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Israël - 16 septembre 2003
Par Jeff Halper
Jeff Halper est le Coordinateur du Comité Israélien Contre la Démolition des Maisons. Il est l’auteur de l’ouvrage An Israeli in Palestine [Un Israélien en Palestine], à paraître (en anglais) aux éditions Pluto Press.
Tout le monde dénigre la feuille de route. Du Département d’Etat et autres officiels du "quartette" en passant par le cabinet d’Ariel Sharon pour finir par les militants internationaux et le citoyen lambda dans les rues de Palestine et d’Israël, on serait bien à mal de trouver une seule personne convaincue par cette "feuille de route".
Depuis le début, elle a été rejetée comme une énième initiative mort-née, qui devait aller rejoindre la série des plans Mitchell et Tenett, Gunnar Jarring et Roger. Mais est-ce vraiment le cas.
A mon avis, la feuille de route n’est pas dépourvu de sens ; c’est sa signification que même ceux qui y ont adhéré ont perdue de vue.
Ce qui nous attend, si la feuille de route échoue : l’apartheid permanent
En vue plongeante, sous l’angle du succès d’Israël à mener à bien sa campagne de trente ans visant à créer des « faits accomplis » irréversibles sur le terrain, la feuille de route représente le dernier souffle de la solution à deux Etats. Le moment est décisif.
Quiconque n’a passé ne serait-ce seulement quelques heures dans les Territoires occupés l’a compris immédiatement : Israël a entamé la dernière phase d’incorporation totale et définitive de la Cisjordanie à Israël stricto sensu, et de transformation d’une occupation temporaire en un état d’apartheid définitif.
La mise en pratique par Sharon de la doctrine jabotinskyenne du « Mur d’Acier » créant des « faits accomplis » tellement énormes que les Palestiniens désespéreraient d’avoir jamais un Etat viable qui leur soit propre a atteint son point critique.
Les blocs de colonisation israéliens sont tellement étendus, leur inscription dans les structures d’Israël stricto sensu, par un réseau dense d’autoroutes et de routes « de contournement » est tellement achevée, et le Mur de Séparation confinant les Palestiniens physiquement dans des cantons minuscules tellement avancé que la solution à deux Etats est devenue impossible, voire ridicule.
Etant donné la mauvaise volonté de la communauté internationale lorsqu’il s’agirait de forcer Israël à se retirer des Territoires occupés, et en particulier du refus du Congrès américain d’exercer une quelconque pression significative sur Israël, nous pouvons dire désormais qu’Israël est sur le point de représenter le prochain Etat d’apartheid dans le monde.
Seule, la feuille de route, ce dernier souffle agonisant de la solution à deux Etats, sépare l’espoir pour les Palestiniens d’obtenir leur autodétermination dans leur propre Etat viable et réellement souverain (aussi exigu soit-il) et la création de facto d’un Etat unique contrôlé par Israël.
Plutôt que de nous contenter de passer d’une énième initiative qui a échoué à encore d’autres initiatives, nous devons considérer que la feuille de route représente un tournant dans le conflit israélo-palestinien. Son échec final modifiera fondamentalement et totalement la nature de la lutte pour une solution juste et durable de la question palestinienne.
Le problème a moins à voir avec une vision, un contenu et un processus, qu’avec leur mise en application. En tant que document, la feuille de route comporte un certain nombre d’éléments positifs. Il s’agit du premier document international approuvé par les Etats-Unis à préconiser la « fin de l’occupation ».
De fait, elle est même le premier document à utiliser le terme « occupation » en tant que tel, défiant le déni très ancien opposé par Israël à l’existence même d’une occupation. Il s’agit aussi de la première initiative qui se fixe pour objectif la création d’un Etat palestinien viable, ce qui en fait un document bien plus avancé que les négociations vagues et sans délai fixé des Accords d’Oslo.
Le simple usage du terme « viable » a soulevé des espoirs que la communauté internationale avait finalement pris conscience de la stratégie israélienne des "faits accomplis" obérant toute négociation et rendant la création d’un Etat palestinien digne de ce nom impossible.
