieux publics et interdit la présence d’un non-blanc au sein du gouvernement. Une loi adoptée en 1913 décrète que seulement 13% du territoire national peut devenir propriété des Noirs et la politique de « développement séparé » fut officialisée à partir des années cinquante.
De 1960 jusqu’au milieux des années soixante-dix, les Noirs sont regroupés et expédiés sur des territoires nouvellement créés et appauvris, appelés bantoustans ou homelands. Ces zones étaient destinées à devenir des territoires autonomes secondaires. Un système de laisser-passer était instauré et seuls les Noirs justifiant d’un travail en zone blanche avait accès à ce précieux document.
Ainsi, par exemple, des plages étaient réservées aux seuls Blancs et des familles étaient séparées en raison du système de laisser-passer. Un Noir ne pouvait rendre visite à son épouse qui travaillait en zone blanche. Régulièrement, les Noirs se sont révoltés. Et régulièrement ils ont fait l’objet de massacres sanglants.
Par analogie, le concept d’apartheid peut s’appliquer à la situation qui prévaut actuellement en Israël avec cependant une particularité que l’on ne saurait comprendre sans se référer à l’idéologie constitutive de cet Etat, le sionisme politique.
Dénoncé depuis plus d’un siècle par une partie notable et éminente de la communauté juive qui le considère comme une idéologie perverse ayant trahi la vocation spirituelle et humaniste du judaïsme, le sionisme politique, définit le judaïsme comme une nationalité et non comme une religion.
S’inspirant des nationalismes chauvins du 19ème siècle comme le «pangermanisme» ou le «panslavisme», il s’inscrit en rupture avec la tradition religieuse juive en laïcisant la judaïté, opérant ainsi une transmutation du judaïsme, de religion en nationalisme.
Se situant à contre-courant du mouvement d’assimilation (égalité des droits) dans lequel étaient engagée la grande majorité des juifs européens -surtout après la Révolution française- le sionisme politique s’est donné pour mission de regrouper les Juifs au sein d’un Etat qui leur serait propre afin de les soustraire aux violences antisémites et leur assurer une sécurité définitive. Son projet était fondé sur la conviction que les minorités juives étaient inassimilables aux nations (conviction partagée par les antisémites de l’époque).
Et la Palestine, considérées par les premiers sionistes comme « une terre sans peuple » bien qu’habitée par un demi million d’Arabes, devint l’enjeu de leur vaste entreprise de colonisation. A l’époque, le colonialisme européen était triomphant et c’est naturellement dans son sillage que les sionistes inscriront leur dessein.
Conceptualisée par Théodore Herzl, un journaliste Viennois (cf. Théodore Herzl, L’Etat des Juifs, 1886), l’idéologie sioniste a vu le jour à la fin du 19ème siècle et s’est développée pendant la première moitié du 20ème siècle malgré l’opposition prolongée de la majorité des juifs européens et de divers courants religieux.
Comme tous les nationalismes, le nationalisme sioniste se fonde sur les mythes de la race et de la terre, mais -c’est là sa particularité et sa force- sacralisés par un mythe « biblique ».
Une des caractéristique de cette idéologie dans son utilisation politique du judaïsme, est qu’elle a choisi pour cet usage, dans la tradition juive, ce qui est à la fois le plus archaïque (tribal) et le plus meurtrier (l’exclusivisme). Puisant dans les textes fondateurs du judaïsme, le Talmud et la Thora (Pentateuque pour les Chrétiens, c’est à dire les cinq livres initiaux : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, et ses annexes dites historiques, les livres de Josué, des Juges, des Rois et de Samuel), le sionisme s’empare du paradigme fondateur du judaïsme, l’Alliance entre Dieu et les Patriarches.
Selon les récits de la Genèse, Yahvé a fait don à Abraham et à sa descendance du pays s’étendant «du fleuve d’Egypte et au grand fleuve, le fleuve Euphrate» (Gen. XV, 18-21), «la Terre Promise».
Par cette Alliance avec Dieu, le peuple d’Israël -selon la tradition rabbinique- était ainsi élevé au rang de «peuple élu », de « peuple prêtre». C’est sur cette croyance que le sionisme a fondé le mythe du « retour », c’est à dire le «droit historique» des Juifs sur la Palestine.
«Le sionisme, c’est le retour au judaïsme avant que d’être le retour au pays juif», déclarait Herzl au Congrès de Bâle, en 1897, entretenant sciemment une confusion entre judaïsme et sionisme -ce qui conduit insidieusement à sacraliser les objectifs historiques d’un mouvement politique.
Théodore Herzl ne se réclamait pourtant pas de la religion mais du nationalisme européen du 19ème siècle : «Je suis agnostique (…). La question juive n’est pour moi ni une question sociale, ni une question religieuse…, c’est une question nationale», écrivait-il dans ses mémoires.
Mais prenant conscience de la formidable capacité mobilisatrice de ce qu’il appelle la puissante légende («mighty legend», in Diaries I), il proclame : «La Palestine est notre inoubliable patrie historique. Ce nom seul serait un cri de ralliement puissant pour notre peuple» (Herzl, L’Etat juif). Ce politique éminemment réaliste -et pragmatique !- transposait ainsi la puissante légende du retour en réalité historique.
Et pour cause, car il s’agissait pour les sionistes de fonder sur le mythe du « retour » celui de la continuité raciale et historique entre les hébreux bibliques et les Juifs actuels, de constituer un «peuple juif» homogène, de l’Orient à l’Occident. Ils cherchaient ainsi à faire croire que tout «Juif», où qu’il se trouve dans le monde, «retourne» sur la terre de ses ancêtres lorsqu’il vient en Israël, alors qu’en réalité, les conversions et les mariages mixtes ont été tels au cours des siècles que pour 99% des Juifs actuels, aucun ancêtre n’a jamais mis les pieds en Palestine.
