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Palestine -

Reformuler le travail en matière de droits palestiniens de l'homme : géographie, politique et terminologie

Par

Amjad Alqasis est chercheur juridique et coordonnateur du programme de défense juridique du Centre de Ressource BADIL.

De nombreuses organisations palestiniennes de défense des droits de l'homme limitent le champ de leur travail aux divisions territoriales instituées par la puissance occupante - Israël. Elles s'adaptent à l'état actuel des choses au lieu de coller aux origines historiques du conflit. Les colonialistes sionistes sont entrés dans ce territoire avec l'intention de le coloniser définitivement. Les mouvements qui ont émergé, dans la lutte contre cette colonisation, ont lentement commencé à se déconnecter les uns des autres, passant d'une lutte commune à diverses luttes distinctes. Ainsi aujourd'hui, en 2013, en fonction des réalités du terrain (le mur, l'expansion des colonies, les lois discriminatoires en Israël, le siège sur Gaza), la réalité vers laquelle la puissance coloniale a évolué a eu un impact énorme sur ceux qui essaient de résister à cette colonisation.

Reformuler le travail en matière de droits palestiniens de l'homme : géographie, politique et terminologie

Commémoration de la Nakba, 29 avril 2012. Des Palestiniens portent les noms des villages d'où ils ont été expulsés (photo Ahmad Shiekh Mohammed)
La plupart des organisations circonscrivent leur champ d'action soit au territoire palestinien occupé soit à Israël, en fonction des réalités israéliennes sur le terrain qui visent à isoler géographiquement ces deux secteurs. De plus, certaines organisations restreignent encore davantage leur champ d'intervention - par exemple seulement à la Cisjordanie , à la Bande de Gaza, à la zone C en Cisjordanie ou à Jérusalem Est. Lorsqu'elles limitent ainsi leur mission, les organisations confirment de fait l'idée que le problème qu'elles essaient de combattre n'est confiné qu'aux secteurs occupés en 1967. Si l'on pousse cette approche à l'extrême, dans les cas où les organisations limitent leurs opérations à la Bande de Gaza ou à la Cisjordanie , on pourrait même considérer que le point de départ implicite du problème est la signature des Accords d'Oslo de 1994. Pourtant les réalités auxquelles nous avons affaire n'ont commencé ni en 1994 ni en 1967 ; elles ont commencé avec l'émergence de la pensée sioniste et le développement de l'idée de colonisation de la Palestine mandataire. Là est le point de départ de la "question" de la Palestine, qui doit être reconnu comme tel dans la recherche d'une solution. Aucune organisation ne sera en mesure de trouver une solution, ni quoique ce soit qui se rapproche d'une solution, si le point de départ est 1967.

Cette pratique qui consiste à diviser géopolitiquement les Palestiniens a commencé en 1948, au sein même des communautés palestiniennes qui sont restées à l'intérieur d'Israël. Les autorités israéliennes divisent fortement les citoyens palestiniens d'Israël en Galilée et dans le Naqab. Pour Israël, les Bédouins palestiniens du Naqab sont une catégorie administrative à part de celle des Palestiniens. De plus, alors que les Musulmans et les Chrétiens sont des catégories séparées, les Druzes sont aussi considérés comme une nationalité distincte. Les ONG palestiniennes en Israël qui travaillent selon ces paramètres s'occupent des "villages druzes" et des "municipalités druzes". C'est ainsi parce qu'Israël applique des cadres juridiques, des budgets et des services ministériels différents et "influence" ainsi les Palestiniens à adopter cette approche.