Le fait que le délai était rapproché et précis, et qu’un Etat palestinien indépendant, démocratique et viable, vivant à côté d’Israël, en paix et en sécurité, à l’horizon 2005, faisait de la feuille de route un document qui tenait la route.
Il en allait de même de la nature mutuelle et fondée sur les avancées constatées du processus, supervisé par le Quartet, et non par les seuls Américains, ainsi que du fait qu’elle prenait pour termes de référence les résolutions de l’Onu, les accords déjà signés entre les parties, ainsi que l’initiative saoudienne. Tant dans son contenu que dans sa structure, la feuille de route est une tentative bien conçue, réalisable et potentiellement équitable de parvenir à "un règlement définitif et global du conflit israélo-palestinien".
Mais, comme tout le monde le savait depuis le début, la volonté de faire en sorte que cela marche manquait. Quatre mois après sa publication, la feuille de route semble pratiquement morte, bien qu’encore sur les rails.
La Russie et l’Onu n’ont jamais pris leur part au processus, et l’Europe, selon sa mauvaise habitude, a passé toute la responsabilité aux Etats-Unis.
Bush, comme il se doit, a annoncé à Aqaba que les Etats-Unis allaient encore une fois assumer le rôle d’unique médiateur, accédant à une des « réserves » fondamentales exprimées par Israël.
Alors que des efforts énormes étaient déployées par l’Autorité palestinienne afin de réaliser les "réformes" (dont notamment l’intronisation non démocratique d’un Premier ministre sans aucun crédit public) et tandis qu’un responsable subalterne du Département d’Etat était envoyé en mission afin d’étudier les "problèmes de sécurité", la campagne d’Israël en vue d’assurer sa mainmise définitive sur la Cisjordanie , Jérusalem Est et Gaza se poursuivait, sans encombre.
Dès lors que personne n’entretenait la moindre illusion quant à un quelconque résultat supplémentaire de la feuille de route, on ne constate aucune attitude auto-gratifiante de joie mauvaise du type « je vous l’avais bien dit », parmi ses contempteurs, ni aucun réel sentiment de énième occasion perdue.
Ce que nous constatons, c’est un dégrisement général, et une ferme détermination à poursuivre la lutte contre l’occupation, sans égard au temps qu’il faudra. La feuille de route, vivante mais seulement parce qu’on n’en a pas encore publié le certificat de décès, est en passe d’être mise dans la poubelle de l’Histoire. Ce sera une énième tentative vite oubliée de réaliser une paix juste au Moyen-Orient.
L’importance de la feuille de route découle tant de son calendrier que de son contenu. Tandis qu’Israël poursuit son annexion irréversible de la Cisjordanie , seule une pression directe de la communauté internationale afin que terme soit mis à l’occupation et qu’Israël se retire totalement des territoires conquis en 1967 (avec des ajustements territoriaux mineurs) pourra garantir la condition sine qua non d’une solution à deux Etats : un Etat palestinien viable et véritablement souverain.
Si la feuille de route échoue ou, plus vraisemblablement, s’enlise, sans que l’initiative n’ait jamais été déclarée forclose, nous entrerons dans un Etat d’apartheid de facto. Israël pourra poursuivre sont processus d’annexion et d’intégration (des territoires), les Etats-Unis entreront dans une période préélectorale interminable, durant laquelle aucune pression ne sera exercée sur Israël du tout, et un an ou deux seront perdus avant que la prochaine initiative soit formulée.
Ce sera trop tard : même l’illusion qu’un Etat palestinien viable puisse être réalisé aura définitivement disparu. De sa propre main, Israël aura empêché l’émergence d’un Etat palestinien viable, et aura créé, en lieu et place, un seul Etat.
Bien entendu, au moment de signer la feuille de route, Sharon a déclaré son soutien à la solution à deux Etats. Le grand danger auquel les Palestiniens sont confrontés dans les limbes du processus de la feuille de route pas-encore-tout-à-fait-morte étant que la version sharonienne d’un Etat palestinien est un bantustan découpé en tronçons, n’exerçant aucun contrôle sur ses frontières, dépourvu de liberté de mouvement, sans viabilité économique, sans accès à ses ressources hydriques, sans aucune présence significative à Jérusalem et sans réelle souveraineté, une solution qui laisse à Israël 90 % du pays et que cette solution soit "vendue" par les Etats-Unis qui la feront passer pour un Etat palestinien viable, succès final de la feuille de route.