Maxime Rodinson conclura d’ailleurs sereinement son essai consacré à cette question en ces termes : «Il est très probable –et l’anthropologie physique tend à le démontrer- que les habitants dits «arabes» de la Palestine (en majorité d’ailleurs «arabisés») ont beaucoup plus de sang des anciens hébreux que la plupart des Juifs de la diaspora dont l’exclusivisme religieux n’empêchait nullement l’absorption des convertis d’origines diverses» (Peuple juif ou problème juif, ed. Maspéro, 1981).
Mais en dépit de la réalité, Herzl s’évertuera à définir la judaïté par le concept réducteur de «race». Dans son livre L’Etat juif, il insiste dès l’introduction sur l’idée de «race juive» : «Les Juifs, matériellement et intellectuellement supérieurs, avaient perdu tout à fait le sentiment de leur solidarité de race…Les Juifs forts reviennent fièrement à leur race lorsqu’éclatent les persécutions».
Là encore, le judaïsme va être le principal outil de légitimation de ce discours ethnocentrique. Alors que les adeptes de la plupart des religions sont liés par une croyance commune, et que ce caractère d’adepte est accessible à tous, l’exégèse rabbinique a établi un lien particulier d’ordre héréditaire.
La loi religieuse stipule, en effet, que la qualité de « juif » est transmise par le sang maternel. En Israël, la « Loi fondamentale » (la Halakha qui signifie Voie ou Chemin en hébreu), en vertu de laquelle les rabbins ont le monopole de statuer sur les mariages et divorces juifs, l’héritage et l’identité religieuse, prévoit que «sera inscrit comme juif aux rubriques «religion» et «ethnie» de l’état civil, celui qui est né de mère juive et n’appartient pas à une autre religion ou bien s’est convertie selon la Halakha» (instruction du 10 janvier 1960).
Et les conditions exigées pour les conversions sont telles que celles-ci demeurent l’exception. Cette loi religieuse détermine l’accès à la citoyenneté israélienne et conditionne la «loi du retour».
Dans son étude détaillée des «lois fondamentales», Le caractère juif de l’Etat d’Israël (ed. Cujas, 1977), le Professeur Klein, juriste spécialiste du droit comparé, soulèvera le problème de la confusion constante entre le critère ethnique et le critère religieux.
Pourtant, comme le dit le philosophe israélien Y. Leibovitz, «la notion de «juif» n’était à l’origine ni raciale, ni nationale mais religieuse». Mais l’absurdité d’une telle loi découle du principe même du sionisme, prétendant définir le juif non par son appartenance à une communauté religieuse, comme en témoigne la Bible toute entière, mais par son appartenance à un «peuple», tels que le concevaient les mythe nationalistes de l’Europe du 19ème siècle, et du chauvinisme romantique.
L’idéologie sioniste a en effet occulté les écrits du judaïsme comportant une dimension universelle pour ne retenir que ceux, dans la Thora, qui exaltent l’ethnocentrisme en instituant les Juifs comme peuple différent des autres et confortent, par une lecture littérale -c’est à dire intégriste- leur entreprise de retour en terre de Palestine.
N’est-il pas écrit dans la Thora «qu’Israël vivra en solitaire et ne se confondra pas avec les nations» (Nombre, 23, 94) ? N’est-il pas prescrit au juif pratiquant de prononcer chaque matin la prière du Shaharit «Béni soit l’Eternel qui ne m’a pas fait goy (non-juif). Béni soit l’Eternel qui ne m’a pas fait femme. Béni soit l’Eternel qui ne m’a pas fait esclave» ?
Le Rabbin Cohen écrit sans détour dans son livre sur «Le Talmud» (ed Payot, 1986) : «Les habitants du monde peuvent être répartis entre Israël et les autres nations prises en bloc. Israël est le peuple élu : dogme capital».
Cette même lecture sélective privilégie les textes les plus féroces de la Thora pour légitimer les exactions d’hier et d’aujourd’hui. Comme ceux, notamment, ou la spoliation ou l’extermination des autochtones de Canaan est présentée comme une condition du maintient de l’Alliance : «Quand vous aurez passé le Jourdain pour entrer dans le pays de Canaan, vous chasserez devant vous tous les habitants du pays… Mais si vous ne chassez pas tous les habitants du pays, ceux d’entre eux que vous aurez laissés seront comme des piquants dans vos yeux et des épines dans votre chair. Ils vous harcèleront dans le pays même où vous habiterez, et ce que j’avais pensé leur faire, c’est à vous que je leur ferai», ordonne Dieu à Moïse (Nombres XXXIII, 51 à 56). D’après les récits bibliques, les Hébreux, emmenés par Josué, se livrèrent à un véritable massacre.
Le Deutéronome répète, n’exigeant pas seulement la spoliation de la terre et l’expulsion des autochtones, mais l’extermination : «Lorsque le Seigneur, ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays… et qu’il aura chassé devant toi les nations nombreuses… tu les voueras totalement à l’interdit.» (Deut. VII,1-2) «et tu les supprimeras» (Deut. VII,24).
Le livre de Josué, qui relate la conquête sanglante du pays de Canaan, n’est pas seulement un texte classique enseigné dans les écoles israéliennes -malgré la réfutation de l’historicité des écrits bibliques par l’archéologie moderne. Il sert, aussi, au conditionnement psychologique des recrues dans l’armée et lors de l’invasion du Liban, en 1982, l’aumônerie militaire des rabbins ne cessa de prêcher la guerre sainte. « Nous ne devons pas oublier les sources bibliques qui justifient notre guerre et notre présence ici. Nous accomplissons notre devoir religieux juif (Mitzva) en étant ici. Selon ce qui est écrit…», expliquait un rabbin du grade de capitaine (Haaretz, 5 juillet 1982). L’imagerie populaire est, elle aussi, utilisée : en 1983, l’administration des PTT émettait trois timbres commémorant Josué.