Toutefois, depuis le début des années 80, la prise de conscience politique sur cette question a commencé à émerger et à grandir parmi les Palestiniens en Israël (voir "Identité palestinienne en Israël depuis la Première intifada, page 12 de ce dossier). La Première intifada a renforcé cette sensibilisation politique, qui s'est développée pendant les années 1990 et la signature des Accords d'Oslo. Les citoyens palestiniens d'Israël ont commencé à réaliser qu'ils avaient été exclus du processus politique ou de ce qui était alors appelé le "processus de paix". Ils ont été marginalisés tant par Israël que par l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui est, en quelque sorte, la première ONG palestinienne à avoir suivi les lignes géopolitiques imposées par Israël. C'est flagrant dans le fait que l'OLP a limité son mandat aux frontières de 1967 comme base des négociations. La prise de conscience par les citoyens palestiniens d'Israël de leur exclusion du processus politique pourrait déterminer leur sort en enclenchant une réévaluation de leur relation avec Israël. Ils sont arrivés à la conclusion que leur lutte ne devrait être comprise qu'au sein d'un discours palestinien qui prenne comme point de départ la Nakba de 1948, et non la Naksa de 1967.

Toute initiative palestinien, qu'elle émane d'un individu, d'une organisation, d'une municipalité, ou d'un mouvement, qui suit les divisions créées par la puissance occupante pour venir à bout de son projet colonial est vouée à l'échec. La lutte palestinienne n'est pas une lutte commune parce qu'elle est romancée ; c'est une lutte commune parce qu'en réalité, le système créé combat tout ce qui appartient à ce groupe de gens. Depuis ses débuts, l'intention du mouvement sioniste a été de coloniser un territoire et de remplacer la population indigène par des migrants juifs. En réalité, l'idéologie de l'Etat d'Israël nie l'existence du peuple palestinien à l'intérieur de son territoire non défini. Au mieux, il tolère les Palestiniens, et il peut abolir cette "tolérance" à tout moment, pour n'importe quelle raison. Cette orientation est évidente dans un très grand nombre de lois et ordonnances militaires israéliennes, comme dans les décisions de la Haute Cour et autres tribunaux en Israël.

La terminologie est un facteur clé dans ce principe colonial classique du "diviser pour régner", qui produit des divisions politiques construites sur le pré-requis d'une fragmentation géographique. Israël avait d'abord besoin de couper toutes les relations et liens existants entre les Palestiniens et l'a fait par la Nakba, qui a déchiré le tissu social de la société palestinienne. Les Palestiniens qui ont réussi à rester dans le territoire qui est devenu l'Etat d'Israël en 1948 avaient des voisins ou des membres de leurs familles qui ont été déplacés de force. Chaque famille palestinienne a été touchée par les événements de la Nakba. Tous les Palestiniens ont un cousin, une soeur, un beau-frère, ou un oncle qui a été déplacé de force, qui a perdu sa maison, sa terre agricole ou ses biens. Après avoir coupé les relations entre les gens et les communautés, Israël a maintenu l'éparpillement géographique des Palestiniens en leur interdisant de revenir dans leurs foyers et en empêchant la continuité sociale avec les Palestiniens dans les "Etats ennemis" déclarés - les Etats arabes vers lesquels la majorité des réfugiés palestiniens avaient été forcés de fuir. Lentement, au cours des décennies, les liens sociaux se sont effilochés. Le maintien de cette discontinuité géographique a facilité la création de la division politique.

Le dossier/recherche de al-Majdal (Palestinian Citizens of Israël: Defying the Ongoing Nakba) a suscité certaines difficultés. Notre intention initiale était d'examiner les citoyens palestiniens d'Israël, et c'est dans ce but que nous avons recueilli les articles d'organisations qui traitent avec les citoyens palestiniens d'Israël. Cependant, cette pratique qui consiste à mettre en exergue les citoyens palestiniens d'Israël en tant qu'entité séparée est problématique en elle-même, et nous devrions essayer de reformuler la façon dont nous regardons cette situation. Nous sommes conscients qu'en publiant un numéro spécial centré sur les citoyens palestiniens d'Israël, nous tombons dans le risque de diviser le peuple palestinien dans les catégories séparées définies par Israël. Néanmoins, ce dossier d'al-Majdal sur les citoyens palestiniens d'Israël est destiné à souligner que ce groupe de Palestiniens souffre aussi des politiques d'Israël visant à transférer de force une population et non pas à la dépeindre comme un cas distinct. Les droits de l'homme ne doivent pas être limités à des frontières géographiques ou politiques. Le travail de BADIL traite de la Nakba palestinienne en cours, dans une approche holistique qui transcende les limites géographiques. Par conséquent, dans notre analyse, le déplacement forcé à l'intérieur de l'Etat d'Israël fait partie de l'exil global du peuple palestinien et doit toujours être observé à travers cette perspective - une lutte couvrant toute la Palestine mandataire et incluant tous les Palestiniens.