Tel est le scénario de Sharon. En tant que partisans d’une solution équitable au conflit, nous devons rester sur nos gardes face à une telle éventualité et mettre au point des stratégies efficaces afin de le mettre en échec.
La lutte à mener en vue d’un Etat unique
L’échec qui rôde de la feuille de route, qui entendait éviter un apartheid de facto en Palestine – Israël va modifier fondamentalement et dans son ensemble la nature du conflit. Israël, de son propre chef, a rendu une solution à deux Etats impossible.
Le seul « Etat » palestinien qui pourrait émerger de la matrice du contrôle israélien serait un bantoustan palestinien. Dès lors que nous considérons que cette "solution" ne saurait être tenue pour acceptable, il n’existe qu’une seule alternative : la création d’un Etat unique en Palestine – Israël.
(J’ai suggéré l’idée, dans des papiers précédents, qu’en raison de la permanence du contrôle israélien, un Etat palestinien tronqué pourrait être acceptable dans le cadre d’une solution à « double détente » impliquant la création d’une large Union Moyen-Orientale, dans laquelle la résidence serait déconnectée de la citoyenneté. Cela, toutefois, est totalement illusoire pour le moment, et la nécessité de mettre un terme à l’occupation est tellement aiguë, que cela ne saurait constituer un programme d’action pour le futur immédiat.)
Le décor est par conséquent dressé pour la prochaine phase du combat pour une solution juste au conflit israélo-palestinien : une campagne internationale en vue d’un Etat unique.
Les populations palestinienne et juive étant tellement imbriquées (un million de Palestiniens vivent sur l’ensemble du territoire israélien, tandis que 400 000 juifs vivent dans l’ensemble des Territoires occupés), la faisabilité d’un Etat binational, avec deux peuples vivant dans une sorte de fédération, semble impraticable.
La conservation de l’existence d’Israël rend impératif de l’intégrer à tout arrangement politique si l’on veut qu’il soit faisable (tout en le neutralisant en tant qu’agence de contrôle).
Etant donné cette "réalité" sur le terrain la solution la plus praticable semble être un Etat unitaire démocratique, offrant une citoyenneté égale à tous ses habitants. Si tel est le cas, notre leit-motiv, dans la période post-feuille de route, sera celui des Sud-Africains en lutte contre l’apartheid : Une Personne = Une Voix.
Dans cette période, entre chien et loup, du crépuscule de la feuille de route, nous sommes encore dans une phase de transition, de la solution à deux Etats, dans laquelle toutes nos énergies ont été consacrées à la fin de l’occupation, vers une campagne prônant un seul Etat qui reconnaisse que l’occupation est permanente, et cette campagne devra donc, par conséquent, s’attacher à neutraliser les aspects de contrôle inhérents à la colonisation en créant un cadre étatique commun.
Aucun des acteurs n’est encore prêt pour un tel revirement – ni les Palestiniens, ni la communauté internationale, ni les militants pacifistes et humanitaires, ni les communautés juives dans le monde et certainement pas les juifs israéliens.
Des représentants de l’Autorité palestinienne ont même suggéré que soulever cette question aujourd’hui même serait "contre-productif", car cela irait au-delà de ce que même les partisans de la paix les plus libéraux seraient aujourd’hui enclins à accepter.
Aussi longtemps que la feuille de route offrira une lueur d’espoir que quelque chose peut encore être tenté pour mettre un terme à l’occupation israélienne, la discussion de scénarios alternatifs sera jugée, comme par définition, prématurée.
Une telle discussion s’imposera, toutefois, inévitablement, si, et quand le processus de paix échouera et que la dure réalité d’une présence israélienne définitive rentrera dans les têtes.
Sans égard pour nos sentiments au sujet d’un Etat unique, il est grand temps que nous commencions à nous préparer conceptuellement et stratégiquement à une telle éventualité, ainsi qu’à la lutte qu’une campagne anti-apartheid exigera.
