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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

Les Palestiniens : Parcage d'un "Peuple en trop"

Par

> jeff@icahd.org

Jeff Halper dirige le Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD).

La rapidité avec laquelle intervient un changement systématique au sein de cette entité indivisible (sic !) connue sous le nom d'Israël/Palestine est telle qu'elle met au défi nos capacités à y faire face. La campagne délibérée et systématique ayant eu pour objectif de jeter les Palestiniens hors du pays en 1948 a été rapidement oubliée, et le sort subi par plus de 700.000 Palestiniens est devenu une question invisible qui ne se pose même pas.

Les Palestiniens : Parcage d'un 'Peuple en trop'


Au lieu de cela, un Israël plein de cran, européen et "socialiste" a surgi comme le chéri de tous y compris de la gauche radicale, éclipsant complètement la campagne de nettoyage ethnique qui a permis sa naissance.

De même, et jusqu'au déclenchement de la première Intifada à la fin de l'année 1987, l'occupation par Israël en 1967 de la Cisjordanie , de Jérusalem-Est et de Gaza est restée une question virtuelle ne se posant même pas. Le seul aspect du conflit qui est apparu sur les radars de la population a été celui de l'équation entre Palestiniens et terrorisme.

Jusqu'au début des négociations d'Oslo en 1993, même la mention du mot "occupation", sans parler du mot "Palestiniens", vous aurait conduit à être traité d'antisémite, ces mots étant encore de nos jours rarement utilisés en Israël. Même lorsque le conflit sinon l'occupation en soi sont devenus une question internationale, Israël a régulé le domaine fondamental des relations publiques.

L'argument le plus parlant utilisé à l'encontre de la lutte des Palestiniens repose sur la notion largement répandue selon laquelle Arafat a refusé "l'offre généreuse" de Ehoud Barak à Camp David.

La réalité des faits sur cette question, qui a disparue en cours de route, est qu'il n'y a jamais eu "d'offre généreuse" et que même si Barak avait offert 95 % des Territoires occupés (à l'instar d'Olmert qui en a récemment "offert" 93 %), un état palestinien n'aurait représenté guère plus qu'un bantoustan sud-africain tronqué et non viable sur moins de 20 % de la Palestine historique.

La seule chose qui en reste, c'est un Arafat à nouveau démonisé. Ensuite, l'emprisonnement par Sharon du président palestinien dans une sombre salle de son quartier général en ruines l'a politiquement éliminé -- et je le crois aussi physiquement --, emprisonnement qui n'a donné lieu à aucune opposition ou même critique au sein de la communauté internationale.

De fait, les efforts déterminés de groupes appartenant à la société civile partout dans le monde (associations politiques et pour les droits humains, gens d'église et militants juifs radicaux, syndicats, intellectuels et même quelques politiques connus, et ce tant en Israël qu'à l'étranger) ont permis au cours de plus ou moins la dernière décennie à élever l'occupation au statut de question globale.

Néanmoins, dès que le concept de l'occupation a commencé à prendre, il a été rapidement supplanté par la politique effrénée d'Israël en matière d'expansion des "faits acquis sur le terrain". Car une occupation est définie au titre du droit internationale comme "une situation militaire temporaire".

La création de plus de 200 colonies et avant-postes dans les Territoires occupés, regroupés en sept grands "blocs" de colonies dans lesquels sont ancrés plus de 20 importants centres urbains qui sont inextricablement rattachés à Israël proprement dit grâce à un large réseau routier réservé au seul usage des Israéliens, et aussi depuis peu la Barrière de sécurité, tout cela a donné à l'occupation un caractère permanent.

Un système israélien, indivisible, et qui n'est plus ni temporaire ni fondé sur la sécurité, s'est étendu entre la Méditerranée et le Jourdain. Tous ceux qui ont voulu voir les choses en face ont décrypté la vérité : qu'ils soient ou pas en faveur d'une solution à deux états, l'occupation a accouché d'un système d'apartheid à titre permanent. C'est à ce jour une réalité de facto.