Cette compréhension est essentielle à notre travail de traitement de la quête palestinienne de liberté, de libération et de droits humains, parce qu'une compréhension adéquate encadre et guide le langage dans notre analyse. En tant que militants et organisations de défense des droits de l'homme, nous sommes tenus d'être très attentifs à la façon dont nous énonçons la réalité à travers la terminologie que nous utilisons. Trop souvent, nous utilisons la terminologie qu'Israël a conçue parce que, pour parler simplement, Israël domine le discours. Par exemple, la classification "Bédouin" qu'Israël a employée pour désigner les Palestiniens qui vivent principalement dans le Naqab l'a été pour les distinguer faussement des Palestiniens. Malheureusement, nous pouvons trouver des Palestiniens qui utilisent eux-mêmes le terme de "Bédouin", indiquant ainsi que cette question est séparée de celle des Palestiniens. Pourtant, le déplacement des Bédouins palestiniens dans le Naqab est lié au déplacement forcé à l'intérieur de toute la Palestine mandataire, et même au-delà des limites de la Palestine mandataire, incluant les millions de réfugiés palestiniens vivant actuellement en exil forcé et qui ne sont pas autorisés à revenir dans leurs foyers et lieux d'origine.

Si la société civile cherche à lutter contre le processus colonial de déplacement forcé, nous ne devons pas stratifier le peuple palestinien, mais plutôt utiliser le langage comme une lutte commune contre le projet colonial qui vise à effacer l'existence et la présence de la communauté/population palestinienne indigène en Palestine mandataire. Nous ne devons pas, même indirectement, soutenir ce genre de destruction du peuple palestinien en acceptant la division faite par la puissance coloniale. Certains pensent qu'il y a intérêt à utiliser un langage ou une terminologie "plus soft", "plus édulcoré" pour tenter de convaincre leurs homologues et pour ne pas être considéré comme "radical" ou "polémique" car "l'autre" juge ainsi certains termes. Mais en s'adaptant au langage de l'autre, les gens perdent le potentiel de l'influencer, parce qu'ils ont déjà succombé eux-même aux idées de l'autre en s'adaptant à leur terminologie.

Les organisations de défense des droits de l'homme doivent se pencher sur les deux dimensions du temps et de l'espace. En ce qui concerne le "temps", il faut affirmer que la situation actuelle est liée à ce qui s'est passé depuis 1948 et même avant cette date, jusqu'à ce jour de 2013. En ce qui concerne "l'espace", il faut reconnaître que ce qui se passe aujourd'hui à Bethléem, Jenin, Gaza ou Jérusalem se produit également à Haifa, Jaffa ou dans le Naqab.

Nous devons imposer notre propre discours. Nous pouvons le faire en instaurant et en faisant connaître nos propres langage et terminologie. Tout est lié à la question de la terminologie. Parce qu'Israël contrôle le discours, localement et internationalement, les organisations internationales utilisent le discours israélien, la terminologie à dominante israélienne. Nous devons contrer cette tendance en employant des termes qui reflètent vraiment et correctement la réalité telle qu'elle est, sans plier devant les pressions extérieures et sans énoncer la situation de la manière choisie par Israël.

Source : Badil

Traduction : MR pour ISM

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21 février 2013