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Palestine - 4 juillet 2013
Par Amjad Alqasis
Amjad Alqasis est avocat des droits de l'homme, chercheur juridique et coordonnateur du programme de défense juridique du Centre de Ressources BADIL pour la résidence et les droits des réfugiés palestiniens.
"Nous sommes venus dans ce pays qui était déjà peuplé par des Arabes [palestiniens], et nous y édifions un Etat hébreu, c'est-à-dire juif. Des villages juifs ont été construits à la place de villages arabes [palestiniens]. Nous ne connaissons même pas les noms de ces villages arabes [palestiniens], et je ne vous blâme pas, parce que ces livres de géographie n'existent plus. Non seulement les livres n'existent plus, mais les villages arabes [palestiniens] n'existent plus non plus. Nahalal s'est dressé à la place de Mahalul ; Gevat à la place de Jibta ; Sarid à la place de Haneifa et Kefar Yehoshua à la place de Tel Shaman. Il n'y a pas un seul endroit bâti dans ce pays qui n'avait pas une population arabe [palestinienne]..." [1] - Moshe Dayan, ancien ministre israélien de la Défense, 1969.
Janvier 2012, de jeunes palestiniens protestent contre les négociations entre l'OLP et Israël (photo: Flickr/Activestills)
Dans le processus israélien de colonisation de la Palestine, la population indigène a été divisée en trois catégories principales : les Palestiniens vivant dans le territoire palestinien occupé, les Palestiniens résidant du côté israélien de la Ligne d'Armistice de 1949, et les millions qui vivent en exil forcé. La carte de la Palestine illustre le principe colonial classique du "diviser pour régner" - divisions politiques et sociales basées sur une géographie fragmentée.
La Nakba de 1948 fut la fissure centrale qui a déchiré le tissu social de la société palestinienne en coupant les relations entre les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte. Et Israël a maintenu cette stratégie depuis. Plus important encore, Israël a effacé le terme "Palestinien", et étiquette par exemple les citoyens palestiniens d'Israël comme "Arabes israéliens" de manière à les déconnecter de leur propre histoire et possession de la terre, et pour renforcer leur position de citoyens de seconde classe au sein de la société israélienne. Israël est même allé plus loin en compartimentant cette communauté en Chrétiens arabes, Musulmans arabes, Druzes et Bédouins. La fragmentation a été appliquée au territoire occupé en 1967 en catégorisant la population en fonction de cartes d'identité qui restreignent la vie et la circulation à l'intérieur de la Cisjordanie , à Jérusalem Est et dans la Bande de Gaza.
En application du déplacement continu depuis la Nakba, Israël a fiché les réfugiés palestiniens qui tentaient de revenir comme "infiltrés" et les a déportés à vue [2]. Dans son ensemble, la société palestinienne a été partagée en catégories et sous-catégories, avec des restrictions politiques et juridiques propres à chaque groupe [3]. Selon David Ben-Gurion, le premier Premier ministre d'Israël, le but ultime était d'affaiblir et finalement d'effacer l'affiliation ou l'appartenance des Palestiniens à leur patrimoine et à leur terre pour "tout faire pour s'assurer qu'ils [les réfugiés palestiniens] ne reviennent jamais." [4] Son raisonnement - fondé sur la politique d'Israël envers les Palestiniens, était qu'au fil du temps, "les vieux mourront et les jeunes oublieront." [5]
Mais la vision de Ben-Gurion ne s'est pas matérialisée. Au contraire, malgré l'acharnement israélien à diviser et à éradiquer la société palestinienne, le peuple palestinien n'a pas abandonné ses droits et continue, résolument, de s'opposer à la politique d'exclusion d'Israël.
L'enquête BADIL 2012 sur la jeunesse palestinienne, axée sur les liens identitaires et sociaux indiquent clairement que les troisième et quatrième générations de réfugiés palestiniens n'ont pas "oublié" leur attachement à la Palestine. L'enquête a été menée dans les sept secteurs où réside la majorité des Palestiniens : Israël, la Cisjordanie , la Bande de Gaza, Jérusalem Est, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Elle a été conduite auprès de jeunes palestiniens âgés de 15 à 19 ans et examine deux questions principales : celle de l'auto-identification (identité) et celle de l'importance des liens sociaux comparées entre les communautés palestiniennes vivant dans les sept régions géographiques.
Les conclusions de l'enquête montrent qu'une grande majorité des personnes interrogées se considèrent comme Palestiniennes. Entre 55 et 70 pour cent d'entre elles en Jordanie, en Syrie et au Liban, se voient comme Palestiniennes. L'importance de cette majorité ne peut se comprendre que si l'on garde à l'esprit que ces communautés sont nées en exil forcé et n'ont jamais mis les pieds en Palestine - interdit par Israël. Même s'ils vivent sous la domination coloniale et idéologique israélienne la plus directe depuis les 65 dernières années, 45 pour cent des citoyens palestiniens d'Israël se considèrent comme Palestiniens, et seulement 12 pour cent comme "Arabes israéliens", selon les catégories et la propagande de l'Etat israélien ces 65 dernières années.[6]
Sur la question des liens sociaux, la majorité des sondés palestiniens des sept régions géographiques ont exprimé l'opinion qu'il était soit "important" ou "très important" de nouer et de renforcer des liens sociaux avec d'autres communautés palestiniennes. Les résultats de la recherche dépeignent le modèle d'une identité et d'un destin palestiniens unifiés, malgré les tentatives d'Israël de provoquer des dégâts irréparables au tissu social par la fragmentation géographique. Par ailleurs, l'enquête montre que la jeunesse palestinienne, dans des géographies séparées, a des points de vue similaires en ce qui concerne l'identité et la communauté nationales. L'enquête affirme en particulier "que la question de l'identité nationale palestinienne n'est pas simplement une question de citoyenneté, de documents ou de privilèges de voyage, mais un concept beaucoup plus large concernant les principes clés de la libération, de la liberté et de [auto-détermination].” [7]
Ces principes sont communs aux différentes communautés palestiniennes et les dirigeants palestiniens et la communauté internationale devraient par conséquent les répercuter lorsqu'ils font face à la réalité palestinienne d'apartheid, d'occupation militaire et de colonisation. Une solution durable et juste au conflit ne peut être trouvée que dans la prise en considération du peuple palestinienne dans son ensemble et, surtout, en insistant sur le droit inaliénable au retour de millions de réfugiés palestiniens.
[1] Moshe Dyan, 19 mars 1969, discours au Technion, Haifa (Israël), cité par Ha'aretz le 4 avril 1969.
[2] Voir la Loi de 1954 sur la prévention de l'infiltration et les ordres militaires israéliens 1649 et 1650.
[3] Pour plus d'informations (en anglais) : BADIL, Israël’s Discriminatory Laws, Badil Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights Occasional Bulletin No. 26 (2012).
[4] David Ben-Gurion, 1948, à partir de son journal, 18 juillet 1948, cité par Michael Bar Zohar, "The Armed Prophet", 1967, p. 157.
[5] David Ben-Gurion, 1948, à partir de son journal 18 juillet 1948, cité par Karma Nabulsi, "The great catastrophe", The Guardian, vendredi 12 mai 2006.
[6] BADIL, One People United: A Deterritorialized Palestinian Identity – BADIL Survey of Palestinian Youth on Identity and Social Ties – 2012, BADIL Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights (2012).
[7] Ibid.
Source : +972mag
Traduction : MR pour ISM
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