Si le "processus d'Annapolis" se déroule pour Israël conformément à ses plans, cela deviendra un système d'apartheid de jure, intelligemment vendu comme la "solution à deux états" et avec l'approbation d'un dirigeant collaborationniste palestinien.


De toute façon, Annapolis n'a pas réellement d'importance. Israël sait que pas plus les Palestiniens que la société civile internationale n'accepteront l'apartheid. Son rôle n'a d'autre but que celui des divers "processus politiques" au cours des quatre dernières décennies : rejeter toute solution qui contraindrait Israël à faire des concessions importantes tout en lui donnant la couverture politique et le temps nécessaire pour créer des fait irréversibles sur le terrain.

"L'occupation" israélienne s'est déplacée au-delà de l'apartheid, dont le terme même est devenu démodé alors qu'il avait commencé à gagner en acceptation au sein d'un large mouvement de protestation et de tollés. Ce qui s'est passé devant nous tous, ce que nous aurions dû voir mais pour lequel nous n'avions pas de référentiel, c'est un système de parcage, une situation statique vidée de tout contenu politique. "Ce qu'Israël a construit", dit Naomi Klein dans son nouveau livre au contenu puissant "The Shock Doctrine", c'est
"un système, ... un réseau d'enclos pour contenir des millions de gens qui ont été classés dans la catégorie des surplus de l'humanité... Les Palestiniens ne forment pas l'unique peuple au monde qui a ainsi été catégorisé... La mise à l'écart de 25 à 60 % de la population porte l'empreinte de la croisade menée par l'École de Chicago [d'Économie]... En Afrique du Sud, en Russie et à la Nouvelle-Orléans, les riches ont construit des murs les entourant. Israël a conduit ce processus de rejet encore plus loin : il a bâti un mur autour des pauvres jugés dangereux" (p.442)

Les faits acquis sur le terrain enregistrés par Israël forment l'expression physique d'une politique qui a pour objectif de dé-politiser, et donc de normaliser le contrôle qu'il exerce. Le conflit israélo-palestinien n'est pas présenté comme un conflit ayant des "parties" en cause et une dynamique politique.

Au lieu de cela, on le range dans la "guerre contre le terrorisme", une bataille ayant pour donnée l'élimination de toute référence à l'occupation -- ou qui est présentée comme irrecevable -- et qu'Israël nie imposer. Et comme le "terrorisme" et le "clash des civilisations" qui sous-tend cette donnée sont présentés comme allant de soi et comme donnée permanente, elle prend la forme d'une question qui ne se pose même pas, un status quo (terme officiel israélien pour définir sa politique à l'égard des Palestiniens) qui ne peut faire l'objet ni de solution ni de processus de négociation.

Si les terroristes et autres personnages du même genre -- les prisonniers, les immigrants illégaux, les habitants des bidon-villes et les pauvres, les victimes aigries d'opérations anti-insurgés, les adeptes des religions du "mal", les idéologies ou les cultures, pour n'en citer que quelques uns -- deviennent des accessoires permanents qu'il faut gérer plutôt que des personnes dont les griefs, les besoins et les droits nécessitent d'être pris en charge, c'est alors que les prisons, y compris les prisons/assignations à résidence aussi vastes que Gaza, les Territoires palestiniens occupés au grand complet et des populations et régions entières, deviennent pour eux l'avant-dernière solution.

Alors, le parcage devient le meilleur terme, sinon le plus terrible, pour définir ce qu'Israël met en place pour les Palestiniens des Territoires occupés.