Ces récits de massacres et d’exterminations sacrées sont, dans l’esprit de nombreux dirigeants israéliens, la préfiguration de la manière dont les sionistes -auréolés d’une pseudo légitimité religieuse - se comportèrent (et se comportent encore aujourd’hui) à l’égard des Palestiniens.
Le 9 avril 1948, Menahem Begin et ses troupes de « l’Irgoun » massacraient les 254 habitant du village de Deir Yassin, hommes, femmes et enfants, pour faire fuir par la terreur les Arabes désarmés de Palestine (cf. Ménahem Begin, La révolte : histoire de l’Irgoun, éd. Albatros 1978).
En l’espace d’une année, sur 475 villages arabes existant en 1948, 385 villages furent ainsi détruits -avec leurs maisons, leurs cultures et même leurs cimetières et leurs tombes- et 770 000 palestiniens prirent le chemin de l’exode. «Si l’on possède la Bible et si l’on se considère comme le peuple de la Bible, on devrait aussi posséder les terres de la Bible, celle des Juges et des Patriarches, de Jérusalem, d’Hébron, de Jéricho et d’autres lieux encore», déclarait Moshé Dayan au Jerusalem Post le 10 août 1967. «Ce pays existe comme l’accomplissement d’une promesse faite pas Dieu lui-même. Il serait ridicule de lui demander des comptes sur sa légitimité », déclarait Golda Mei (Le Monde, 15 octobre 1971).
Le Premier ministre de l’Afrique du Sud, lui fera écho par cette déclaration datée de 1972 : «N’oublions pas que nous sommes le peuple de Dieu, investi d’une mission».
La légitimation de la pureté «ethnique», et donc la justification de l’apartheid et de la «purification ethnique» qui peuvent en découler, repose, quant à elle, sur de nombreux textes religieux, manipulés électivement par les sionistes, comme par exemple : «Tu ne donneras pas ta fille à leur fils et tu ne prendras pas leur fille pour ton fils», ordonne-t-on dans le Deutéronome (VII, 3) ; dans un autre récit on peut lire qu’Esdras pleure parce que «la race sainte s’est mêlée avec les peuples des pays voisins» (Esd. 9, 2) et ordonne la sélection «Tous ceux qui avaient pris des femmes étrangères, ils les renvoyèrent, femmes et enfants» (Esd. 10, 44).
En Israël, cette séparation de l’Autre -cet apartheid- est érigée en loi.
Les mariages mixtes (entre juifs et non-juifs) y sont légalement impossibles -il n’existe pas de mariage civil- et l’hérédité conditionne la citoyenneté.
La loi du « Retour » prévoit, en effet, que tout juif, quelque soit sa nationalité initiale, devient citoyen israélien dès lors qu’il s’établi en Israël, alors que tout palestinien, est considéré par l’article 3 de la Loi sur la nationalité (5712-1952) comme «individu qui, immédiatement avant la fondation de l’Etat, était sujet palestinien, et qui ne devient pas israélien en vertu de l’article 2» (celui qui concerne les juifs) et comme «n’ayant jamais eu de nationalité auparavant», c’est-à-dire apatride par hérédité.
Pour acquérir la nationalité israélienne, il doit prouver qu’il vivait en Palestine juste avant la création de l’Etat d’Israël en 1948, ce qui est quasiment impossible compte tenu des destructions opérées par les milices terroristes (l’Irgoun de Begin, la Hagana de Ben Gourion, le groupe Stern de Shamir), ancêtres de Tsahal. Il ne lui reste plus alors que la voie de la « naturalisation » -qui exige «une bonne connaissance de la langue hébraïque», et est laissée à la libre appréciation du ministre de l’Intérieur.
Haïm Cohen, qui fut juge à la Cour Suprême d’Israël, fera donc cet amère constat : «L’ironie du sort a voulu que les mêmes thèses biologiques et racistes propagées par les nazis et qui ont inspiré les infamantes loi de Nuremberg, servent de base à la définition de la judaïcité au sein de l’Etat d’Israël» (in Joseph Badi, Fundamental Laws of the state of Israël, New York, 1960).
Cette instrumentalisation du judaïsme par le sionisme politique avait provoqué de vives protestations de la part des organisations juives, comme «L’association des rabbins d’Allemagne», «L’Alliance israélite universelle de France», «l’Israëlitische Allianz» d’Autriche, les Associations juives de Londres et le virulent mouvement du judaïsme Réformé.
Au moment même du Congrès de Bâle, en 1897 -qui n’avait pu avoir lieu à Munich (comme le prévoyait Herzl) en raison de l’opposition de la communauté juive allemande- se tenait la Conférence de Montréal où, sur la proposition du Rabbin Isaac Meyer Wise, la personnalité la plus représentative de l’Amérique d’alors, fut votée une motion qui opposait radicalement deux lectures de la Bible, la lecture politique et tribale du sionisme et la lecture spirituelle et universaliste des Prophètes.
«Nous désapprouvons totalement toute initiative visant à la création d’un Etat juif. Des tentatives de ce genre mettent en évidence une conception erronée de la mission d’Israël qui, d’un champ politique et national étroit, a été étendue à la promotion, à l’humanité entière, de la religion libérale et universaliste que les Prophètes juifs furent les premiers à proclamer… Nous affirmons que l’objectif du judaïsme n’est ni politique, ni national, mais spirituel… Il vise une époque messianique où tous les hommes reconnaîtront appartenir à une seule grande communauté pour l’établissement du Royaume de Dieu sur la Terre.» (Conférence centrale des rabbins américains, Yearbook VII).
D’après Rufus Learsi (Israël : A History of the Juwish People, World Puslishings Co, 1966), “les plus ardents opposants étaient tous des Rabbins réformés. Les Juifs, disaient-ils, ne sont pas une nation et ne doivent pas chercher à le devenir».