Je propose ci-après quelques éléments qui pourraient contribuer à cet effort de réflexion :
1 – Dans notre définition d’une campagne en vue d’un Etat unique, nous devons insister sur le fait qu’aussi fortement qu’Israël puisse protester, ce sont seulement ses propres politiques de colonisation et d’annexion qui sont responsables de l’inéluctabilité de cette solution.
Dès lors qu’un « Etat » palestinien – cum – bantoustans, seule alternative maintenue par Israël, est totalement inacceptable et infaisable, Israël s’est lui-même attiré sur la tête la solution à un seul Etat. Une solution à deux Etats qui laisserait Israël intact a été proposée tant par les Palestiniens que par la Ligue Arabe, à travers l’initiative saoudienne. Et de fait, cette dernière est une des références fondamentales de la feuille de route.
Comme dans le précédent de l’Afrique du Sud, toutefois, où l’apartheid avait été instauré par les gouvernements blancs afrikaaner successifs, Israël ne peut s’en prendre qu’à lui-même de ce qu’il a lui-même provoqué, par ses propres colonies et sa propre politique d’occupation, à savoir : un Etat unique.
En dépit de mises en garde répétées venues du camp de la paix non bêlant, les gouvernements israéliens successifs – tant travaillistes que Likoud – ont enfermé le pays dans cette voie sans issue.
L’opinion publique israélienne n’est peut-être effectivement pas favorable à la vision du « Grand Eretz Israël » (des sondages récents ont montré que 65 % des Israéliens souhaiteraient une « séparation » d’avec les Territoires occupés), le soutien qu’elle apporte à des gouvernements qui poursuivent une telle politique la rende complice et finalement responsable de cette politique.
Si la feuille de route échoue, c’est dans une grande mesure à cause de l’indifférence des Israéliens devant la subversion de cette initiative de paix par leurs propres dirigeants. Faire volte-face et aller se plaindre que l’exigence d’un seul Etat démocratique s’étendant à l’ensemble du pays serait « anti-israélienne » et « anti-sioniste » serait une attitude effrontément hypocrite.
Quand la lutte en vue de deux Etats deviendra – comme, j’en suis persuadé, elle le fera – une lutte en vue d’un seul Etat démocratique, nous devons rendre clair comme du cristal de roche que cette évolution résulte exclusivement du refus d’Israël de concéder un Etat palestinien viable ne fût-ce que sur seulement 22 % de la Palestine historique.
Sans doute la prise de conscience du mur vers lequel Israël est en train de se précipiter finira-t-elle par amener son opinion juive à rejeter les politiques, les partis et les dirigeants qui prônent le maintien de l’occupation. Lorsque ce sera le cas, l’option à deux Etats doit être reconsidérée.
En attendant que cela arrive, toutefois, la priorité d’une campagne politique pour un unique Etat a été dictée par Israël lui-même (j’y insiste).
2 – Nous devons faire passer le point focal de nos efforts de la fin de l’occupation ( chose dont, la feuille de route ayant échoué, tout le monde devrai admettre qu’elle ne se produira jamais) à la réalisation d’un Etat démocratique.
Le slogan « Une Personne = Une Voix » devra fournir la base d’un appel à la mobilisation générale pour un mouvement international qui doit ambitionner d’atteindre l’ampleur et l’efficacité de la campagne contre l’apartheid sud-africain. Et il est de fait que l’émergence d’un Etat unique en tant qu’objectif ayant fait l’objet d’un consensus, chose qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut, rendra l’organisation de cette mobilisation beaucoup plus aisée.
D’ici là, et en même temps, nous devons, bien entendu, continuer à nous opposer à l’occupation et à toutes ses conséquences, dont la répression continue contre le peuple palestinien.
Nous pourrions même défendre certaines étapes intermédiaires, tel un protectorat international sur les régions palestiniennes, afin de geler le processus inexorable d’incorporation des territoires à Israël, tout en protégeant la population civile.
Nous devons néanmoins nous préparer à l’issue la plus probable : une campagne contre l’apartheid et pour un Etat (unique) démocratique.