C'est bien pire, sur de nombreux plans, que les bantoustans de l'ère de l'apartheid sud-africain. Les dix "réserves" non-viables créées par l'Afrique du Sud pour la majorité noire africaine sur seulement 11 % du pays étaient sans conteste une forme de mise en stockage. Ceux-ci avaient pour objectif de fournir à l'Afrique du Sud une main-d'oeuvre peu chère tout en lui permettant de se débarrasser de sa population noire, et rendant alors possible une "démocratie" dominée par des Européens. C'est précisément ce qu'Israël veut faire -- via un bantoustan palestinien clos sur environ 15 % de la Palestine historique -- mais avec une sérieuse limite : les travailleurs palestiniens ne seront pas autorisés à entrer en Israël.

Ayant découvert une main d'oeuvre peu chère formée de quelque 300.000 travailleurs étrangers importés de Chine, des Philippines, de Thaïlande, de Roumanie et d'Afrique de l'Ouest et complétée par ses propres citoyens Arabes, Mizrahi, Éthiopiens, Russes et Est-Européens, Israël peut se permettre de garder les Palestiniens enfermés tout en les empêchant d'avoir une économie viable et qui leur soit propre grâce à un libre accès aux pays arabes voisins.

Quel que soit l'angle de vue, qu'il soit historique, culturel, politique ou économique, les Palestiniens ont été définis comme "une humanité en trop", et il n'y a rien de plus à faire avec eux à part les stocker, ce que la communauté internationale semble permettre à Israël de faire.

Comme la mise en stockage est un phénomène global et qu'Israël devient précurseur quant à sa modélisation, ce qui arrive aux Palestiniens devrait préoccuper tout un chacun.
Cela peut constituer un tout nouveau crime contre l'humanité, et dès lors devrait relever de la juridiction universelle des tribunaux mondiaux, au même titre que les autres horribles violations des droits humains.

Dans ce sens, "l'occupation" israélienne a des implications qui vont bien plus loin qu'un conflit localisé entre deux peuples. Si Israël peut mettre en forme et exporter sa Matrice de contrôle en forme de mille-feuille, un système de répression permanente combiné à une administration kafkaïenne, à la loi et à une planification ayant des formes ouvertement coercitives de contrôle sur une population particulière qui est cernée par des ensembles communautaires infranchissables (les colonies en l'espèce), des murs et différents obstacles empêchant tout mouvement, alors, comme l'écrit crûment Naomi Klein, n'importe quel pays pourra ressembler à Israël/Palestine : "Une partie ressemble à Israël, l'autre ressemble à Gaza". En d'autres termes, une Palestine Globale.

Expliquer pourquoi Israël se sent peu concerné par la mise en place d'un véritable processus de paix et la résolution du conflit avec les Palestiniens est un dur et long chemin. Car en les parquant ainsi, Israël obtient le meilleur des deux mondes : une liberté totale pour étendre ses colonies, et exercer le contrôle sans jamais avoir à faire de compromis comme toute solution politique l'exigerait. Pareillement, cela explique pourquoi la communauté internationale laisse Israël "se débarrasser" d'eux.

Au lieu de présenter à la communauté internationale des problèmes épineux à résoudre -- violations des droits humains, droit international et résolutions successives des Nations unies, sans parler des implications de ce conflit sur la politique internationale et l'économie -- Israël est au contraire vu comme fournissant un service à valeur ajoutée : celui de développer un système grâce auquel les "populations en trop" pourront partout être contrôlées, gérées, et maîtrisées.

Israël se met alors en synchronisation complète avec tant la logique économique que militaire du capitalisme global, et en est largement récompensé.

Notre erreur, confortée par des termes tels que "conflit", "occupation" et "apartheid", est de voir le contrôle des Palestiniens par Israël comme une question politique qui doit être résolue. Au lieu de cela, la "résolution" interviendra lorsque les Palestiniens auront "disparu", à l'instar des peuples "disparus" en Amérique du Sud sous régime militaire.