Malgré cette opposition constante, inspirée par l’attachement à la spiritualité juive, le sionisme israélien fini par s’imposer comme force dominante grâce à son lobbying effréné auprès des dirigeants des puissances coloniale de l’époque (principalement l’Angleterre, l’Allemagne et la Russie puis les Etats-Unis).
Cette hégémonie du sionisme politique ne parvint pourtant pas à étouffer la critique des grands spirituels qui n’ont eu de cesse, tel Martin Buber durant toute sa vie et jusqu’à sa mort en Israël, de dénoncer la dégénérescence et même l’inversion du sionisme religieux (spirituel et universel) en sionisme politique.
«Le sentiment que j’éprouvais, il y a soixante ans, lorsque je suis entré dans le mouvement sioniste, est essentiellement celui que j’éprouve aujourd’hui», déclarait-il à New York.
«J’espérais que ce nationalisme ne suivrait pas le chemin des autres -commençant par une grande espérance- et se dégradant ensuite jusqu’à devenir un égoïsme sacré, osant même, comme Mussolini, se proclamer sacro egoïsmo, comme si l’égoïsme collectif pouvait être plus sacré que l’égoïsme individuel » (in Jewish Newsletter, 2 juin 1958).
«Qu’est-ce que l’idée « d’élection» d’Israël a à faire en tout cela ? «L’élection» ne désigne pas un sentiment de supériorité, mais un sens de la destinée.
Ce sentiment ne naît pas d’une comparaison avec les autres, mais d’une vocation et d’une responsabilité d’accomplir une tâche que les prophètes n’ont cessé de rappeler : si vous vous vantez d’être choisis au lieu de vivre dans l’obéissance à Dieu, c’est une forfaiture… », déclarait-il lors du XIIème Congrès sioniste avant de conclure : «Nous espérions sauver le nationalisme juif de l’erreur de faire d’un peuple une idole. Nous avons échoué.» (Martin Buber, Israël and the world, ed. Schoken, 1948).
Le professeur Judas Magnes, Président de l’Université hébraïque de Jérusalem depuis 1926, considérait quant à lui que le «programme de Baltimore» de 1942 exigeant la création d’un Etat Juif en Palestine «conduirait à la guerre contre les Arabes».
Prononçant, à la rentrée de 1946, le discours d’ouverture de cette université, il déclarait : «La nouvelle voix juive parle par la bouche des fusils… Telle est la nouvelle Thora de la terre d’Israël. Le monde a été enchaîné à la folie de la force physique. Le ciel nous garde maintenant d’enchaîner le judaïsme et le peuple d’Israël à cette folie. C’est un judaïsme païen qui a conquis une grande partie de la diaspora. Nous avions pensé, au temps du sionisme romantique, que Sion devait être racheté par la droiture. Tous les juifs d’Amérique portent la responsabilité de cette faute, de cette mutation…même ceux qui ne sont pas d’accord avec la direction païenne, mais qui restent assis, les bras croisés. L’anesthésie du sens moral conduit à son atrophie».
«Nationalisme juif sécularisé » (comme le désignent ainsi E. Benbassa et J.C. Attias dans Le Juif et l’Autre, éd. Le Relié, 2002), le sionisme politique a donc donné naissance à une idéologie articulée sur un droit sur le sol et du sang à connotation religieuse, et se traduisant par un colonialisme agressif, un apartheid spécifique, voire même un racisme caractérisé.
Le 10 novembre 1975, en séance plénière, l’assemblée générale des Nations Unies adopta d’ailleurs la Résolution 2279 considérant que le sionisme était une forme de racisme et de discrimination raciale -résolution qui fut abrogée en 1991, juste après la « guerre du Golfe », sous la pression des Etats-Unis et d’Israël.
A l’époque, l’ONU avait recensé dix-sept lois israélienne porteuses de discriminations. Et la presse israélienne regorgeait –et regorge encore- de propos xénophobes tels ceux de Menahem Barash, parlant des Palestiniens : «Cette peste déjà dénoncée dans la Bible (…). Pour nous emparer de la terre promise par Dieu à Abraham, nous devons suivre l’exemple de Josué pour conquérir la terre d’Israël et nous y installer, comme le commande la Bible (…). Il n’y a pas de place en cette terre pour d’autres peuples que celui d’Israël. Ce qui signifie que nous devons en expulser tous ceux qui y vivent (…). C’est une guerre sainte exigée par la Bible» (Journal Yediot Aharonot, 1974).
Dans une tribune intitulée Au nom de judaïsme, Shulamit Aloni, députée à la Knesset et dirigeante du Mouvement pour les droits civiques, dénonçait ce racisme institutionnalisé : « Tout se passe comme si on cherchait à faire pénétrer dans l’esprit des Juifs d’Israël l’idée qu’il existe une différence qualitative et normative entre les juifs et les non-juifs… Tel est le principe qui inspire toutes les lois et réglementations de l’Etat en ce qui concerne la politique intérieure, le statut des personnes et des familles, les critères de citoyenneté… C’est ce principe qui dicte notre conduite à l’égard des Israéliens arabes, des Bédouins et des habitants de la rive Occidentale et de Gaza, et notre façon de répondre à leurs aspirations… Aucune utilisation, abusive ou déformée, de la loi juive, ne pourra réduire au silence ceux qui savent discerner entre la loi des prêtres et la vision de prophètes. Nous ne permettrons pas à quiconque de faire d’Israël un ghetto religieux à prétention messianique, qui bafoue les lois universelles de l’humanité et du droit international » (Yediot Aharonot, 25 juin 1978).
