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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Quand la Feuille de Route est une route à sens unique : la stratégie d'Israel pour une occupation permanente

Par

Jeff Halper est le Coordinateur du Comité israélien contre les Démolitions de Maisons (ICAHD), et candidat, avec le militant pacifiste palestinien Ghassan Andoni, pour le Prix Nobel de la paix en 2006. Il peut être joint à l'adresse suivante : jeff@icahd.org.

On pourrait penser que la lutte à l'intérieur de la communauté juive d'Israël se situe entre la Droite qui veut maintenir les colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie afin de "réaliser" le Grand Israël en tant que pays juif, et la Gauche qui cherche une solution à deux Etats avec les Palestiniens et est donc prête à renoncer à un nombre suffisant de "territoires", si ce n'est la totalité, afin qu'un État palestinien viable puisse émerger.
Ce n'est pas vraiment le cas.

Les sondages et la composition du gouvernement israélien donnent à penser que, peut-être, un quart des Juifs israéliens font partie du premier groupe, la ligne dure, alors que pas plus de 10% soutiennent un retrait complet des territoires occupés (pratiquement aucun Juif israélien n'utilise le terme "occupation", qu'Israël nie).

La grande majorité des Juifs israéliens, qui va des libéraux du Meretz en passant par le parti Travailliste et Kadima jusqu'à l'aile Droite "libérale" du Likoud, à l'exception seulement des Partis religieux et de l'Extrême Droite menée par l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu et l'actuel ministre des Affaires stratégiques, Avigdor Lieberman, partage un large consensus : à la fois pour des raisons de sécurité et en raison des "faits sur le terrain" d'Israël, les Arabes (c'est ainsi que nous, (les Israéliens) appellons les Palestiniens) devront se satisfaire d'un mini-Etat tronqué ne représentant que 15 à 20% du pays entre la Méditerranée et le Jourdain.

De plus, il est accepté que la décision de renoncer à toute surface de territoire est une décision exclusivement israélienne. Nous pouvons proposer aux Palestiniens une certaine forme d'"offre généreuse" s'ils se comportent bien et si cela sert notre objectif, mais toute initiative dans le sens de la "paix" doit être unilatérale.

Les Palestiniens peuvent indiquer une préférence, mais la décision est la nôtre et seulement la nôtre.

Notre pouvoir, notre préoccupation globale pour la sécurité et le fait que les Arabes ne comptent pas (sauf en tant que facteur de nuisance) limite tout processus de paix, au mieux, à une volonté de leur accorder un petit bantoustan sur quatre ou cinq cantons, tous encerclés par les colonies israéliennes et l'armée.

Le contrôle israélien sur l'ensemble du pays d'Israël, que ce soit pour des raisons sécuritaires, religieuses ou nationales, est une donnée qui ne doit jamais être compromise.

C'est, bien sûr, totalement inacceptable pour les Palestiniens. Cela en soi n'a pas d'importance, mais cela soulève un problème fondamental. Dans toute véritable négociation menant à un accord juste, durable et mutuellement accepté, Israël devra renoncer à bien plus que ce qu'il est prêt à faire.

Des négociations doivent avoir lieu de temps en temps, ne serait-ce que pour donner à Israël l'image d'un pays qui recherche la paix -- Annapolis étant simplement la dernière comédie --, mais elles ne pourront jamais conduire à une véritable percée, car les deux tiers des Juifs soutiennent une présence permanente israélienne dans les territoires occupés, qu'elle soit civile ou militaire, ce qui exclut un État palestinien viable.

Comment, alors, Israël conserve-t'il ses principales colonies, le "Grand" Jérusalem et le contrôle du territoire et des frontières sans apparaître intransigeant ?

Comment peut-il maintenir son image de seul demandeur de paix et de victime du terrorisme arabe, cachant ainsi sa propre violence, et le fait même de l'occupation en vue de rejeter la faute sur les Palestiniens ?

La réponse aux 40 dernières années d'occupation est le statu quo, le retard, et pendant ce temps, les colonies se développent tranquillement et notre emprise sur la Judée et Samarie (encore une fois, nous n'utilisons pas les termes "occupation" ou "territoires occupés" en Israël, et encore moins "Palestinien") se renforce.