Dov Weisglass, l'architecte du "désengagement" de Gaza sous le gouvernement Sharon, n'a rien dit d'autre dans une interview révélatrice ("La grande congélation", Haaretz Magazine, 8 oct. 2004) :

"Le plan de désengagement, c'est le milieu de conservation de la séquence principale. C'est la bouteille de formol dans laquelle vous mettez la formule du président [Bush -- selon laquelle Israël peut garder les blocs de colonies, y compris le Grand Jérusalem] afin de pouvoir la conserver pendant très très longtemps.
Le désengagement, en réalité, c'est ça : c'est du formol. Il fournit la quantité de formol nécessaire pour s'assurer qu'il n'y ait pas de processus politique d'engagé avec les Palestiniens
."

Ce que vous dites-là signifie-t-il que vous avez changé de stratégie, passant d'une stratégie d'accord intérimaire à long terme à une stratégie de situation intérimaire à long terme ?

"L'expression américaine, pour cela, c'est : «trouver une bonne place pour garer sa voiture». Le plan de désengagement permet à Israël de bien se garer, dans une situation intérimaire qui nous éloigne autant que faire se peut de toute pression politique. Il légitime notre affirmation qu'il n'y a aucune possibilité de négocier avec les Palestiniens. Il s'agit bien là, en la matière, de la décision d'en faire le moins possible, afin de maintenir notre position politique en l'état. La décision est auto-réalisatrice.
Elle permet aux Américains d'aller voir une communauté internationale furibarde et prête à exploser, et de lui dire : «C'est ce que vous voulez». Il replace l'initiative entre nos mains. Il impose au monde de s'accommoder de notre idée, du scénario que nous avons écrit nous-mêmes..."


Le parcage constitue le concept politique le plus absolu, parcequ'il représente une dépolitisation de la répression, la transformation d'une question politique de base en question qui ne se pose même pas, une situation regrettable mais inévitable qui doit être bien mieux traitée grâce à des secours, de la charité et des programmes humanitaires.

C'est une impasse, un "accommodement", pour lequel il n'y a pas de remède. Ceci, bien sûr, n'est pas le cas, et nous ne pouvons laisser les choses être présentées ainsi. La mise en stockage constitue une politique dérivée des intérêts particuliers des super-puissances.

L'usage que nous faisons du terme "parcage" doit alors être effectué pour "nommer la chose" en vue de nous en donner à tous une idée, et à tout le mieux pour la combattre et la mettre en échec. A nouveau, Israël fournit un exemple instructif (et poignant).

Malgré le pouvoir illimité et incontrôlé que détient Israël sur tous les éléments de la vie des Palestiniens, incluant l'aide active des USA, de l'Europe et de la majorité de la communauté internationale y compris quelques-uns des pays arabes et musulmans, Israël a échoué à imposer tant l'apartheid que la mise en stockage.

La résistance palestinienne continue, soutenue par les peuples arabes et musulmans, par des franges significatives de la société civile internationale et par le camp des pacifistes radicaux israéliens. L'effet déstabilisant du conflit sur le système international prend de l'ampleur, de telle façon que cela finira par forcer la communauté internationale à intervenir en fin de compte. Pas plus les Israéliens que les Américains (avec la complicité de l'Europe) ne peuvent, malgré leur pouvoir illimité, forcer les Palestiniens au sort auquel ils les destinent.

Dès lors, le terme "parcage", même s'il s'applique à un phénomène réel,doit aussi être compris comme un avertissement. Nous devons continuer nos efforts pour mettre fin à l'occupation israélienne, et ce même si cela doit conduire en fin de compte à la création d'un authentique Palestine/Israël ou d'une confédération régionale plus large, plutôt qu'à une solution d'apartheid-à-deux-états ou au parcage.

Voir la Palestine comme le microcosme d'une réalité globale plus vaste de parcage nous permet à tous de bien mieux identifier ces éléments apparaissant ailleurs, et à prendre la mesure de ce qu'Israël développe, le tout pour mieux s'y opposer.

Quand même, si notre langage et l'analyse qui en découle doit non seulement être honnête et implacable, il faut avancer au même rythme que les intentions politiques et les "faits acquis sur le terrain" qui avancent à grands pas.


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