Shulamit Aloni s’alarmait à juste titre. La confusion entretenue entre sionisme et judaïsme permet, en effet, aux différents «partis religieux», ne rassemblant pourtant qu’une infime minorité de citoyens, de jouer un rôle décisif dans l’Etat d’Israël. Cela peut paraître paradoxal car la majorité des Israéliens actuels se déclare agnostique ou athée. Mais, comme l’explique Nathan Weinstock (Le sionisme contre Israël, ed. Maspéro 1969), «Si l’obscurantisme rabbinique triomphe en Israël, c’est parce que la mystique sioniste n’a de cohérence que par référence à la religion mosaïque. Supprimez les concepts de «Peuple élu» et «Terre promise», et le fondement du sionisme s’effondre. C’est pourquoi les partis religieux puisent paradoxalement leur force dans la complicité des sionistes agnostiques. La cohérence interne de la structure sioniste d’Israël a imposé à ses dirigeants le renforcement de l’autorité du clergé. C’est le parti social-démocrate « Mapaï », sous l’impulsion de Ben Gourion, qui a inscrit les cours de religion obligatoires aux programmes des écoles, et non les partis confessionnels ».
Cette identification du sionisme politique et du judaïsme a une conséquence plus grave encore… pour les Juifs eux-mêmes ! Car au delà d’Israël, les Juifs du monde entier se retrouvent prisonniers de la logique totalisante de l’Etat sioniste qui les considère comme citoyens israéliens en puissance.
Avant même la création de l’Etat d’Israël, les colonialistes sionistes ont exposé clairement leur objectif : «Notre slogan sera : la Palestine de David et de Salomon», disait Herzl (in Diaries). «Il doit être clair pour nous qu’il n’y a pas de place pour deux peuples dans ce pays», écrivait en 1940 Yossef Weitz, le directeur du Fond National Juif. « Il n’y a pas d’autre moyen de les déplacer tous ; il ne faut pas laisser un seul village, une seule tribu… Il faut expliquer à Roosevelt, et à tous les chefs d’Etats amis, que la terre d’Israël n’est pas trop petite si tous les Arabes s’en vont, et si les frontières sont un peu repoussées vers le nord, le long du Litani, et vers l’est, sur les hauteurs du Golan», (Yossef Weitz, Journal, Tel-Aviv, 1965).
Cette logique militariste et expansionniste est une permanente de la politique menée par l’Etat israélien depuis sa création. Et ce, quels que soient les gouvernements qui se sont succédés depuis : comme l’écrivait le Professeur Leibovitz, de l’Université hébraïque de Jérusalem, «L’Etat d’Israël n’est pas un Etat qui possède une armée, mais une armée qui possède un Etat» (in Israël et Judaïsme, éd Desclée de Brouwer, 1993).
Dans le grand journal israélien Yédiot Aharonot, du 14 juillet 1972, Yoram Ben Porath rappelait avec force l’objectif initial : « C’est le devoir des dirigeants politiques israéliens d’expliquer clairement et courageusement à l’opinion un certain nombre de faits, que le temps fait oublier. Le premier de ceux-ci c’est le fait qu’il n’y a pas de sionisme, de colonisation, d’Etat juif, sans l’éviction des Arabes et l’expropriation de leurs terres».
Dix ans plus tard, dans une lettre adressée à Pierre Vidal-Naquet et publiée par Le Monde le 8 juin 1982, le Professeur Benjamin Cohen, de l’Université de Tel-Aviv, écrivait : «Je vous écrit en écoutant le transistor qui vient d’annoncer que « nous» sommes en train d’atteindre «notre objectif» au Liban : assurer «la paix» aux habitants de Galilée. Ces mensonges dignes de Goebbels me rendent fou. Il est clair que cette guerre sauvage, plus barbare que toutes les précédentes, n’a rien à voir, ni avec les attentats de Londres, ni avec la sécurité de la Galilée…Des juifs victimes eux-mêmes de tant de cruautés, peuvent-ils devenir tellement cruels ?…Le plus grand succès du sionisme n’est donc que ceci : la «déjudaïsation»… des juifs. Faites, chers amis, tout ce qui est entre votre pouvoir pour que les Beghin et Sharon n’atteignent pas leur double-objectif : la liquidation finale (expression à la mode ici ces jours-ci) des Palestiniens en tant que peuple et les Israéliens en tant qu’êtres humains». Les massacres des réfugiés palestiniens des camps de Sabra et Chatila, perpétrés sous la protection du Général Sharon, sont encore dans toutes les mémoires.
Plus récemment, en septembre 2002, un appel signé par une centaine de membres du corps académique israéliens, tentait d’alerter l’opinion publique internationale en ces termes : «Nous, membres du corps académique israélien, sommes horrifiés par les préparatifs d’une agression américaine contre l’Irak et par le soutien enthousiaste des responsables politiques israéliens à ces préparatifs. Nous sommes profondément inquiets par les indications que le «brouillard de la guerre» pourrait être utilisé par le gouvernement israélien pour commettre encore plus de crimes contre le peuple palestinien, qui pourraient aller jusqu’au nettoyage ethnique total (…).
Dans une récente interview donnée au journal Ha’aretz, le chef d’Etat Major Moshé Ya’alone a décrit les Palestiniens comme «une manifestation cancéreuse» et a comparé les actions militaires dans les territoires occupés à de « la chimiothérapie », laissant entendre que « des soins » plus radicaux pourraient être nécessaires.
Le Premier ministre Sharon a soutenu ce «jugement réaliste». L’escalade dans la démagogie raciste concernant les Palestiniens citoyens d’Israël pourrait indiquer l’envergure des crimes qui sont probablement envisagés».
Cet appel alarmiste des universitaires israéliens n’est pas sans fondement. Depuis le début de la conquête de la Palestine, les dirigeants sionistes n’ont eu de cesse d’essayer de régler leur problème majeur : comment créer une majorité juive dans un pays peuplé par une communauté arabe palestinienne autochtone ?
Pour eux, la solution découlait de leur programme colonialiste : réaliser une colonie de peuplement en chassant les Palestiniens et en poussant à l’immigration juive.
Ainsi naquit le mythe d’une «terre sans peuple pour un peuple sans terre», niant l’existence même des Palestiniens et donc leur droit légitime à constituer leur Nation. Il s’agissait, en fait, de s’emparer de leurs terres d’une façon délibérée et systématique, de remplacer un peuple par un autre peuple.