3 – Nous devons inscrire notre campagne dans le langage et dans les exigences des droits de l’Homme et de la légalité internationale. Une campagne pour un Etat démocratique est destinée à garantir les droits de tous les habitants du pays ; elle ne saurait être dirigée contre le peuple israélien ni chercher d’une quelconque manière à déligitimiser la société ou la culture israélienne.
Dès lors que nous soutiendrons la thèse que la sécurité et le bien-être de tous les peuples de la région ne peut être garantie que grâce à une solution politique qui prenne en compte les droits humains de chaque personne et que l’autodétermination nationale devra trouver son expression dans le contexte d’une Union régionale du Moyen-Orient, nous devons présenter l’Etat unique démocratique comme un vecteur qui facilitera la garantie des droits collectifs et individuels et ne représentera en aucun cas une menace.
Le fait que l’occupation et l’apartheid représentent des défis fondamentaux pour un monde régi par les droits de l’Homme et le droit devrait aussi constituer un message essentiel.
Le conflit israélo-palestino-arabe étant emblématique pour les univers arabe et musulman, la notion que le système international ne saurait trouver de stabilité (y compris une réponse au terrorisme) sans que ce problème, en particulier, ne soit résolu contribuera à n’en pas douter à susciter un intérêt très large pour les effets (néfastes) de ce conflit (à résoudre d’urgence).
4 – Nous devons exhorter l’opinion juive en Israël et dans la diaspora à limiter les souffrances constatées durant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud en s’engageant de manière proactive dans ce qui est la meilleure opportunité de trouver une solution juste, sûre et positive à un conflit insoluble autrement.
Avant tout, ce dont il était question, avec le sionisme, c’était que les juifs prennent en main la responsabilité de leur propre destin. L’idée d’un Etat juif a apporté la démonstration qu’elle était politiquement, et finalement, moralement, injustifiable.
Il est grand temps de sauvegarder les aspects positifs d’Israël ; sa culture nationale vibrante, sa société, ses institutions et son économie, en le débarrassant de ce qui ne peut être maintenu : la « propriété » exclusive d’un pays dans lequel les juifs représenteront, sous peu, une minorité.
5 – Nous devons recréer un mouvement international similaire au mouvement anti-apartheid. Cela sera difficile : Israël bénéficie d’une crédibilité et de soutiens bien plus grands que n’en avait l’apartheid.
Mais nous trouverons le moyen de fédérer les nombreuses ONG disparates et autres groupes militants dans un réseau cohérent et coordonné se focalisant sur la solution de l’Etat démocratique en elle-même, puis qui les fusionnera dans un mouvement mondial qui ira bien au-delà de nos différentes associations et réseaux.
L’Etat Uni de Palestine/Israël : Craintes et Chances
Bien que la création d’un Etat démocratique unitaire en Palestine était depuis longtemps au programme de l’OLP, elle représente aujourd’hui pour beaucoup de Palestiniens une option réellement éprouvante.
Même s’il acquiert une majorité palestinienne, un Etat unique devra intégrer une société juive israélienne très puissante, avec sa culture, ses institutions et son économie, qui, comme dans le cas des Européens en Afrique du Sud, ne disparaîtront pas du jour au lendemain, ce qui n’est d’ailleurs absolument pas souhaitable.
En plus d’avoir à partager un Etat avec autrui, et donc de ne pas parvenir à une totale autodétermination, certains Palestiniens redoutent de devenir une sous-classe subordonnée dans leur propre pays. Ainsi, en dépit de leurs très graves doutes au sujet de sa mise en application, nombreux sont les Palestiniens à s’accrocher à la feuille de route et à ne pas vouloir envisager l’abandon de la « solution » à deux Etats.
Pour les Israéliens, aussi, la perspective d’un seul Etat est manifestement difficile. Effectivement, l’existence même de l’Etat juif-israélien rend sa transformation en un Etat unique incluant une majorité de Palestinien d’autant plus menaçante, à leurs yeux. Cela signifie la fin du sionisme, la fin d’un Etat juif en tant qu’Etat juif. Mais l’opinion juive ne peut s’en prendre qu’à elle-même.
En dépit d’avertissements renouvelés d’intellectuels du camp de la paix non bêlant, elle a permis aux gouvernements israéliens successifs – tant travaillistes que Likoud – de l’enfermer dans cette situation désespérante.