Il suffit d'observer la période préparatoire d'Annapolis et les négociations qu'Israël promet.

Le Premier ministre israélien Ehud Olmert a récemment déclaré que "Annapolis était une étape décisive sur la voie des négociations et un véritable effort pour parvenir à la réalisation de la vision de deux nations : l'Etat d'Israël -- la nation du peuple juif et l'Etat palestinien -- la nation du peuple palestinien". Cela paraît bien, n'est-ce pas ?

Maintenant regardez les conditions préalables qu'Israël a imposées seulement au cours des deux semaines avant Annapolis :

Redéfinir la phase 1 de la Feuille de Route.
La première phase de la Feuille de Route, qui est à la base même des négociations, demande à Israël de geler ses colonies de peuplement.
C'est une chose qu'Israël ne fera pas évidemment. Ainsi, sur la base d'une lettre que l'ancien Premier Ministre, Ariel Sharon, a reçu du Président Bush en 2004 -- un changement fondamental dans la politique américaine, mais qui n'engage pas les autres membres du Quartet de la Feuille de Route, l'Europe, la Russie et l'ONU - - Israël a annoncé qu'il définissait les secteurs considérés comme "occupés" par le Quartet comme n'étant que les secteurs ne relevant pas de ses grands blocs de colonisation et du "Grand" Jérusalem.
Ainsi, de manière unilatérale, Israël (et apparemment les USA) ont réduit le territoire à négocier avec les Palestiniens de 22% à seulement 15%, et qui est tronqué en cantons morcellés.


Exiger une reconnaissance d'Israël en tant qu'"État juif".
Les Palestiniens sont tenus de reconnaître officiellement l'état d'Israël. Ils l'ont déjà fait en 1988 quand ils ont accepté la solution à deux Etats, dès le début du processus d'Oslo et à maintes reprises au cours des deux dernières décennies.
Voici maintenant une nouvelle demande : qu'avant toute négociation, ils reconnaissent Israël en tant qu'État juif.
Non seulement cela introduit un élément tout à fait nouveau qu'Israël sait très bien que les Palestiniens n'accepteront pas, mais il porte préjudice au statut d'égalité des citoyens palestiniens d'Israël, environ 20% de la population israélienne. Cela ouvre la voie au transfert, à la purification ethnique.
Tzipi Livni, le Ministre israélien des Affaires étrangères, a récemment déclaré dans une conférence de presse que l'avenir des citoyens arabes d'Israël se trouvait dans un futur Etat palestinien, et non en Israël lui-même.


Création d'obstacles politiques insurmontables.
Deux semaines avant la convocation d'Annapolis, le parlement israélien, la Knesset, a adopté une loi exigeant une majorité des deux tiers pour approuver tout changement dans le statut de Jérusalem, un seuil impossible à atteindre.


Retard dans la mise en œuvre.
OK, le gouvernement israélien dit, nous allons négocier. Mais la mise en œuvre de tout accord devra attendre l'arrêt total de toute résistance de la part des Palestiniens.
Compte tenu du fait qu'Israël considère toute résistance, armée ou non violente, comme une forme de terrorisme, cela créé encore un autre obstacle insurmontable avant tout processus de paix.


Déclarer un Etat palestinien "transitoire".
Si tout le reste échoue -- négocier vraiment avec les Palestiniens ou renoncer à l'occupation ne sont pas une option -- les États-Unis, à l'instigation d'Israël, peuvent s'arranger pour laisser tomber la phase 1 de la Feuille de Route et passer directement de la phase 2, qui demande d'abord un Etat palestinien "transitoire", à la phase 3, dans laquelle ses frontières actuelles, son territoire et sa souveraineté sont acceptés.
C'est le cauchemar des Palestiniens : être enfermés indéfiniment dans le flou d'un Etat "transitoire".
Pour Israël, c'est l'idéal, car cela offre la possibilité d'imposer des frontières et de s'étendre encore dans les secteurs palestiniens de façon unilatérale, puisque son fait accompli est uniquement "transitoire", ce qui semble se conformer à l'obligation de la Feuille de Route de décider des questions définitives par des négociations.