Ce que ne manqua pas de relever le Comte Bernadotte, médiateur des Nations Unies en Palestine, dans son rapport déposé le 16 septembre 1948 (U.N. Document A. 648) : «Ce serait offenser les principes élémentaires que d’empêcher ces innocentes victimes du conflit de retourner à leurs foyers, alors que les immigrants juifs affluent en Palestine, et, de plus, menacent, de façon permanente, de remplacer les réfugiés arabes enracinés dans cette terre depuis des siècles».
Il décrit «le pillage sioniste à grande échelle et la destruction de villages sans nécessité militaire apparente ». (Le Comte Bernadotte fut assassiné, ainsi que son assistant français le Colonel Serot, le 17 septembre 1948, dans la partie de Jérusalem occupée par les sionistes).
Lors de la résolution de partition de la Palestine, adoptée par l’ONU (composée alors d’une écrasante majorité de pays Occidentaux) le 29 novembre 1947, les Juifs constituaient 32% de la population et possédaient 6,5% du sol. Ils reçurent 56% du territoire, avec les terres les plus fertiles. Les Arabes protestèrent contre une telle injustice et refusèrent, par principe, la partition.
Et pour cause : les Palestiniens vivant sur le territoire dévolu aux Juifs se retrouvaient, de fait, étrangers dans leur propre pays alors que, le projet sioniste invitait tous les Juifs du monde à venir s’y installer.
Le 14 mai 1948, Israël proclama son indépendance, et, à la faveur de la guerre, les dirigeants israéliens en profitèrent pour s’emparer de nouveaux territoires, notamment Jaffa et Saint Jean d’Acre, contrôlant ainsi 80% du pays.
Après le départ des Anglais, l’Etat d’Israël se substitua à eux et perpétua, en l’aggravant, leur système colonialiste. Par exemple, l’aide agricole à l’irrigation fut distribuée de manière discriminatoire, de telle sorte que les occupants juifs furent systématiquement favorisés : entre 1948 et 1969, la surface de terres irriguées est passée pour le secteur juif de 20 000 à 164 000 ha et pour le secteur arabe de 800 à 4100 ha.
Ce qui fera dire au Dr Rosenfeld que l’agriculture arabe était plus prospère à l’époque du mandat britannique qu’aujourd’hui (Les travailleurs arabes migrants, Université hébraïque de Jérusalem, 1970). Avant la conquête sioniste, la Palestine exportait, en effet, 30.000 tonnes de blé par an et le Rapport Peel, présenté au parlement britannique en juillet 1937, estimait que sur les 30 millions de cageots d’oranges d’hiver destinés à la consommation mondiale dans les dix années à venir, 15 millions proviendrait de la seule Palestine.
La ségrégation s’exprime aussi dans le droit de résidence. Dans son livre Le racisme et l’Etat d’Israël, le Professeur Israël Shahak, de l’Université hébraïque de Jérusalem et Président de la ligue israélienne des droits de l’homme, cite l’exemple de villes entières (Carmel, Nazareth, Illitch, Hatzor, Arad, Mitzfen-Ramen, et d’autres) où la loi interdit aux « non-juifs » d’habiter car se trouvant « hors des limites du secteur réservé aux non-juifs ».
Certaines de ces villes ont été construites grâce à l’application discriminatoire de l’ordonnance foncière de 1943 sur l’expropriation d’intérêt public, héritée du mandat britannique.
La ville de Carmel -pour ne citer qu’elle- doit sa création à l’expropriation de 500 ha à Deir El-Arad, Nabel et Be’reh. D’autres ont été construites sur des terres appartenant au Fond National Juif, créé par Herzl, en 1901, lors du Vème Congrès sioniste, sur le modèle des Compagnies coloniales à charte.
Cette agence était l’instrument essentiel de la prise de possession de la terre de Palestine. Toutes ses acquisitions, selon ses statuts, devenaient «propriété inaliénable du peuple juif» et ne peuvent être ni revendues, ni même louées à des non-juifs. La loi du 23 novembre 1953 les déclarera «Terres d’Israël » et une des quatre «Lois fondamentales» confirmera leur inaliénabilité.
Une autre procédure s’inspire directement des « lois d’urgence » décrétées en 1945 par les Anglais contre les Juifs et les Arabes. La loi 124 donne au gouvernement militaire « pour raison de sécurité d’Etat » la possibilité de suspendre tous les droits des citoyens, y compris leurs déplacements. Une zone pouvant être ainsi interdite, un arabe ne peut se rendre sur ses terres sans autorisation militaire. Lorsque cette autorisation est refusée, cette terre est alors déclarée « inculte » et le ministère de l’Agriculture peut « prendre possession des terres afin d’en assurer la culture ». L’ordonnance de 1948 sur les terres en friches, amendée en 1949, lui permet en effet de réquisitionner toute terre abandonnée. Par la terreur que les milices sionistes, puis l’armée, semèrent -massacres délibérés de villages entiers, comme à Deir Yassin en 1948 ou à Kafr Kassem le 29 octobre 1956, « pogroms » de « l’unité 101 » créée par Moshé Dayan et longtemps dirigée par Ariel Sharon- de vastes territoires furent vidés de leurs habitants et donnés aux colons juifs. Comme le démontre Nathan Weinstock dans son livre Le sionisme contre Israël, tout un arsenal de mesures destinées à légaliser le vol des terres a été institué. Et pour justifier le maintien de ces lois de terreur, « l’état d’urgence » n’a jamais été abrogé dans l’Etat d’Israël. « L’utilisation de la loi 125, sur laquelle le gouvernement militaire est fondé est en continuation directe de la lutte pour l’implantation juive et l’immigration juive », écrivait à ce sujet Shimon Péres dans le journal Davar du 25 janvier 1972. Résumant le projet sioniste, il affirmait aussi : « Voici cent ans, le mouvement sioniste s’est consacré à la réalisation d’une majorité juive dans un seul pays, le pays du peuple juif. L’Etat juif, cela signifie un état où les Juifs sont une majorité claire » (Le Monde, 23 septembre 1988). En mars 2002, la Cour suprême israélienne légalisait la démolition des maisons dans les territoires occupés, y compris à Jérusalem-Est.
