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Jérusalem -

Une militante pacifiste considérée comme "un danger pour Israël"

Par

Article paru in The Guardian, 07.09.2004

Dimanche passé, l’armée a placé Mme Fahima en détention sans jugement, en recourant à une loi appliquée à des milliers de Palestiniens tout au long des quatre années d’Intifada, mais rarement à des Israéliens.
Les avocats s’interrogent sur les motifs que peut bien avoir ainsi l’Etat pour emprisonner sans procès une ancienne soldate israélienne, devenue l’amie d’activistes palestiniens en vue.

Tali Fahima a effectué son service militaire dans l’armée israélienne, elle a voté Sharon aux législatives et, pour elle, l’idée que son pays luttait pour sa survie face au terrorisme allait tout simplement de soi.


Seulement voilà : l’an dernier, cette secrétaire juridique de vingt-neuf ans, habitant Tel-Aviv, a lu un article consacré à Zakariya Zubeidi, chef des Brigades des Martyrs d’Al-Aqça à Jénine – un groupe responsable de l’assassinat de plusieurs centaines d’Israéliens, au cours d’attentats suicides et de fusillades.
Mme Fahima décida qu’elle demanderait un jour à M. Zubeidi, de vive voix, pourquoi il tuait ainsi des juifs ?


Dimanche, donc, l’armée a placé Mme Fahima en détention, sans aucune forme de procès, en mettant en application une loi utilisée à l’encontre de milliers de Palestiniens, depuis quatre ans d’Intifada, mais très rarement à l’encontre d’Israéliens.

Les autorités ont refusé de révéler les raisons précises pour lesquelles le ministre de la Défense, Shaul Mofaz, qui a signé le décret, a qualifié cette femme "de danger évident et actuel, pour tous les Israéliens".


Des sources des services de renseignement ont indiqué à la presse israélienne que Mme Fahima était impliquée dans un attentat à la bombe contre un barrage militaire, le mois dernier, et qu’elle préparait des attentats à l’intérieur d’Israël.

Mais les avocats et les amis de Mme Fahima accusent le gouvernement de recourir à des lois sécuritaires draconiennes afin de la réduire au silence, pour l’unique raison qu’elle a brisé un tabou, en liant amitié avec l’ennemi, et en le comprenant.


Mme Fahima a commencé à rendre visite à M. Zubeidi, à Jénine, il y a un peu plus d’un an, en dépit de l’interdiction formelle, pour les citoyens israéliens, de se rendre dans les villes palestiniennes. Elle s’était déclarée déterminée à découvrir ce qui poussait Zubeidi à tuer des gens.

"Il fallait absolument que je sache pourquoi un homme peut un jour décider de faire des choses comme ça », a-t-elle déclaré, début 2004, à la télévision israélienne. « Il y a certainement une raison. Quelqu’un ne se réveille pas, comme cela, un matin, en disant : « OK, je vais faire un attentat ! " "…


L’armée israélienne présente M. Zubeidi comme l’un des terroristes qu’elle recherche le plus. Elle a déjà tenté de le liquider à cinq reprises. En vain.


Après avoir rencontré le commandant des Brigades Al-Aqçâ, Mme Fahima le décrivit comme un combattant de la liberté et "quelqu’un de très gentil, que je suis très heureuse d’avoir rencontré". Elle s’est déclarée prête à jouer le rôle de bouclier humain afin de le protéger contre toute tentative d’assassinat déployée à son encontre par l’armée israélienne.

"Pour une jeune femme de vingt-huit ans, élevée comme je l’ai été au sein de certaines valeurs, c’est très dur de découvrir, un beau jour, que toutes ces valeurs étaient en réalité des fausses valeurs", a-t-elle déclaré au Jerusalem Post, en juin dernier.
"Qui cause l’occupation ? Les Palestiniens ? Non ! C’est les Israéliens. Et que suis-je ? Je suis juive, et israélienne. Si je restais assise, chez moi, à ne rien faire, alors là : moi aussi, je serais responsable."


"Zubeidi n’est pas un terroriste ; il lutte contre l’occupation. Les kamikazes, eux aussi, luttent contre l’occupation. Mettez-vous à leur place : vous verrez ce qui se passera. On leur dénie leurs droits les plus fondamentaux et la liberté."


Ses opinions ont rendu furieux énormément d’Israéliens, qui ont dénoncé en Mme Fahima une traîtresse et une complice des terroristes. Ses parents – des juifs religieux – refusent désormais de lui adresser la parole. Elle a été virée de son boulot.


Ses avocats disent que si les autorités israéliennes détenaient la moindre preuve que Mme Fahima ait été impliquée dans des violences, elles auraient formulé à son encontre des accusations précises, et elles l’auraient pas placée dans cette sorte de purgatoire que représente la détention administrative.


Le ministre israélien de la Justice, Yosef Lapid, a indiqué que si la militante n’a pas fait l’objet d’une mise en accusation, c’est en raison de la nécessité de protéger certaines personnes, qui fournissent de l’information aux services de enseignement.

"Les documents indiquant qu’elle s’est comportée d’une manière mettant la sécurité d’Israël en danger représentent une preuve très concrète que, jusqu’à ce qu’il y ait procès, les responsables concernés pensent qu’il vaut mieux, pour la sécurité d’Israël, qu’elle reste en détention", a-t-il ajouté.


Mais l’avocate de Mme Fahima, Smadar Ben-Natan, affirme que sa cliente a été mise en détention, le mois dernier, après qu’elle ait refusé de travailler, comme informatrice, pour le Shin Bet.

"Ils [les services de renseignement] sont en train d’essayer de lui démontrer qu’elle a politiquement tort : ils lui font des cours d’histoire ; ils débattent avec elle de la question de savoir s’il faut ou non parler d’occupation ; ou encore si les combattants palestiniens doivent être qualifiés de combattants de la liberté, ou de terroristes", a-t-elle expliqué.


Une amie de Mme Fahima, Lin Dovrat, militante pacifiste, a dit que les motivations politiques de sa mise en détention administrative étaient parfaitement claires, dès lors que les autorités ont affirmé que les renseignements l’accusant étaient trop sensibles pour pouvoir être révélés publiquement au tribunal, et qu’exactement au même moment, le Shin Bet faisait passer ces renseignements à la presse.

"Ils ont essayé de liquider Zubeidi à cinq reprises. En vain. Et qu’a fait Tali ? Elle est allée le voir… Elle a pu lui parler, elle a pu avoir un rapport très humain avec lui… : je pense que c’est ça, qui les rend complètement dingues…" a-t-elle expliqué.


Mme Ben-Natan dit qu’après que Mme Fahima ait refusé de collaborer avec le Shin Bet, ce service de renseignement s’est employé à la discréditer en racontant aux journalistes qu’elle couchait avec M. Zubeidi, lequel est marié. Cette accusation a été largement reprise pour argent comptant par la presse israélienne. Mme Fahima la rejette catégoriquement.

Source : www.guardian.co.uk/

Traduction : Marcel Charbonnier

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