Gaza - 21 octobre 2006

"Rain Man"

Par Lama Hourani

> l_hourani@yahoo.com

J'ai souvent l'impression que nous vivons dans un camp de concentration de la Seconde Guerre Mondiale.
Nous vivons dans un camp avec deux portes contrôlées par les Israéliens, Erez et Rafah. Nous avons nos propres chefs dans ce camp qui essayent de maintenir un peu d'ordre en dépit de la politique des commandants à l'extérieur.
La seule chose qui manque, c'est le célèbre costume rayé qui était donné aux détenus des camps pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Photo : Mur construit par les Israéliens à Rafah, la frontière entre Gaza et l'Egypte




Tout le monde me demande pourquoi je n'écris plus.
C'est très difficile d'écrire de nos jours. J'estime que nous sommes emprisonnés de l'extérieur et de l'intérieur.

En raison des événements qui ont eu lieu ici au cours des dernières semaines je n'ai pas même eu la chance d'apprécier ma réunion de famille.
Mais je vais essayer de décrire comment nous vivons en ce moment.
Il y a différents sujets mais ils sont toutes liés aux Israéliens et à leurs attaques injustes contre nous.

J'ai souvent l'impression que nous vivons dans un camp de concentration de la Seconde Guerre Mondiale. Nous vivons dans un camp avec deux portes contrôlées par les Israéliens, Erez et Rafah. Nous avons nos propres chefs dans ce camp qui essayent de maintenir un peu d'ordre en dépit de la politique des commandants à l'extérieur. Une certaine quantité des besoins de base sont autorisés à être introduits dans le camp.

Nous sommes attaqués régulièrement et systématiquement par les commandants à l'extérieur. Nous sommes chassés, tués, arrêtés, nos maisons sont démolies, tout comme nos vies, notre infrastructure, et même les arbres sont détruits.
La seule chose qui manque, c'est le célèbre costume rayé qui était donné aux détenus des camps pendant la Seconde Guerre Mondiale.

"Rain Man" me vient immédiatement à l'esprit : le célèbre film de 1988 avec Dustin Hoffman et Tom Cruise. Hoffman a reçu un oscar pour sa performance dans ce rôle. Non, je ne parle pas du film que j'ai tellement aimé et que j'ai vu plus de dix fois dans des salles de cinéma ou quand je pouvais le voir à la télévision.

Je parle du nom de l'une des opérations de l'armée israélienne dans le Sud de la Bande de Gaza qui a eu lieu la semaine dernière. Cette opération a fait plus de dix martyrs et à peu près 100 personnes ont été blessées. Des enfants ont été blessés et tués.

Je me demande si Dustin Hoffman, que je respecte beaucoup, ainsi que beaucoup de gens dans le monde, sont au courant de cette opération militaire. Je serais curieux de connaitre sa réaction.

Que dirait-il ? Comment réagirait-il ? Poursuivrait-il l'armée israélienne pour avoir volé le nom du film et l'avoir relié à des actions inhumaines, injustes, brutales et barbares contre des civils, l'infrastructure, les arbres, les animaux, contre presque tout ?

Les combats internes entre le Fateh et le Hamas dans les rues de la Bande de Gaza étaient une autre scène de la semaine dernière à Gaza. C'est terrible, oui. Aucun Palestinien n'est d'accord avec ce conflit.

Mais que pouvons-nous d'1.5 million de personnes emprisonnées dans une grande prison sans ressources financières, sans contact direct avec le monde extérieur qui sont attaqués jour et nuit par les Israéliens ?

Tout autre peuple vivant dans des circonstances semblables aux nôtres pendant aussi longtemps aurait des réactions bien pires. C'est le résultat logique de cette politique : cela nous retourne les uns contre les autres.


Luai, a maintenant un nouveau dictionnaire : il connait la différence entre un pistolet et une mitrailleuse, un tanket un camion, il connait la différence entre les soldats israéliens et la police palestinienne. Il sait que l'armée israélienne nous attaque, bombarde et tue même des enfants.
"Maman, les soldats palestiniens ont-ils peur quand il y a des bombardements ? Partent-ils en courrant ?"
Il m'a demandé cela il y a deux jours quand il prenait son petit déjeuner avant d'aller au jardin d'enfants.