La solution « à deux Etats » envisagée par tous les gouvernements israéliens, depuis 1967, à savoir celle en réalité d’un mini-Etat palestinien réduits à des cantons dépendant (ou non) de la Jordanie est tout simplement inacceptable, non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour la communauté internationale.
Non seulement elle ne répond en rien aux besoins des Palestiniens, ce qui ne peut conduire qu’à un conflit sans fin, mais, de par sa nature de système d’apartheid, elle implique des violations massives des droits humanitaires et du droit international.
Bien que nous, membres de la société civile internationale, devions nous tenir prêts à lutter contre l’apartheid israélien, de la même manière exactement que nous avons combattu l’apartheid sud-africain en dépit du soutien apporté à ce régime par les Etats-Unis et d’autres pays, nous devons partir du principe qu’une nouvelle situation d’apartheid ne saurait être tolérée par la communauté internationale et ne peut donc tenir lieu de « solution » politique.
En tant qu’Israélien, je dois dire que la perspective d’un seul Etat rassemblant nos deux peuples m’enthousiasme plus qu’elle ne m’effraie. Même sans l’occupation, la notion d’un Etat juif est démographiquement impossible, et Israël est confrontée à une transformation inexorable.
La plupart des juifs (près de 75 %) n’ont jamais mis les pieds en Israël. S’ils avaient eu le choix, la plupart des juifs auraient préféré émigrer ailleurs qu’en Israël.
La majorité juive n’est aujourd’hui que de 72 % de la population totale d’Israël, et elle diminue en raison de l’accroissement de la population des Palestiniens citoyens d’Israël, de l’influx de quelque 400 000 immigrants non-juifs venus de l’ex-Union soviétique, et d’une émigration à grande échelle (on estime que près d’un demi-million de juifs israéliens vivent à l’étranger de manière permanente).
Maintenir un Etat dit "juif" sur une base aussi étroite devient de moins en moins soutenable. Les mesures qu’Israël doit prendre afin d’assurer son « identité juive » prennent un caractère de plus en plus répressif.
La loi interdit aux "non-juifs" d’acheter, de louer, de donner en location ou de vivre sur les « terres d’Etat », lesquelles représentent 75 % de la superficie du pays.
Les Palestiniens citoyens d’Israël – presque 20 % de la population – sont confinés sur 2 % du territoire. Il y a seulement quelques semaines, la Knesset a adopté une loi empêchant les Palestiniens citoyens d’Israël d’amener leurs conjoints originaires des Territoires occupés en Israël.
Un Israël appartenant à tous ses citoyens et, au-delà, un Etat démocratique d’Israël – Palestine nous libérera enfin de l’angoisse de la « bombe démographique » et nous conduira à nous engager de manière productive dans la région du Moyen-Orient.
Ce « retour à la maison » n’était-il pas, après tout, un des buts cardinaux du sionisme, comme l’était la création d’une culture et d’une société israéliennes qui ne pouvaient connaître leur épanouissement que dans les conditions du développement régional ?
L’offre saoudienne d’une intégration d’Israël dans la région du Moyen-Orient est une claire indication qu’il s’agit là de bien plus qu’une éventualité : une réelle possibilité.
Comme l’ont affirmé avec force des sionistes culturels tels Ahad Ha-am, Martin Buber et Judas Magnes, l’identité nationale juive ne requiert aucun Etat propre, mais seulement un espace culturel où elle puisse se développer et s’épanouir. En dépit de toutes ses insuffisances, l’Etat d’Israël a assuré cet espace culturel.
La vitalité de la culture, de la société, de la vie politique et de l’économie israéliennes ne dépend plus désormais d’une structure étatique, d’une sorte de « pépinière » politique.
L’ « israélité » a atteint un stade de maturité tel qu’elle n’a plus besoin de la protection d’un Etat et qu’elle est même, en réalité, freinée par cet Etat, étant donné que les conflits que l’Etat génère obèrent un développement culturel et social normal.