Le résultat final, vers lequel Israël progresse délibérément et systématiquement depuis 1967, ne peut être appelé qu'apartheid, ce qui signifie "séparation" en Afrikaner, justement le terme qu'Israël utilise pour décrire sa politique (hafrada en hébreu).

Et c'est l'apartheid dans le sens strict du terme : une population se séparant du reste, puis le dominant de façon permanente et institutionnelle à travers un régime politique comme un Israël élargi enfermant les Palestiniens dans des cantons dépendants et appauvris.
La grande question pour le gouvernement israélien n'est pas, alors, la manière de parvenir à la paix.

Si la paix et la sécurité étaient véritablement le problème, Israël aurait pu l'avoir il y a 20 ans, s'il avait concédé les 22% du pays requis pour un État palestinien viable.

Aujourd'hui, alors que le contrôle d'Israël est infiniment plus fort, pourquoi, demandent les juifs israéliens et le gouvernement qu'ils ont élu, devrions-nous concéder quoi que ce soit de significatif ? Nous sommes en paix avec l'Egypte et la Jordanie, la Syrie meurt d'envie de négocier.

Nous avons des relations avec la plupart des Etats arabes et musulmans. Nous bénéficions du soutien absolu et inconditionnel de la seule superpuissance au monde, soutenue par une Europe docile. Le terrorisme est sous contrôle, le conflit est devenu gérable, l'économie israélienne est en pleine expansion. Qu'est ce qui ne va pas dans ce tableau, demandent les Israéliens ?

Non, le problème pour Israël est plutôt de trouver le moyen de transformer son occupation que le monde considère comme une situation temporaire en un fait politique permanent accepté par la communauté internationale, de facto si besoin ou, si l'apartheid peut être caché sous la forme de la solution à deux-États, alors officiellement.

Et voilà le dilemme et la source du débat au sein du gouvernement israélien : est-ce qu'Israël continuera avec sa stratégie qui lui a si bien servi ces 40 dernières années, en retardant ou en prolongeant les négociations de manière à préserver le statu quo, tout en renforçant son emprise sur les territoires palestiniens ou, en ce moment de l'histoire unique mais éphémère où George Bush est encore en poste, va-t'il essayer de fixer tout cela, en faisant avaler aux Palestiniens un Etat transitoire dans le cadre de la Feuille de route ?

Olmert, sur les traces de Sharon, fait pression pour la dernière solution.

Netanyahou, Lieberman, l'Extrême Droite (y compris de nombreuses personnes dans le propre parti d'Olmert) et, de manière significative, le président des Travaillistes et ministre de la Défense, Ehud Barak, qui est toujours un faucon militaire, résistent par crainte que même un processus de négociations pourrait échapper à tout contrôle, créant des attentes sur Israël.

Mieux, disent-ils, il faut rester avec la politique de statu quo qui a fait ses preuves et qui pourrait, si elle est habilement gérée, se prolonger indéfiniment.

D'ailleurs, Bush est un canard boiteux, et aucune pression ne sera imposée à Israël jusqu'au mois de juin 2009, au moins six mois après l'intronisation du prochain président américain, qu'il soit Démocrate ou Républicain. Nous sommes tranquilles d'ici là ; donc pourquoi jouer les trouble-fêtes ?

Le seul moment délicat pour Israël sera les deux années au milieu du mandat présidentiel. Nous pouvons y survivre.

Annapolis ? Nous tâcherons d'obtenir avec prudence l'apartheid, en espérant qu'Abou Mazen [Mahmoud Abbas], poussé par l'émissaire du Quartet, Tony Blair, jouera le rôle de collaborateur. Si cela ne fonctionne pas, eh bien, le statu quo est toujours fiable par défaut.

En attendant, aussi longtemps que l'opinion publique israélienne jouira de la paix et du calme et d'une bonne économie, et qu'elle restera convaincue que la sécurité exige d'Israël de conserver le contrôle des territoires, aucune pression ne viendra de l'intérieur pour un changement significatif de politique.

Compte tenu de ce paysage politique en Israël, dans les territoires et à l'étranger, il est difficile pour les dirigeants israéliens de dissimuler leur sentiment exubérant que, que ce soit officiellement ou non, "nous avons gagné".

Source : http://www.counterpunch.com/

Traduction : MG pour ISM

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