Il y avait un bruit comme un bombardement ; il s'est avéré que c'était le tonnerre parce qu'il a plu ensuite. Et maintenant, il connait la différence entre un bombardement et le tonnerre.

Le Ramadan est sur le point de se terminer. Habituellement, le Ramadan est le mois où il y a le plus de consommation dans les pays Islamiques.

Cette année est la pire pour les Palestiniens. Notre économie s'est presque totalement effondrée. Les employés du secteur public n'ont pas reçu leurs salaires depuis des mois maintenant.
Il n'y a presque plus de clients sur les marchés de Gaza maintenant.

Les derniers jours du Ramadan, il y avait habituellement pleins de gens squi achetaient des produits pour le festin (Eid) après le Ramadan. Cette période nous remplit habituellement de joie, principalement les enfants qui peuvent acheter de nouveaux vêtements et recevoir des cadeaux et de l'argent.

Cette année, c'est très triste. Les marchés sont vides de clients ; beaucoup de jeunes hommes se promèvent sur les marchés mais ils regardent seulement et incapables d'acheter quoi que ce soit. Les magasins sont presque vides de tous nouveaux produits en raison de la fermeture qui est imposée en permanence à la bande par les Israéliens.

L'insécurité, interne et externe, qui s'est abattue sur les rues de Gaza ne permet pas aux gens de sortir comme d'habitude.

Le problème de l'électricité a empiré et influence le comportement des gens. Tout le monde est tendu et peut entrer en conflit avec n'importe qui, n'importe où, à la maison, au travail ou dans les rues.

Les habitudes de vie ont changé.
Les heures de sommeil, les heures pour manger, les heures pour se laver, les heures pour lire, tout cela a changé et c'est plus difficile quand vous n'avez pas de programme à suivre.

Donc l'électricité est toujours l'une des premières choses dont nous parlons le matin au bureau.

On se raconte combien heures d'électricité nous avons eu la veille à la maison et ce que nous avons pu faire avec. Une collègue m'a dit qu'elle mangeait avec des bougies maintenant. "J'avais l'habitude d'allumer des bougies quand j'avais un diner romantique avec mon mari, mais maintenant je les allume toujours et je pense que je n'aurai plus de soirées romantiques d'ici des siècles."

Il y a une rumeur qui circule dans la bande disant que le problème d'électricité sera résolu cette semaine avant la fête (Eid). Tout le monde en parle et rêve des choses que nous ferions si nous revenions à la vie normale.

En n'oubliant pas, naturellement, que cette vie normale inclura toujours les incursions et les massacres quotidiens des Israéliens, les affrontements presque quotidiens entre les deux principaux groupes politiques palestiniens et l'absence de ressources financières pour la plupart des familles.

De temps en temps, quelqu'un reçoit de bonnes nouvelles pour illuminer la vie : très peu fréquentes de nos jours. Pour moi, personnellement, c'était le retour de mon mari à Gaza après de nombreuses tentatives et négociations avec les autorités israéliennes pour lui permettre d'entrer.

Mais la fête (Eid) arrive.
Au moins une semaine de vacances, les frontières sont fermées, et il n'y a aucune possibilié pour les gens de sortir de la bande de Gaza (ceux qui en ont les moyens) mais même à l'intérieur de Gaza, il n'y a pas beaucoup d'endroits de divertissement pour les adultes ou les enfants et aucun endroit n'est sûr.

J'espère que je ne vous ai pas transmis ma dépression et mon désespoir mais je voulais décrire quelques scènes des dernières semaines à Gaza. Nous espérons toujours qu'une amélioration arrivera bientôt mais ce n'est pas probable.

Peut-être que si une célébrité comme Dustin Hoffman ou Tom Cruise entendait parler de l'opération militaire "Rain Man" et de ce qu'elle a engendré, cela le mettrait aussi en colère que je le suis, et peut-être que cela me donnerait un peu de courage, au moins pour un certain temps.