Un véritable retour à la maison dans lequel les « indigènes » israéliens s’engageraient, côte à côte avec leurs voisins, dans la construction d’un Moyen-Orient en paix marquerait, si vous voulez, le triomphe ultime du sionisme (« triomphe » s’entend dans l’absolu, et en aucun cas au détriment de quiconque).
Reste que deux réserves majeures des juifs devant un Etat unique doivent être relevées et on doit y répondre. Premièrement, la question de l’autodétermination. Pour les juifs nationalistes, la question du développement culturel était conditionnée au besoin ressenti de contrôler leur destin et de ne jamais plus dépendre des autres, étant donné l’histoire des persécutions dont les juifs ont été les victimes.
Dès lors que l’immense majorité des juifs ont choisi d’aller vivre outre-mer et non en Israël (y compris, je le rappelle, une proportion considérable des juifs israéliens eux-mêmes), cette objection semble discutable.
Et discutable, elle l’est doublement, étant donné que la majorité juive en Israël est en train de diminuer, et que ce contrôle (juif) exclusif ne peut être concilié avec la démocratie. Pour le meilleur ou pour le pire, les contradictions internes entre le contrôle de sa propre destinée et la vie en tant que minorité parmi d’autres sont devenues trop importantes pour être résolues.
Les militants pacifistes en Israël, dont nous faisons partie, diraient que la sécurité des juifs est mieux protégée dans un ordre mondial inclusif fondé sur le respect des droits de l’Homme et du droit international. L’autre objection à un Etat unique tourne autour de la question du refuge (pour les juifs).
Où les juifs pourraient-ils trouver refuge en cas de besoin ? est une question pertinente étant donné l’expérience juive (y compris les expériences récentes vécues par les juifs éthiopiens).
Si la vision d’un Etat unique est fondée sur la conviction que les juifs israéliens et les Palestiniens peuvent vivre ensemble en paix, cette préoccupation devrait être prise en compte par un article de la constitution du nouvel Etat spécifiant que tant les juifs que les Palestiniens jouissent du droit à revenir dans le pays, et que les membres des deux peuples ayant besoin d’y trouver refuge y seront acceptés de droit.
La simple adoption d’une telle loi contribuerait dans une très grande mesure à assurer chacun des deux peuples des bonnes intentions de son partenaire.
Pour les Palestiniens, aussi, la perspective d’un Etat unique ne doit pas apparaître comme une concession à l’idée de l’autodétermination dans un Etat qui leur appartiendrait en propre. Un Etat unique garantirait aux Palestiniens accès à l’ensemble du pays et résoudrait entièrement la question du retour des réfugiés.
Les Palestiniens étant devenus la majorité de la population entre le Jourdain et la Méditerranée d’ici dix ans, ils pourront exercer dans une considérable mesure leur autodétermination et leur volonté et par conséquent, dans une large mesure, donner au pays sa personnalité. Le problème de l’expression nationale palestinienne reste néanmoins posée.
Depuis 1948, la personnalité même du peuple palestinien a totalement changé, d’un peuple vivant sur sa terre natale en une nation vivant en diaspora comprenant les réfugiés, ces « éternels déplacés », et ceux des Palestiniens qui ont refait leur vie à l’étranger.
La Diaspora palestinienne, vitale, jouera un rôle clé dans le développement du secteur palestinien, ainsi que dans celui de l’Etat dans son ensemble, et elle fournira un indispensable contrepoids à l’hégémonie israélienne interne à cet Etat.
Bien que l’échec de la feuille de route signale la fin de deux nationalismes – le nationalisme juif israélien et le nationalisme palestinien – la perspective d’un Etat démocratique unitaire offre l’intégration, la sécurité, le développement, un mode de vie bien plus orienté vers le monde moderne que des Etats étroits et sectaires.
Si la feuille de route échoue, et avec lui la solution à deux Etats, on peut espérer qu’Israël saisira de manière proactive l’opportunité de créer, pour lui-même et pour ses voisins, un Moyen-Orient pacifique, dans lequel les juifs israéliens et les Palestiniens, ensemble, prendront leur place parmi les forces actives sur la voie de la démocratie et du développement.
Source : www.Zmag.org
Traduction : Marcel Charbonnier
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Un Etat Unique
Jeff Halper
16 septembre 2003