Le bilan global de cette colonisation de peuplement est le suivant : après avoir chassé un million et demi de Palestiniens, Eretz Israël (la « Terre d’Israël »), comme la nomment les sionistes, représentait, en 1982, 93% de la Palestine (dont 75% à l’Etat et 14% au Fonds national ) contre 6,5% en 1947 et 2,5% en 1917, lors de la déclaration de Balfour. Ce chiffre s’est aggravé depuis, par une accélération agressive de l’implantation de nouvelles colonies, et malgré la signature des accords d’Oslo en 1993 qui prévoyaient, à terme, un futur Etat palestinien sur seulement 22% du territoire hérité du mandat britannique (la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est et la bande de Gaza).
Les Palestiniens vivent sous deux types de régimes selon qu’ils vivent en Israël où dans les territoires occupés. Les « Arabes israéliens », au nombre de 1 million (sur 6 millions d’israéliens), sont les descendants des 160.000 palestiniens restés dans le pays après la guerre de 1948. Même s’ils bénéficient du droit de vote et jouissent de certaines libertés, ils vivent en réalité sous un régime de sous-citoyenneté et sont régulièrement victimes de discriminations. La loi leur interdit, par exemple, d’acheter des terres à des juifs ou de procéder au regroupement familial lorsqu’ils ont épousé des non israéliens.
Les partis politiques arabes ne peuvent se présenter aux élections s’ils ne reconnaissent pas, préalablement, « le caractère juif et démocratique de l’Etat d’Israël ».
La répartition des fonds publics est très inégale selon qu’il s’agit de localités peuplées de Juifs ou d’Arabes –il n’existe pratiquement pas de villes ou de villages « mixtes ». Selon le rapport du centre Adva de Tel-Aviv, le rapport des subventions entre les municipalités arabes et les municipalités juives est de un pour trois. Pire : cent-cinquante village et hameaux regroupant environ 75.000 habitants ne sont tout simplement pas reconnus. Ces localités sont donc ainsi privées de tout service public -pas d’eau, d’électricité ou de téléphone ; interdiction d’ouvrir de nouvelles écoles ou d’effectuer des travaux de construction ou d’aménagement, etc…(cf. H. Wajnblum, Les villages arabes israélien « non reconnus », Points critiques n°61, Bruxelles, mai 1998).
Le secteur de l’emploi n’est pas exempt de discriminations. Alors qu’ils représente 17% de la population, les « Arabes israéliens » occupent à peine 1% des emplois du service publics (majoritairement des emplois subalternes) et certaines fonctions leurs sont interdites. Leur taux de chômage est de 20%, contre 10% pour l’ensemble de la population israélienne, et le taux de mortalité des enfants arabes est presque le double de celui des enfants juifs (9,6 pour 100 000 naissances en 1996 contre 5,3).
L’éducation est l’un des secteurs où les disparités entre les deux communautés sont les plus criantes. L’allocation aux élèves en difficulté, par exemple, représente un montant de plus de 1.000 shekels pour un écolier juif contre 25 shekels pour un écolier arabe. A 17 ans, 42% des Arabes israéliens ont déjà abandonné leurs études. Quant aux programmes scolaires, la loi sur l’éducation leur fixe, parmi ses objectifs, la promotion de la culture juive et de l’idéologie sioniste.
Mais beaucoup plus insidieuse est la suspicion dont sont systématiquement victimes les « Arabes israéliens ». Perçus comme des « ennemis intérieurs » (cf. Maurice Rajfus, L’ennemi intérieur, éd. ouvrières), ils sont officieusement exclus de nombreux emplois et font l’objet d’un harcèlement policiers permanent. Leur situation s’est gravement détériorée depuis le déclenchement de la seconde Intifada. Ainsi, en octobre 2000 à Nazareth, une manifestation pacifique de « citoyens » arabes israéliens, marquant leur solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés, a été brutalement réprimée, faisant un bilan de 13 personnes tuées par balles et plusieurs centaines de blessés. Des journalistes de la presse internationale présents sur place ont fait état d’un véritable pogrom.
En novembre 2001, les autorités israéliennes ont levé l’immunité parlementaire du député arabe israélien Azmi Bishara afin de le déférer devant un tribunal. Son crime : avoir publiquement soutenu la révolte des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, et organisé des voyages pour des familles arabes israéliennes qui souhaitaient revoir leurs parents réfugiés en Syrie (près de 3 millions de réfugiés palestiniens vivent actuellement hors de Palestine, principalement au Liban, en Jordanie et en Syrie et n’ont aucun espoir de retour).
Les 2.700.000 Palestiniens des territoires occupés, quant à eux, vivent, depuis 1967, une véritable descente aux enfers. Ils sont principalement concentrés sur 70% de la bande de Gaza et de 40% de la Cisjordanie . Leurs conditions de vie n’ont cessé de se dégrader, surtout depuis l’entrée en application des accords d’Oslo. Plus de 160 colonies de peuplement juif, regroupant environ 400.000 habitants (y compris les 170.000 habitants juifs de Jérusalem-Est), encerclent les localités et camps de réfugiés palestiniens. Isolées les unes des autres par des routes dites de « contournement » formant un réseau reliant les colonies israéliennes -et accessible majoritairement pour les seuls colons juifs- les enclaves palestiniennes, forment, à l’image de l’ancienne Afrique du Sud, de véritables bantoustans. La circulation entre elles, déjà problématique avant l’embrasement de septembre 2000 (Intifada El Aqsa), est devenue quasiment impossible. Toute activité économique, sanitaire ou sociale y est extrêmement difficile, voire impossible. Le « bouclage », instauré par l’armée israélienne depuis 1967 pour « gérer, par l’intermédiaire d’un permis, la circulation des personnes et des biens dans les territoires occupés (Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est ) », selon son niveau d’application, transforme régulièrement les zones palestiniennes en véritables prisons à ciel ouvert. De nombreux élèves et étudiants ne peuvent, la plupart du temps, se rendre dans leur établissement scolaires, ni les adultes aller travailler (beaucoup d’entre eux sont « journaliers » chez les colons ou gagnent leur vie en Israël). De nombreuses personnes sont mortes, faute de soins, pour avoir été empêchées de rejoindre un hôpital.
Depuis le début de l’Intifada Al-Aqsa, 1.761 Palestiniens ont été tués (et 581 Israéliens), selon un décompte de l’Agence France Presse arrêté fin juillet 2002*. Le nombre de blessés est évalué à 30.000*. Plus de 5.000 Palestiniens*, dont plusieurs centaines de mineurs, sont détenus dans les prisons israéliennes où la pratique de la torture –dénoncée à plusieurs reprises par Amnesty International- est légalisée par la loi. Les incursions massives de l’armée israélienne dans les « zones autonomes » palestiniennes se sont multipliées, semant sur leurs passages, comme en 1948, la terreur et la dévastation. Les massacres opérés à huit-clos, comme à Jénine, durant l’opération « Rempart de protection », en mars et avril 2002, les centaines de bâtiments détruits depuis un an, les milliers d’hectares de terres agricoles ravagées et les dizaines de milliers d’arbres arrachés, l’instauration de périodes de couvre-feu de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues, laissent augurer le pire.
La population palestinienne est asphyxiée et sa situation sanitaire alarmante. D’après les organisations humanitaires opérant sur place, 80% des habitants de la bande de Gaza vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté. Et tandis que les Palestiniens vivent dans des conditions de précarité extrême, les colons circulent librement entre leurs colonies et Israël, s’approprient toujours plus de terres et contrôlent la plupart des ressources en eau. En Cisjordanie , les villages palestiniens sont menacés de disparition par l’extension des colonies juives avoisinantes. Ainsi, le 17 octobre 2002, les derniers habitants de Yanoun, un petit village situé à 22 km de Naplouse, ont fini par quitter leurs maisons à cause des attaques répétées menées par les colons d’ Itamar, une colonie implantée depuis 1998 sur les sommets des collines avoisinantes. A Gaza, 6.000 colons en arme** narguent les 1,2 millions de Palestiniens qui s’entassent dans un énorme bidonville en dur.
Cette politique expansionniste, malheureusement soutenue par une majorité d’israéliens, a été planifiée de longue date. Dans la revue Kivounim (Orientations, n°14, février 1982) de l’ « Organisation sioniste mondiale » à Jérusalem, un article exposait « une stratégie pour Israël dans les années quatre-vingts ». Voici l’orientation donnée concernant le sort réservé aux Palestiniens : « Les Arabes israéliens doivent comprendre qu’ils ne pourront avoir de patrie qu’en Jordanie… Et ne connaîtront de sécurité qu’en reconnaissant la souveraineté juive entre la mer et le Jourdain… Il n’est plus possible, en cette année dans l’ère nucléaire, d’accepter que les trois quarts de la population juive se trouve concentrée sur un littoral surpeuplé et naturellement exposé, et la dispersion de cette population est un impératif majeur de notre politique intérieure. La Judée, la Samarie et la Galilée sont les seules garanties de notre survie nationale, et si nous ne devenons pas majoritaires dans les régions montagneuses, nous risquons de connaître le sort des Croisés, qui ont perdu ce pays. Rééquilibrer la région sur le plan démographique, stratégique et économique, doit être notre principale ambition ; ceci comporte le contrôle des ressources en eau de la région qui va de Beer-Sheba à la haute Galilée, et qui est pratiquement vide de juifs aujourd’hui ».
Dictée par l’obsession de la conquête de l’espace vital, cette logique de la « survie » a atteint son paroxysme par la construction, depuis juin 2002, d’un « mur infranchissable » destiné à sécuriser les enclaves juives, en isolant les zones habitées par les populations arabes. Uri Avnery, figure emblématique du « Bloc de la paix » israélien qualifiait ce projet de « nouveau pas dans la marche de la folie ». C’est que, fondé sur la négation de l’existence de tout un peuple – « Il n’y a pas de peuple palestinien », déclarait Golda Meir au Sunday Times en juin 1969- l’Etat d’Israël a développé en son sein une véritable paranoïa collective d’autant plus dangereuse qu’elle s’appuie, comme l’expliquent E. Benbassa et J.C. Attias dans Le Juif et l’Autre, sur la croyance que les Arabes sont le nouvel Amalec, cet ennemi absolu dont la menace pèse sur la survie même du peuple d’Israël, et contre lequel la guerre totale est, aux yeux de nombre d’Israéliens, un devoir sacré (cf. Exode XVII, 13 à 16).
Chaque folie se nourrit par définition de sa propre logique. Mais la réalité reprend toujours ses droits. L’entreprise sioniste a, malgré un siècle d’obstination, bel et bien échoué ! L’Etat d’Israël, où ne se sont finalement installés qu’une minorité de Juifs, est en effet l’endroit de la planète où ils sont le moins en sécurité. Et, comme en leur temps les Afrikaners d’Afrique du Sud, les sionistes israéliens (mais aussi américains et européens), malgré leur irrédentisme, seront amenés, tôt ou tard, à se rendre à la raison. Au risque d’embraser, par leur aveuglement meurtrier, tout le Moyen-Orient et le reste du monde.
* Les chiffres des morts palestiniens ont doublé depuis (note ISM).
** évacués depuis la rédaction de cet article (note ISM).
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